Depuis 2021, chaque année, Tiburce Oger rassemble une belle équipe de dessinateurs et dessinatrices pour évoquer l’Ouest américain à travers des personnages authentiques – le Far West, donc – et l’exploitation de ces territoires par des individus qui oubliaient, bien souvent, qu’ils n’étaient que des colonisateurs assoiffés de richesses…
Lire la suite...« L’Étreinte » : Jim, auteur caméléon…
« L’Étreinte », c’est la rencontre improbable entre un scénariste prolifique ayant roulé sa bosse dans tous les domaines et un dessinateur que certains classeront parmi les auteurs de romans graphiques exigeants de la nouvelle génération. Résultat : un ouvrage de 300 pages, certes d’une approche au premier abord un peu ardue, qui par son sujet interpellera pourtant un large lectorat : à condition d’oser se frotter au trait quelque peu rugueux du dessinateur.
Sur la route de retour de vacances à Cadaqués en Catalogne, avec sa femme Romy, Benjamin lui montre une photo prise la veille sur son téléphone. Une banale photo de plage parmi beaucoup d’autres, où une jeune femme solitaire, couchée sur le ventre, bronze en lisant. Plus il l’observe, plus il est fasciné par cette inconnue. Jusqu’à ce qu’une voiture percute leur véhicule de front. Lui s’en tire bien, mais Romy, grièvement blessée, est plongée dans un coma artificiel qui devient interminable. Malgré sa souffrance sincère, Benjamin, qui prépare la première exposition de ses sculptures, est toujours obsédé par la fille de la plage. Entre les visites à l’hôpital où l’état de sa femme laisse peu d’espoir, il se rend à Cadaqués à la recherche de l’inconnue. Tout en dialoguant avec Romy qu’il se sent coupable d’abandonner, l’artiste commence les rencontres avec celles qu’il croit avoir photographiées. Le récit est riche en émotion, à la fois cruel et tendre, violent et audacieux. Pour construire cette histoire, les deux auteurs sont partis d’une photo prise au hasard sur une plage. À partir de ce seul document et de l’idée d’un accident lors du trajet de retour, Laurent Bonneau a dessiné ses pages que Jim a ensuite ordonnées et scénarisées. Une construction originale, en opposition avec les codes habituels de la création d’une bande dessinée. Notons qu’Olivier Delobel, sculpteur et ami du dessinateur, sert de modèle au héros. L’ensemble des pages est réalisé avec des crayons de toutes sortes : aquarellables, portemines au trait fin, gras pour les ombres… Seules six tonalités de couleurs sont utilisées : deux variantes de bleu, de rouge et de beige. Bien que parfois aux rives du morbide, cet ouvrage se lit avec plaisir… à condition d’accepter le trait du dessinateur qui n’a rien de facile, à cent lieues du classique « Une nuit à Rome » dessiné avec réalisme par Jim.Né en 1988 à Narbonne, Laurent Bonneau publie chez Dargaud sa première bande dessinée, en 2010 : « Metropolitan », une trilogie écrite par son frère Julien. Ce qui ne l’empêche pas d’étudier le cinéma d’animation à l’école Estienne et la photovidéo aux Arts déco de Paris. Les ouvrages sortent à un bon rythme, dont « Ceux qui me restent » en 2015, « Et il foula la terre avec légèreté » en 2017, « Les Brûlures » avec Zidrou en 2019… On lui doit aussi « Le Regard d’un père » publié en mars dernier aux éditions Des ronds dans l’O. Il appartient à cette nouvelle génération d’auteurs multimédias pratiquant BD, vidéo, peinture… avec la même aisance.Véritable caméléon Thierry Terrasson est né en 1966. Diplômé de l’école de bande dessinée d’Angoulême, il débute comme story-boarder. Sous le pseudonyme Téhy, il publie des récits fantastiques, dont « La Teigne » en 1988 aux éditions Vents d’Ouest. Pour le même éditeur, il aborde l’humour sous la signature Jim, entouré des dessinateurs Gaston et Fredman, signant des ouvrages au ton plus léger qui connaissent le succès : « Tous les défauts des mecs », « Jingle Sex », « La Flemme », « L’Amour »… Avec les années 2000, il se sa lance dans une bande dessinée plus exigeante, seul ou en écrivant pour d’autres dessinateurs : « Petites Éclipses » pour Fane chez Casterman, « L’Invitation » chez Vents d’Ouest, « Une nuit à Rome », « Détox », « De beaux moments », « Un petit livre oublié sur un banc »… aux éditions Grand Angle. Longtemps boudé par la critique, Jim prouve que l’on peut être à la fois un auteur populaire et exigeant dans ses créations.
Henri FILIPPINI« L’Étreinte » par Laurent Bonneau et Jim
Éditions Grand Angle (29,90 €) — EAN : 978 2 8189 7915 0