Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Les jeunes pousses de la « Green Team » veulent un monde plus vert : entretien avec des auteurs engagés, mais pas moralisateurs…
La Green Team, ce sont deux jeunes jumeaux, Justine et Antonin, qui essayent de convertir à l’écologie leurs parents et leurs amis. Pas d’impératif catégorique pour eux, mais une bonne volonté brouillonne fort communicative. KarinKa et Domas, les auteurs, nous en disent plus sur cette série dont les bons sentiments ne nuisent pas à l’aspect pédagogique ni à un humour omniprésent.
Nous avons fait connaissance avec la Green Team dans un premier volume, « Objectif zéro déchet », remarqué notamment par les jeunes lecteurs du Journal de Mickey qui l’ont nominé pour le Prix Mickey 2020. Les planches-gags du deuxième volume de la série, « Plastik Attack », possèdent les mêmes qualités que celles du tome introductif : personnages attachants, gags bien amenés, discours écologique sans être moralisateur, dessin dynamique et lisible et, cerise biologique sur le gâteau sans gluten : un atelier Green Team, en fin d’album, qui offre aux jeunes lecteurs des fiches bricolo-écolo pour cuisiner des chips d’épluchures ou fabriquer une lanterne d’automne.
Pour en apprendre davantage sur cette série sympathique, dans l’air du temps sans être démagogique, nous avons demandé aux auteurs – Domas (Dominique Malinas) au dessin, KarinKa (Karine Kiseljak) au scénario – de nous en apprendre davantage sur leur travail. Nous les remercions vivement de leur disponibilité.
BDzoom.com :  Bonjour, pouvez-vous nous présenter la série « Green Team » dont vous êtes les auteurs ?Â
Domas : « Green Team » est une série de gag tout public, qui présente une famille nous montrant qu’entre la réalité et les (bonnes) intentions de devenir écolo-responsable, il y a un monde ! Et c’est justement ce monde que nous découvrons dans notre série.
KarinKa : « Green Team », c’est la vie de Justine et Antonin, deux enfants d’aujourd’hui, nés dans un monde un peu fou qui scie la branche sur laquelle il est assis.
Mais bien sûr, comme ils ont huit ans, tout cela est absolument normal, et donc ils font de leur mieux pour changer les choses avec l’énergie de leur huit ans.
BDzoom.com :  Vous êtes-vous inspirés d’enfants de votre proche entourage pour les caractères des quatre personnages principaux ?
Domas : En ce qui me concerne, je me suis surtout occupé d’animer ces personnages, de les rendre vivants ; c’est Karine qui a défini leurs traits de caractère. Mais j’ai pu y retrouver effectivement des aspects que je pouvais rapporter à mes proches. Ainsi, Justine est directement inspirée de mes filles, et Antonin de leur cousin. Je leur ai piqué leurs gestuelles, leurs mimiques, leur énergie. Ce qui fait que c’est toujours un plaisir pour moi de me mettre avec eux à ma table à dessin !
KarinKa : Le caractère de la petite Justine est inspiré de la fille d’un couple d’amis proches. Mais j’interviens pas mal dans les écoles, et les personnages ont sans doute un peu de l’âme de tous ces enfants que je rencontre. Pour le dessin, je sais que Domas s’est inspiré de ses propres enfants. C’est un beau cadeau, car on lit dans son dessin toute sa tendresse et la joie de vivre de ses chipies.
BDzoom.com :  D’où vous est venue l’idée de réaliser une BD sur le thème de l’écologie ?
Domas : L’idée de la série vient de KarinKa. C’est un ami commun, le scénariste Christophe Cazenove, qui nous a mis en lien, pensant que chacun pouvait être intéressé par l’autre. Et il a bien vu ! Seul, ce sujet m’aurait moins inspiré, et certainement pas avec le ton qu’emploie KarinKa, qui fait tout le sel de notre série. Je serai probablement tombé soit dans une critique facile, soit dans un moralisme aussi rébarbatif que le mot rébarbatif.
KarinKa : Tout d’abord, parce que c’est mon quotidien, je fais ma part. Et c’est un quotidien assez joyeux et positif de faire de son mieux pour protéger la nature. Et justement, j’en avais assez de n’entendre parler d’écologie qu’à travers les discours moralisateurs ou catastrophistes de certains médias. Il m’a semblé que peut-être, je pourrais faire ma part pour essayer de changer cette vision austère et déprimante de l’écologie.
 J’ai donc créé cette petite famille et proposé le projet à Domas qui a tout de suite accroché. Je pense qu’on est assez raccord sur le sujet. Il a tout de suite compris l’esprit de la série et donner toute la légèreté et l’humanité qui convenait aux personnages.
BDzoom.com :  Votre discours vert est toujours tempéré par un humour qui met à distance toutes injonctions écologiques péremptoires ; est-ce une volonté d’écrire une BD tout public ou une votre avis sur l’écologie politique ?
Domas : C’est en tout cas ce qui m’a plu dans la proposition de KarinKa. Ne pas être moraliste, ne pas être les « bons élèves », au contraire montrer que cette démarche est complexe, qu’on ne devient pas un ange du jour au lendemain… Voire qu’on ne le devient pas du tout ! Je me suis de fait retrouvé dans l’esprit de cette série. Il y a un côté ironique, qui se situe dans le décalage, encore une fois, entre les intentions et la réalité. Et qui, effectivement, résume assez bien mon avis sur l’écologie politique actuelle.
KarinKa : Pour moi, l’humour était le passage obligé. Le thème est tellement sérieux et dramatique que sans l’humour, je n’aurais pas su le traiter. Et c’est ma façon d’être et de vivre l’écologie aussi. Je n’impose pas, je laisse chacun venir à son rythme et j’essaye de convaincre avec humour.
Mon envie était de montrer le meilleur de l’écologie. Puisque ça me semble le passage obligé, montrer qu’on peut le choisir et le vivre positivement. Ce n’est pas si simple de changer ses habitudes, de se questionner sur sa façon de consommer, d’imaginer notre impact sur la planète… Je suis un peu la famille Green, j’ai envie de faire le meilleur mais parfois c’est compliqué, je rate, je repars en arrière, je me décourage aussi parfois… mais je progresse.
« Green Team » se concentre sur l’écologie quotidienne. Mais bien sûr, cela interroge aussi, justement sur ces injonctions péremptoires et l’écologie politique, les contraintes qu’elles représentent, leurs bénéfices réels, les enjeux économiques et la société de surconsommation qu’elles continuent de préserver malgré tout… et leurs côtés contre-productifs.
BDzoom.com : Quel est votre position par rapport à l’écologie aujourd’hui ?
Domas : Je suis père, j’apprends donc à mes filles à ne pas faire… Ce que j’ai fait ! C’est ma génération (j’ai bientôt 50 ans) qui a installé le principe de la consommation à hauteur d’idéal. Vivre dans un monde de divertissement et de consommable… Il me semble que notre responsabilité serait de sortir de l’idée de croissance perpétuelle, qui provoque ces aberrations écologiques : fermes de 1 000 vaches, batteries provenant de mines exploitées par des enfants, vêtements produits par des prisonniers politiques à l’autre bout du monde… Plus concrètement, j’ai un compost, un potager, je fais mes propres plats cuisinés, j’ai un beau-frère qui me donne ses vêtements… Et je compte passer du diesel à l’essence, avec pour objectif de passer un jour au nucléaire. Euh, à l’électrique, je veux dire.
KarinKa : Il y a urgence, c’est sûr, urgence à prendre conscience et à intégrer aussi la dimension sociale à l’écologie. En cette période un peu particulière, j’entends souvent s’alarmer des créances de l’état, de la dette publique. Je ne dis pas que ce n’est pas important, mais la dette qui m’inquiète vraiment, celle qui ne pardonnera pas, c’est celle que nous creusons avec la planète. On vit à crédit sur la Terre à consommer ses ressources sans compter, et sans en avoir conscience. Le jour du dépassement, jour à partir duquel l’humanité a consommé plus de ressources naturelles que la Terre peut fournir, arrive chaque année un peu plus tôt.
On a tous notre part à faire pour que ce jour recule. C’est là que la dimension sociale intervient. La solidarité, l’entraide, la compréhension… Il va aussi falloir que l’écologie politique se montre à la hauteur du rendez-vous, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, tous partis confondus.
BDzoom.com :  Avez-vous testés les appareils créés par les fiches bricolo-écolo que l’on trouve en fin d’album ?
Domas : Nous avons un hôtel pour abeilles dans le potager, et du miel dans les oreilles quand les oiseaux chantent. Ma cadette a dû faire une boite à gouter… à chaque gouter ! Et des lanternes d’automne à chaque automne (du coup, on a plus de boites à gouter). On a essayé une fois les chips d’épluchures, mais ça nous ennuyait de priver les vers de notre compost. Quant au Mölkky, les rouleaux de PQ s’empilent depuis quelques temps dans nos toilettes. Dans une boite à gouter recyclée en boite à rouleaux de PQ !
KarinKa : Bien sûr ! J’ai même un petit chêne sur mon balcon et une nurserie d’abeilles solitaires qui devraient bientôt éclore…
BDzoom.com :  Comment voyez-vous l’avenir de la série et accessoirement l’avenir du monde ? Est-il lié aux bons gestes à adopter dès le plus jeune âge ?
Domas : Au-delà du succès public, l’avenir de notre série dépend du soutien de notre éditeur, et du coup je lui vois un avenir, car les éditions Kennes montrent qu’elles soutiennent au mieux leurs projets. Le tome 3 est déjà sur les rails ! Avec les annulations de festivals qui se succèdent depuis l’année dernière, il n’est pas évident de rencontrer le public, et de découvrir son ressenti, mais les quelques interventions scolaires que j’ai pu faire m’ont montré que les enfants apprécient la série.
Sur le fond, ce sera à KarinKa de faire évoluer la série, et je ne sais pas dans quelle direction elle choisira d’aller. Elle me propose bien sûr de lui donner mes envies, mes idées éventuelles, mais j’aime rester un peu en retrait de cet aspect de la création de notre série !
Quant à l’avenir du monde, si j’avais une idée, je dois dire que celle-ci a été anéantie par la crise du Covid. Elle a fait surgir des problématiques inédites, montré des chemins envisageables pour améliorer la situation, et confirmé que nous sommes aveugles collectivement, aux deux. Je ne sais pas quel sera l’avenir, mais je pense que si nous voulons qu’il soit vers le mieux, il faut que nous réapprenions à faire société.
KarinKa : L’avenir de la série dépend des lecteurs, bien sûr. J’espère que la rencontre aura lieu malgré la période compliquée… D’ailleurs, en ces temps compliqués, je veux souligner le rôle précieux de notre éditeur, Kennes, et les remercier pour leur soutien et leur confiance puisque le tome 1 a été réimprimé et le tome 3 est déjà en route.
Bien sûr, J’aimerais que la série vive longtemps et raconter un beau jour, les aventures d’Antonin et de Justine dans un monde en harmonie et en équilibre avec la Nature. Je ne sais pas de quoi demain sera fait, mais j’ai espoir qu’en étant solidaire on va y arriver. Il le faut ! Pour toutes les petites Justine et les petits Antonin de ce Monde.
Laurent LESSOUS (l@bd)
« Green Team T2 : Plastik Attack » par Domas et KarinKa
Éditions Kennes (10,95 €) – EAN : 978-2-3807-5199-4