Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Il existe encore de superbes inédits de Jiro Taniguchi !
Connu pour ses récits calmes et documentés, mais également ses polars durs et sombres, Jiro Taniguchi revient en France dans la collection Pika Graphic, avec une suite de récits racontant la vie plutôt calme d’« Un assassin à New York » : des histoires courtes, froides et machiavéliques de vengeances parfaitement exécutées, scénarisées par Jinpachi Môri. Un retour fort plaisant qui nous plonge dans la noirceur du monde d’un Japonais au travail incongru, dans la grande ville qu’est New York : lieu incontournable des grands polars.
Assassin sur commande, Benkei choisit ses contrats, afin d’exécuter des vengeances froides à la mise en scène travaillée. Japonais expatrié à New York, il travaille officiellement comme artiste peintre, mais n’hésite pas, si nécessaire, à se transformer en tenancier d’un bar select pour proposer des plats atypiques et morbides à ses victimes.
S’il exécute son travail avec un flegme déconcertant, c’est avec des scénarios extrêmement travaillés qu’il fait prendre conscience, à ses victimes, de leurs crimes passés. C’est au travers de ces vengeances sur commande que son art s’exprime le mieux. Parfaitement calculée et mise en scène, la mort frappe pour que la riposte du commanditaire s’exécute sans faille, et que la victime puisse éventuellement se repentir, avant d’expier dans un dernier souffle, du mal qu’il a pu faire : ce pour quoi il est maintenant puni de manière définitive.
Ne cherchez pas de morale, il n’y en a pas : ce sont des polars froids où la scénarisation de la mort rend les récits intrigants. Le dessin du maître Taniguchi dépeint un héros froid, avec son air débonnaire et sa mâchoire carrée : il est loin de l’image que l’on se fait habituellement d’un assassin.
Son credo n’est pas dans l’action spectaculaire où l’on viderait un chargeur de revolver pour éliminer les victimes. C’est un travail tout en douceur qui prend du temps et qui est construit au fil du récit afin d’arriver à une conclusion choc surprenante. Néanmoins, il n’hésite pas à mettre en scène quelles batailles assez violentes, juste de quoi placer une petite dose d’action pour tenir en haleine le lecteur !
Lecteur qui prend donc le temps de voyager dans un New York de cinéma, avec ses buildings immenses, ses recoins méconnus, souvent sordides, côtoyant des maisons d’architectes clinquantes.
Le dessin de Taniguchi est, comme toujours, parfaitement maîtrisé. Oscillant entre ligne claire et réalisme, il sert à merveille le récit. Nul besoin d’user d’ombre franche pour masquer l’action qui se déroule au grand jour. La clarté du graphisme n’en est que plus cruciale. En lisant « Un assassin à New York », on ne peut que se rendre compte de l’influence qu’a eue Jiro Taniguchi sur nombre de ses contemporains, à commencer par Naoki Urasawa dont l’univers et la mise en scène de « Monster » ne sont pas loin (1).
« Un assasin a New York » est publié dans la prestigieuse collection Pika Graphic, comme le fut déjà , en 2018, « Blue Corner » du même auteur. Une histoire déjà sombre où l’on suit l’ascension de Reggae : un boxeur de seconde zone qui se professionnalise en intégrant le circuit de rings plus prestigieux et surtout aux primes bien plus importantes… Ce sont ces récits hard boiled pour lesquels Jiro Taniguchi est connu dans le monde entier, sauf en France où ce sont ses œuvres plus contemplatives (« L’Homme qui marche ») ou historiques (« Du temps de Botchan ») qui ont fait sa renommée.
Succession d’histoires sordides, de femmes délaissées, de tableaux copiés, les ingrédients classiques d’un polar réussi sont bien présents dans « Un assassin à New York ». Avec un style proche du cinéma noir, sans ses traditionnels clairs obscurs, Taniguchi a très bien su mettre en images les différents scénarios de Jinpachi Môri. Si la violence est bien présente au travers de meurtres parfaitement orchestrés, tout cela est emmené avec une sérénité propre au personnage de Benkei. On retrouve donc facilement la patte du maître qui arrive à rendre ses scènes de tueries percutantes tout en gardant une mise en page épurée, allant parfois jusqu’à supprimer les sons, et toujours avec un rythme assez lent.
La créativité de Benkei, pour exécuter ses contrats en transformant les vieilles rancœurs en un art de la vengeance parfaitement orchestré, pique forcément la curiosité du lecteur. Un travail remarquable, au sujet différent de ses créations les plus connues dans l’hexagone, mais qui mérite que l’on s’y intéresse.
Gwenaël JACQUET
« Un assassin à New York » par Jirô Taniguchi et Jinpachi MôriÂ
Éditions Pika (16 €) – ISBN : 9782811662851
Parution 13 octobre 2021
(1) « Monster » de Naoki Urasawa et « Un assasin a New York » ont d’ailleurs en commun d’avoir été tous deux prépubliés dans le même magazine : Big Comic Original Zoukan des éditions Shogakukan. Tout comme « Master Keaton » ou la seconde partie de « Dr Koto ».
© 1996 Jinpachi MORI, PAPIER/Jiro TANIGUCHI / SHOGAKUKAN