Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Biopic chez Passés/Composés
Dans ses récentes éditions Passés/Composés, le groupe Humensis (PUF, Belin, etc.) lance la collection BD Biopic. L’ambition ? Des pages d’histoire méconnues à travers des personnages et des contextes bien trempés. Pour commencer, deux personnages hors normes : d’un côté, dans les Appalaches, l’étonnante book lady Kathryn ; de l’autre, de Cuba à Paris, le troublant Severiano de Heredia…
« Cutshin Creek » réalisé par Benoît Blary et Séverine Gauthier, c’est l’histoire d’une de ces femmes qui, dans les années 1930 – alors que la Grande Dépression frappe durement l’état du Kentucky -, décident d’apporter la culture aux démunis. Les mines de charbon y ferment les unes après les autres, privant des familles entières de ressources. Pourtant, Kathryn et d’autres comme elle, parcourent à cheval le comté pour proposer des livres dans les écoles, dans les familles, faisant même la lecture aux malades.
Outre que l’accès à certains endroits montagneux et reculés est difficile, sinon dangereux, cela ne plait pas à tout le monde. Les book ladies (autrement dit bibliothécaires), font jaser (le père de l’héroïne n’est pas le dernier à penser que ce n’est pas un vrai métier), mais, clairement, leur désir d’éduquer la population, souvent miséreuse et illettrée, ne plait pas aux patrons des mines qui ont besoin d’une main d’œuvre docile.
Le scénario a précisément choisi cet angle d’attaque pour évoquer la mission éducative et émancipatrice de ces femmes, et les risques qu’elles prennent. L’héroïne est ainsi témoin d’un meurtre et sa vie est à présent menacée ce qui rend le récit digne d’un bon western. Le graphisme de Benoit Blary, aux couleurs directes, rend particulièrement bien le caractère inquiétant, voire terrorisant, de cet univers sauvage et désolé. Le scénario de Séverine Gauthier, professeure de civilisation américaine à l’université, est de fait très documenté (les pages de garde comportent des photographies d’époque).
C’est un tout autre univers qu’explorent Isabelle Dethan et Antoine Ozanam, puisque leur album s’attache à raconter la vie de Severiano de Heredia. Né de deux parents « gens de couleur libres », c’est-à -dire des Noirs ou Métis non esclaves, il est chassé à huit ans de la Havane, en 1844, par une révolte menaçant sa famille. Il s’installe à Paris où après de brillantes études il profite en dilettante de la vie. P
etit à petit, l’âge aidant, l’ennui aussi, il devient critique littéraire, journaliste puis homme politique : président du Conseil municipal de Paris en 1873, puis député en 1881, enfin ministre des Travaux publics en 1887.
Le scénariste de s’est pourtant pas contenté d’aligner les réussites de cet homme atypique, il en a aussi parfaitement marqué les doutes, les failles et les stratégies qui peu à peu l’ont construit et amené à des idées et des projets progressistes. Severiano se sent notamment mal dans sa peau de « fils d’esclave ou fils illégitime » dont il tire par héritage ses richesses. Sa conscience le travaille et c’est ce qui va le faire bouger, évoluer, militant pour le vote des femmes, les coopératives ouvrières, la défense de la laïcité à l’école ou la gratuité de l’enseignement.
Pèsent pourtant continuellement sur lui sa couleur de peau et les insultes de « député chocolat » ou « nègre de la République », mais l’homme est un touche à tout réellement intrigant et passionnant qui finira sa vie en montant une entreprise de fiacres, puis de fiacres à moteurs électriques. Le trait d’Isabelle Dethan ressuscite efficacement ce personnage injustement oublié.
Passés/Composés s’inscrit donc dans la veine de la BD historique, mais avec la ferme intention de révéler des personnages hors normes et des contextes historiques méconnus : missions accomplies avec ces deux premiers titres sortis en librairie le 1er septembre.
Didier QUELLA-GUYOTÂ ; http://bdzoom.com/author/DidierQG/
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« Cutshin Creek » par Benoît Blary et Séverine Gauthier
Éditions Passés/Composés (14, 90 €) – EAN : 9782379335792
« Severiano de Hérédia » par Isabelle Dethan et Antoine Ozanam
Éditions Passés/Composés (14, 90 €) – EAN : 9782379335204