Dix ans après la parution de « Résurrection », la première partie d’un diptyque accouché dans la douleur, voici enfin « Révélations » : conclusion du dernier récit du regretté Philippe Tome, décédé alors qu’il travaillait sur les dernières pages de son scénario. Les éditions Dupuis proposent, enfin, l’intégralité de cette aventure magistralement dessinée par Dan Verlinden, digne successeur de ses deux prédécesseurs : Luc Warnant et Bruno Gazzotti.
Lire la suite...« Les Gens de rien T1 : Jusqu’au printemps » : toutes les saisons pour espérer…
Il y a des patientes qui changent la vie de leurs médecins. Marie, ancienne professeure de CP venue tardivement soigner son cancer à la gorge, est de ces femmes dont la force de caractère donne envie de redécouvrir toute l’existence. À la fois docteur et auteur de bande dessinée, Charles Masson raconte, grâce aux confidences de son amie d’enfance Louise, la vie de celle qui consacra son existence aux autres. Entre rires, émotions et mélancolie, les « Gens de rien » ont tant à offrir, au printemps comme en hiver…
Si un one shot de 88 pages couleurs paraît bel et bien ce 17 mars aux éditions Delcourt, voyons qu’il vient consacrer une formule encore assez rare en terme d’offre numérique. La gratuité ! Ou presque : car, depuis le 31 janvier (et « Jusqu’au printemps », selon le sous-titre de cet ouvrage), les intéressés peuvent découvrir les différents chapitres de cette émouvante histoire dans une version interactive disponible sur le site dédié (https://bd-jusquau-printemps.com/version-interactive/). En déroulant case après case le récit sur la droite de son écran, le lecteur a ainsi la surprise de découvrir quelques discrets effets d’animation (ici, un arrière-plan ; là, des vagues ; ailleurs encore, de la neige) qui confèrent une atmosphère plus ou moins nostalgique à l’ensemble. Au fil des saisons et des années, les amies Louise et Marie s’interrogent, découvrent la joie des colonies (où elles sont monitrices), affrontent les bonheurs et aléas de la vie : la première se mariera et aura des enfants, la seconde préférera le célibat, tout en choisissant le fier métier d’institutrice.
C’est au chapitre 3 que Marie, désormais âgée, rencontre Charles Masson pour un examen de la gorge. « J’ai été obligé de lui dire que c’était grave » avoue l’auteur-praticien. Dès lors, la tonalité du récit change de cap : plus incertaine, plus amère, plus ironique encore. Et encore plus humaniste : si le style graphique est alerte, souvent auréolé d’une seule palette chromatique (une par saison, sempiternel pull rouge de Marie mis à part), il n’en est pas moins précis. Expressions, gestes, vêtements, objets du quotidien (des années 1960 à nos jours), témoignent à leur manière du passage du temps, de la valse des rencontres, de la palette des différences, de la discrétion de cette héroïne du quotidien immergée dans sa volonté de transmettre aux « sans dents » (comprendre les enfants de cinq ans et demi à sept ans).
On le comprendra relativement vite au fil des chapitres (les planches étant recomposées pour le passage en album) : Charles Masson a rencontré Marie en consultation. Comme cette dernière est arrivée trop tard pour soigner son cancer à la gorge, il va l’accompagner jusqu’à l’issue tristement certaine de sa maladie. Touché par la force de caractère de sa patiente, très isolée, il décide d’en apprendre davantage sur elle grâce aux confidences de sa meilleure amie, Louise.
Marie est cette femme, âgée mais visiblement sereine, que nous découvrons à son balcon en couverture. Au dehors, le printemps s’est installé. Un rouge-gorge chantonne au premier plan, sur un parterre de grandes fleurs de magnolia en forme de tulipe rosées. La brise dans le rideau, la dégustation du thé ou café, l’animal de compagnie curieux, la paisible luminosité autant que la nature ragaillardie, tout concoure là encore à une vision relativement enchanteresse de l’existence. « Jusqu’au printemps » souligne toutefois un terme, une fin à cette vie qui se sera écoulée comme tant d’autres. Des « Gens de rien » à « ceux qui ne sont rien » (pour reprendre une expression présidentielle polémique de 2017 ; les « sans-dents » renvoyant par ailleurs à François Hollande), autant de qualificatifs qui rejoignent l’histoire de la pauvreté dans le France des XIXe au XXIe siècles. Démunie en apprenant le pire, Marie va tisser une nouvelle relation avec son médecin, lequel lui apporte un soutien indéfectible. Un soin au-delà du soin, car passant par l’empathie, la psychologie, le dialogue, la découverte d’autrui. Au final, l’ouvrage livre comme on s’en doute un très beau portrait de femme, tout en s’interrogeant sur le juste positionnement du corps médical face à la détresse de sa patientèle. Intitulé comme étant le premier tome de « Les Gens de rien », l’ouvrage laisse espérer d’autres rencontres de Charles Masson et d’autres témoignages aussi forts que celui-ci.
Philippe TOMBLAINE
« Les Gens de rien T1 : Jusqu’au printemps » par Charles Masson
Éditions Delcourt (13,95 €) – EAN : 978-2413037507