Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Il faut flinguer Ramirez T2 » : 50 % réparateur, 50 % machine, 1980 % Robotop !
Mais qui en veut à Jacques Ramirez, récemment élu meilleur réparateur de la firme Robotop ? Le géant de l’électroménager, installé à Falcon City (Arizona), ne s’attendait certainement pas à voir le lancement de son Vacuumizer 2000 se transformer en une explosive scène de crime… Autorités et cartel mexicain de Paso del Rio pensent en effet que la grosse moustache et les pantalons trop courts du muet Ramirez cachent une identité bien plus redoutable : celle d’un tueur et traître légendaire, désormais en fuite avec deux starlettes ! Nicolas Pétrimaux livre l’acte 2 d’un thriller déchaîné : un road movie dantesque truffé de références aux années ’80 et ’90, d’un humour acide et de personnages cultes. Si vous cherchiez encore l’équivalent graphique du style Tarantino, vous pouvez arrêter votre aspirateur…
Paru chez Glénat en mai 2018, l’« Acte 1 » d’« Il faut flinguer Ramirez » avait fait forte impression (plus de 100 000 exemplaires vendus à ce jour), en servant un réjouissant hommage aux films d’action des années 1980, desservi par des dialogues et des cadrages que n’auraient renié ni William Friedkin (« Police fédérale Los Angeles », 1985), ni Richard Donner (« L’Arme fatale », 1987) ni – bien sûr – le duo Quentin Tarantino/Robert Rodriguez (« Une nuit en enfer » en 1996 ; « Kill Bill : volume 2 » en 2004). Nicolas Pétrimaux lui-même, successivement passé depuis 2004 par le développement de jeux sur mobiles, le story-board, les effets spéciaux numériques, le court-métrage (« Allo Zombie » en 2007), l’illustration, l’art-book créatif (label CFSL Ink), le jeu vidéo (« Graymatter » en 2011 ; « Dishonored 2 » en 2016) et la bande dessinée (les trois tomes de « Zombies Nechronologies », entre 2014 et 2017 chez Soleil) en connaît un rayon sur l’art et la manière de visualiser ce nouvel univers. Particulièrement denses en matières de dialogues et d’images, les deux volumes d’« Il faut flinguer Ramirez » (respectivement 114 et 192 pages) sont savoureusement complétés par nombre de fausses publicités, extraits de presse (journaux ou magazines people) et autres encarts additionnels, tous plus délirants les uns que les autres. Dans ce jeu parodique, tout ce qui se rattache à la vraie-fausse entreprise Robotop élève l’art de l’autoréférence à des sommets : méticuleux, l’auteur a pris un évident plaisir (et sans doute un temps fou !) à cacher ça et là (parfois dans un coin de case, derrière un dialogue ou une case en apparence anodine) des logos, affiches (les couvertures étant elles-mêmes des affiches, à moins que ce ne soit l’inverse…), marques, titres, labels, noms, textes techniques ou mentions légales ne renvoyant à rien d’autres qu’au dérisoire, à la blague potache, à l’expression des vices ou à la critique du consumérisme à l’occidental.
Employé modèle relativement surprenant de par sa dextérité à tout réparer en un clin d’œil, Jacques Ramirez est pourtant l’antihéros par excellence : physique ingrat, petite taille, coiffure improbable et look terne. Seule la tâche de naissance qui orne son visage ne passe pas inaperçue, en tout cas du point de vue des hommes du cartel mexicain, hantés par la légende noire d’un tueur décimateur, dont l’identité est demeurée inconnue de ses propres employeurs. Renvoyé au statut d’ombre en arrière-plan du visuel du premier tome, Ramirez est aussi omniprésent que fantomatique dans un récit qui laisse par conséquent la part belle aux seconds rôles archétypaux, mafieux cyniques, belles de l’Ouest, flics verbeux, fusillades, cascades, robots ménagers improbables et autres gadgets automobiles dignes de ceux de James Bond (voir le tome 2). Jacques Ramirez n’est pas à considérer pour autant comme un personnage creux : hanté par la disparition de son épouse, n’aspirant qu’à passer un agréable séjour à Stone Creek afin de tourner la page, on découvrira peu à peu des pans entiers de son passé, au fil de séquences flashback qui lèvent aussi certains secrets familiaux (mais chut, n’en disons pas trop, nous serions obligés de vous liquider). Placé à la croisée des genres (thriller, road movie, western spaghetti, comédie policière et même film de guerre à la manière d’« Il faut sauver le soldat Ryan »), le titre ne fait ainsi que connoter le standard de série B (ou Z comme Ramirez…) d’un récit qui lorgne sans cesse vers le hors-piste et la contrefaçon des mythes US (fétichismes des armes, du pouvoir et de la religion), tous férocement phagocytés par le style postmoderne. Sous couvert de pastiches ou de rebondissements plus ou moins attendus, force est de reconnaître que le lecteur sera plus d’une fois surpris par le sort – ou le ressort… – réservé dans l’intrigue à tel ou tel personnage. Car, si Ramirez (nom banal au demeurant) n’est pas ce qu’il est, quel est-il au juste ? Comment s’en sort-il ? Qui l’aide dans l’ombre ? Tout n’étant histoire que de famille, de trahison, d’honneur et de gros sous, à qui profite donc le crime si ce n’est à Hector Rodriguez, baron de la drogue local aussi inquiétant qu’inquiété par la tournure que prennent les événements…
Décor majestueux de l’Arizona oblige, du Grand Canyon à une station service ou un motel isolé (« Psychose », 1960), toutes les images suralimentent cet album qui tourne à plein régime référentiel : les deux braqueuses Dakota Smith et Chelsea Tyler, stars du showbiz en cavale, sont ainsi les dignes émules de « Thelma et Louise » (Ridley Scott, 1991), les flics ou gangsters sont hérités de « L’Épreuve de force » (Clint Eastwood, 1977) ou de « Sicario » (Denis Villeneuve, 2015). Si ces références cinématographiques sont perceptibles, n’oublions pas que l’univers visuel de Pétrimaux (que l’on pourra qualifier de véritable comic book à la française) est entièrement irrigué par sa connaissance du jeu vidéo : nombre de lecteurs et joueurs auront ainsi tôt fait de tracer des parallèles entre ces albums et les sagas cultes « GTA » (Rockstar Games, depuis 1997) et « Mafia » (Gathering of Developers et 2K Games, 2002-2020). Signe des temps et marqueur ambiant, la bande originale des divers « GTA » reprenait nombre de titres (connus ou inédits) renvoyant aux années 1980-2000. « Il faut flinguer Ramirez » fait de même avec une piste téléchargeable grâce à un QR code ; idem pour la bande-annonce résumant le tome 1. D’autres bonus sont disséminés sur le site officiel de la série (http://www.flinguerramirez.com/), pour le plus grand bonheur des fans de Jacques Ramirez et de son inséparable Vacuumizer 2000 ! Tous les outils et toutes les armes pour aspirer au succès, le tome 1 ayant par ailleurs déjà été intégré dans les sélections du prix BD Fnac Inter et du FIBD d’Angoulême en 2019… Mais soyez patients : car la suite n’arrivera pas avant 2022. À défaut de pouvoir flinguer Ramirez, il faudra apprendre à tuer le temps.
Philippe TOMBLAINE
« Il faut flinguer Ramirez T2 » par Nicolas Pétrimeaux
Éditions Glénat (22,95 €) – EAN : 978-2344018743