« La Météorite de Hodges » par Fabien Roché : une autre peur tombée du ciel !

L’histoire est pour le moins insolite : en novembre 1954, dans l’Alabama, Ann Elizabeth Hodges est subitement frappée sur son canapé par… une météorite qui vient de traverser le toit de sa maison ! Revenant sur cet étrange fait divers, Fabien Roché livre un passionnant album-enquête, démultipliant les cases et les points de vue pour nous faire découvrir cette histoire incroyable-mais-vraie sous tous les angles : personnel, astronomique, historique, judiciaire, poétique… et graphique. Des astres et catastrophe ? Oui, mais avec des étoiles plein les yeux.

Ann Elizabeth Hodges, marquée à vie (planche 8 - Delcourt, 2021).

Fascinante invitation au rêve et au fait d’admirer le ciel, le visuel de couverture nous plonge entre chien et loup, dans une douce atmosphère crépusculaire. Sous le titre, quelques maisons éparses aux fenêtres allumées s’étirent en ombres chinoises sur un terrain rectiligne, entre les arbres. Outre le style architectural et l’absence de haies ou de clôtures, c’est l’association visuelle de ces pavillons avec un titre-nom partiellement anglo-saxon (Hodges) qui viendra déterminer le contexte américain. Au-dessus, les deux tiers de la couverture sont consacrés au ciel nocturne étoilé : au centre, une vue en buste inversé d’Ann Elizabeth Hodges. Les yeux clos, les traits fermés mais sereins, caractérisent le moment le plus marquant de la vie de cette femme. Cette dernière était effectivement endormie sur son canapé lorsque, à 12h46, un fragment de météorite vint la frapper. Symboliquement placé entre micro (le focus sur un être humain) et macro (tout l’univers en perspective contemplative ou redoutée), le visuel de couverture use de la relation métonymique et de la métaphore : Hodges devient elle-même une météorite, dont l’aventure personnelle va télescoper le destin de la municipalité d’Oak Grove, l’un des faubourgs de la ville de Sylacauga (Alabama). Un an plus tôt, en mai 1953, était sorti sur les écrans « It Came from Outer Space », film SF de Jack Arnold traduit en français sous le titre « Le Météore de la nuit », où une étrange météorite s’écrasait en Arizona…

Une famille (et une toiture...) impactée (Delcourt, 2021).

Résumons les faits connus : en début d’après-midi, le 30 novembre 1954, une météorite traverse l’atmosphère et se fragmente en trois parties au-dessus de l’Alabama, dont le fragment Hodges pesant 3,86 kg. De la taille d’un ananas, il traverse le toit, rebondit sur un meuble en bois, heurte la radio et percute Ann Elizabeth avant de finir sa course au sol. La jeune femme de 34 ans s’en tire miraculeusement avec des contusions à la hanche et à la main, ainsi qu’une sombre trace à l’aine, laquelle demeurera quelques jours comme indélébile. Les médias s’emparent de ce fait divers hors du commun : tandis que l’affaire est relatée dans Life, Ann est interviewée par la télévision et reçoit 3500 lettres venues du monde entier. Cependant, l’United State Air Forces réquisitionne le morceau de météorite, en dépit des protestations du mari qui a déjà trouvé de nombreux acquéreurs ; on lui propose plus de 5000 dollars, une somme qui permettrait de réparer les dégâts de la toiture. Mais, si l’USAF restitue la météorite de Hodges (également connue sous le nom de météorite de Sylacauga) assez rapidement, les Hodges perdent du temps (et de l’argent) dans un procès entamé par le propriétaire de leur maison. Quand tout est réglé, il est trop tard : la ferveur médiatique est retombée et nul ne s’intéresse plus à ce caillou tombé du ciel. Ne trouvant plus d’acheteurs, Ann se décidera à en faire cadeau au Muséum d’Histoire naturelle de l’Alabama en 1956. Ann Elizabeth décédera en 1972, son couple ayant été détruit par les conséquences à long terme de cet accident.

Photos et coupure de presse relatant les faits en 1954.

Si pareille mésaventure était peut-être déjà arrivée à un Milanais en 1677, Ann Elizeth Hodges reste la seule femme – et longtemps le seul cas connu dans l’histoire contemporaine – à avoir été heurtée par un corps d’origine extraterrestre. Plus récemment, en 2016, une météorite a causé la mort d’un homme en Inde. Remontant la piste de tels cas, des chercheurs ont également identifié une autre victime en 1888, dans l’Irak actuel. Des affaires et des risques qui demeurent exceptionnellement rares, alors que, chaque jour, selon le CNES (Centre National d’Études Spatiales), entre 100 et 1000 tonnes de matières extraterrestres rentrent en contact avec la Terre, essentiellement sous forme de poussières. Le risque d’être directement touché par un impact météoritique est de 1 sur 100 milliards, soit un être humain par décennie : pas de quoi troubler outre mesure votre sommeil, même dans le pays de ceux « qui ne craignent qu’une chose : que le ciel leur tombe sur la tête »…

Un destin malmené par le hasard (Delcourt, 2021).

Graphiquement, l’album de Fabien Roché (jeune auteur, actif dans La Revue dessinée) est d’une grande inventivité visuelle : grandes ou petites cases ; récitatifs, bulles ou voix off ; coupures de presse, lettres, panneaux et publicités ; interrogations multiples sur le rôle d’une météorite (par exemple : devenir un objet de vénération !), sur les doutes et inquiétudes des protagonistes ou sur la philosophie des médias. Ce one shot de 64 pages traitées en bichromie verte et jaune n’exclue pas l’humour : un insecte s’y livre dans une amusante version… Un livre qui ne demeurera pas une étoile filante, puisque interrogeant en fait de compte sur les rêves et angoisses de tout un chacun sous les cieux inconnus, entre croyances et fantasmes : où comment la « Peur tombée du ciel » peut métamorphoser les humains, contexte des années 1950 oblige.

En octobre 2018, la météorite de Hodges fut prêtée au Muséum d'Histoire naturelle de Paris pour une exposition dédiée (affiche officielle ©M.N.H.N.- Jean-Christophe Domenech, Evantias-Chaudat et Mikhail-Kolesnikov).


Philippe TOMBLAINE

« La Météorite de Hodges » par Fabien Roché
Éditions Delcourt (18,95 €) – EAN : 978-2413013259

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