Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Il suffit d’un signe !
Elle est sourde, il est trilingue, pourtant leurs pas vont se croiser et cela va donner une belle histoire comme Akata sait les éditer. Encore un manga de cet éditeur très engagé qui offre une vue bienveillante sur la tolérance, l’acceptation des différences et le vivre ensemble. Des sujets d’actualité, mais avant tout des sujets de société qui sont peu traités en bande dessinée. Comme quoi, il peut vraiment y avoir un manga sur chaque sujet et pour toute personne.
Yuki est une étudiante qui a la particularité d’être sourde : son monde, c’est le silence absolut. Néanmoins, elle vit sa vie comme tous les jeunes adultes :son handicap n’est pas visible. Du coup, quand un étranger lui demande de l’aide dans le métro, elle est bien embêtée. Heureusement, Itsuomi, un camarade de promo va venir renseigner le voyageur. Une fois seule, une discussion toute en silence va commencer entre ces deux étudiants. Une discussion ou le jeune homme va s’efforcer de rendre plus lisible le mouvement de ses lèvres, où il va toucher avec bienveillance Yuki pour la guider, où il va s’intéresser à elle, malgré son handicap. Ils vont se revoir, mais en grand voyageur, Itsuomi est souvent parti à l’étranger : il rencontre énormément de monde et visite différents lieux. Yuki voyage donc par procuration et se rend vite compte que le jeune homme est plus qu’un ami, qu’il a même commencé à apprendre le langage des signes pour qu’ils puissent converser. Pour elle, son horizon s’est élargi. Mais sont-ils faits pour être ensemble, ils semblent si différents ?
Très beau manga réalisés par un duo d’autrices signant sous un nom unique. Elles sont déjà connues en France pour « Hibi Chouchou, Edelweiss et papillons », une série en dix volumes parue chez Panini Manga. L’histoire est toute douce et le dessin en adéquation. On se laisse porter au fil des pages par cette romance qui avance à tâtons, par ces histoires loin d’être muettes, où les pensées fusent sans pouvoir réellement s’exprimer. C’est une plongée au cœur d’un monde qui nous est souvent inconnu, si l’on n’a pas déjà fréquenté une personne sourde.
En faisant se dérouler l’histoire à l’université et non au collègue comme c’est souvent le cas des mangas romantiques, les autrices souhaitent clairement raconter une histoire plus adulte, tout en restant dans la découverte de ses sentiments et la candeur de son héroïne. Itsuomi a déjà parcouru le monde, il est extrêmement mature, alors que Yuki, un peu renfermée du fait de sa surdité, découvre un monde qui lui était inconnu et qu’elle apprécie.
Les éditions Akata sont très engagées dans les questions sociétales. Pour ne citer que les derniers titres, « A Perfect World » aborde le sujet du handicap moteur, « Running Girl » le sport vu par une jeune fille ayant également perdu ses jambes, « En proie au silence » parle du harcèlement, « Si nous étions adultes… » évoque la relation tumultueuse de deux femmes, dont une mariée, « Asana n’est pas hétéro » et « Je crois que mon fils est gay » se veut didactiques sur les questions de l’homosexualité… Bref, Akata est un éditeur engagé sur la pluralité de la condition humaine. Si ces titres peuvent amener le lecteur à s’ouvrir aux autres, ces publications auront au moins servi à ça.
Deux regrets, cependant, il est dommage d’avoir un titre en anglais quand celui-ci n’est pas déjà dans cette langue à l’origine. « A Sign of Affection » étant parfaitement traduisible dans notre belle langue française. Ensuite, les couleurs de la couverture sont assez délavées, comme une mauvaise photocopie dont les jaunes auraient saturé et les rouges seraient devenus fades. Cela donne un côté vieillot à ce titre, alors que le propos est foncièrement moderne. Ce n’est bien sûr pas la faute de l’éditeur qui travaille avec le matériel envoyé par les Japonais, mais il serait dommage de passer à côté de cette très belle histoire, en hésitant dans les rayonnages de sa libraire favorite, face à ce visuel peu engageant.
Comme les éditions Akata ne font jamais les choses à moitié, la vidéo de promotion est silencieuse et en langage des signes. Activez bien les sous-titres pour apprécier le message, ou vous pouvez même vous lancer dans l’apprentissage de cette langue très visuelle. En tout cas, n’hésitez pas à visiter et diffuser la page YouTube de Luaya Otakette : une fan qui se lance dans la chronique de mangas en langage des signes. Voilà enfin une utilisation intelligente de ce service.
« A Sign of Affection » est une très belle histoire à dévorer des yeux, mais également à lire avec le cœur. La série, toujours en cours au Japon, comporte déjà quatre volumes. Le second volume sort début juillet. Voici une belle lecture toute trouvée pour cet été.
Gwenaël JACQUET
« A Sign of Affection » T1 par Suu Morishita
Éditions Akata (6,99 €) – EAN : 2382120258
© suu Morishita / Kodansha Ltd.