« Iznogoud : intégrale » : les visions d’un vizir pour de rire…

Créé par René Goscinny et Jean Tabary en janvier 1962, le grand vizir Iznogoud célèbre cet hiver quelques 60 ans de méchanceté et d’humour ! Dargaud en profite pour faire paraître le premier volume d’une nouvelle intégrale en deux tomes : une bonne manière de redécouvrir tous les titres parus chez cet éditeur entre 1962-1966 et 1969, ainsi que ces récits complémentaires rassemblés plus tard sous le titre générique « Les Retours d’Iznogoud », mais absents des premiers albums classiques. Le caricaturiste Plantu, qui s’était emparé du personnage pour parodier Sarkozy en une du Monde, est interviewé en préface. Une parution en forme de clin d’œil, car vouloir « devenir calife à la place du calife » semble plus que jamais dans l’ère du temps… électoral.

Après « Lucky Luke » (qu’il scénarise à partir de 1955), « Le Petit Nicolas » et « Astérix » (septembre 1955 et octobre 1959), « Iznogoud » est l’autre création majeure de Goscinny. Malgré des tirages atteignant les 100 000 exemplaires, cet antihéros notoire connaîtra un destin moins universellement populaire que celui de ces prédécesseurs… Ce qui n’enlève rien aux qualités de la série, actuellement poursuivie avec talent par Nicolas Tabary, Jul, Olivier Andrieu et Elric Dufau (cf. « T31 : Moi, calife… », album paru depuis la fin octobre chez IMAV) !

Première apparition d'Iznogoud dans Record (1962) et planche retravaillée pour sa parution dans Pilote (1973 ; Dargaud 2012-2021).

Après avoir racheté un magazine Pilote en souffrances en 1960, Dargaud expérimente en vain quelques formules hasardeuses ; en septembre 1963, il espère pouvoir enfin en relancer les ventes grâce à la double nomination du duo Jean-Michel Charlier-René Goscinny au poste de rédacteur en chef. Pour tester ce tandem, Dargaud lui confie dès 1962 la responsabilité éditoriale du mensuel Record : successeur du périodique jeunesse Bayard publié par La Bonne presse. Se souvenant d’une histoire interne aux « Vacances du Petit Nicolas », épisode où un moniteur de colonie raconte aux enfants les péripéties d’un ignoble vizir, Goscinny se lance dans une parodie des « Mille et une nuits ». Poussant l’art du calembour au sommet, le génial scénariste déroule dès lors un canevas immuable voyant son détestable et principal protagoniste vouloir devenir calife à la place du calife… sans jamais y arriver !

Initialement titrée « Les Aventures du calife Haroun-el-Poussah » dès sa parution dans Record le 15 janvier 1962, la série semble se focaliser sur le débonnaire et naïf calife de Bagdad. Las, ce sont bien les plans machiavéliques ourdis par l’ignoble conseiller Iznogoud qui passionnent et font sourire les lecteurs. Morale catholique du support de publication oblige, le bon Iznogoud (qui, littéralement et phonétiquement en anglais, « ne vaut rien »), secondé par son homme de main Dilat Lahrat, est le premier à subir les conséquences néfastes de ses propres méchancetés. À tel point que le vil individu se retrouve souvent dans une situation inextricable en fin de récit (disparition du monde réel, emprisonné, vendu comme esclave, etc.) ; fort heureusement, in extremis, le faire-valoir Dilat Lahrat arrive à sauver son « patron » dans les différents « Retours d’Iznogoud ». Ces récits courts (publiés en album en 1994 et reproduits dans la nouvelle intégrale) permettent à Goscinny et Tabary de retomber sur leurs pieds, afin de réintroduire cycliquement leur canevas type en début d’histoire suivante. Le paradoxe étant que certains de ces retours supposés finissent sur une nouvelle impasse kafkaïenne, d’autres histoires d’Iznogoud demeurant sans porte de sortie… ou de retour salvateur. Passant donc initialement dans Record, « Iznogoud » sera publié conjointement dans Pilote à partir du 9 mai 1968 (n° 446). La date n’étant pas anecdotique : « Iznogoud » devient alors bien plus politique, le personnage étant utilisé pour commenter l’actualité dans Le Journal du Dimanche à partir d’octobre 1974. Ces gags engagés seront rassemblés ultérieurement dans deux volumes titrés « Les Cauchemars d’Iznogoud » (T14 et T17, parus en 1979 et 1984).

Couvertures pour Record n° 37 (janvier 1965) et Pilote n° 446 (mai 1968).

Réunissant les quatre premiers albums parus chez Dargaud (« Le Grand Vizir Iznogoud » en 1966, « Les Complots du grand vizir Iznogoud » en 1967, « Les Vacances du calife » en 1968 et « Iznogoud l’infâme » en 1969), le présent volume intégrale fait suite à de précédentes publications. La plus connue, qui date de 2012, célébrait en deux tomes le 50e anniversaire du machiavélique vizir : « 25 Histoires de Goscinny et Tabary de 1962 à 1978 » et « 6 Histoires de Jean Tabary de 1978 à 1989 », parus aux éditions IMAV. Ces dernières, fondées par Anne Goscinny en 2012, détiennent depuis le tome 29 (« Iznogoud président ») les droits des nouveaux albums. Rapidement épuisé – il fut réédité en 2015 -, le second ouvrage intégrale publié par IMAV avait le grand mérite de réunir un important dossier de préface : 40 pages consacrées aux adaptations télévisuelles et cinématographiques, ainsi qu’un dossier complet portant sur un projet de dessin animé inabouti, signé par Goscinny et Pierre Tchernia, et dont Tabary avait même esquissé les premières ébauches. En 2016, un troisième volume (titré « 6 histoires de Jean Tabary de 1990 à 2004 ») et tout aussi riche (80 pages de suppléments, dont des planches inédites et la première page de l’ultime « Iznogoud 1er » par Tabary, disparu le 18 août 2011) viendra compléter cette belle collection. Un peu plus récemment, c’est l’éditeur Hachette qui a consacré à son tour l’une de ses collections kiosque à la totalité de la série, avec 31 tomes parus entre décembre 2017 et février 2019. Notons que la plupart de ces volumes à dos toilés rouges contenaient un supplément éditorial de 8 à 14 pages, intitulé « Les Cahiers du califat » et rédigé conjointement par Brieg Haslé-Le Gall, Jacques Kérampran et Thierry Lemaire.

Premier opus de l'intégrale parue en 2012 (IMAV éd.).

Encrage et couverture publiée pour « Iznogoud T21 : Le Piège de la sirène » (éditions Tabary, 1992).

Visuel pour la collection Hachette.

Planches 1 et 2 pour « Le Génie », première histoire de l'album introductif « Le Grand vizir Iznogoud » (Dargaud, 1966-2021).

Le premier volume de cette intégrale diptyque 2021-2022 est pour sa part complété d’un cahier supplémentaire de 20 pages, s’intéressant aux rapports tissés par Plantu avec l’actualité. L’ancien dessinateur humoristique du Monde n’avait en effet pas hésité à caricaturer Nicolas Sarkozy en Iznogoud à partir du 14 janvier 2005 : voulant clairement « devenir calife à la place du calife », le ministre de l’intérieur s’opposait alors déjà à son mentor Jacques Chirac dans l’optique de la course à l’élection présidentielle de 2007. Notons que Plantu avait été précédé dès 1974 par… Goscinny et Tabary eux-mêmes ! Le 8 décembre 1974, les compères illustrèrent avec la planche « Si j’étais l’empaleur… » une drôle de rencontre survenue entre Jacques Chirac et Iznogoud : parodiant alors l’actualité dans le Journal du Dimanche, les auteurs y évoquaient directement la visite du premier ministre français en Irak, Chirac rencontrant Saddam Hussein (transformé en grand vizir non moins dictatorial) pour lui vendre… un procédé de télévision en couleurs ! Dans les années 1980, Plantu, avant de détourner l’image sarkozienne, parodie également Chirac – sous les traits d’Iznogoud – dans le périodique jeunesse Phosphore.

Villepin, Chirac et Sarkozy selon Plantu. Le couteau est un objet rajouté dans l'univers du personnage.

L'un des premiers « Retours d'Iznogoud », suite de « Le Voyage officiel » (1966 - 2021).

Caricatural, sexiste, méchant, fou, maniaque, raciste, esclavagiste, politiquement et socialement incisif, Iznogoud ose tout mais nous donne paradoxalement toutes les (bonnes) raisons de relire ses aventures intemporelles. À moins qu’elles n’aient été – Goscinny oblige – en avance sur leur époque ? L’anachronisme, après tout, est un biais revendiqué par cette série culte…

Philippe TOMBLAINE

« Iznogoud intégrale T1 : 1962-1969 » par Jean Tabary et René Goscinny
Éditions Dargaud (29,99 €) – EAN : 978-2205086652

Parution 26 novembre

 

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7 réponses à « Iznogoud : intégrale » : les visions d’un vizir pour de rire…

  1. Barre dit :

    Les jeux de mots contenus dans certains albums d’Iznogood sont fabuleux, on ne les trouvent nul Pal ailleurs !

  2. Henri Khanan dit :

    Bien d’accord avec vous, surtout avec une telle densité à la page. Goscinny était vraiment un surdoué!

  3. Barre dit :

    Je vous avais répondu avec un petit émoji mais il n’est pas passé. J’en profite pour vous dire que tel Iznogood, moi aussi je suis bien d’accord avec moi!

  4. Nim 70 dit :

    Bonjour,
    La dernière planche que vous présentez est intéressante, car vous la légendez : L’un des premiers « Retours d’Iznogoud », suite de « Le Voyage officiel » (1966 – 2021). Ce retour d’Iznogoud est paru directement en album, en 1994, dans le tome 24: Les retours d’Iznogoud. Et il me semble bien qu’elle est scénarisée par Jean Tabary.

  5. Nim 70 dit :

    Je voulais juste ajouter qu’il y a une petite erreur sur le prix de l’intégrale : 29,99 euros et puis aussi sur le n°EAN. 978-2-205-08665-2
    Bon week-end.

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