Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
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Avec « Les Soldats de Salamine », rien à voir avec la bataille grecque et navale de Salamine. Dans ce roman paru en 2001 (traduit chez Actes Sud en 2002, porté au cinéma en 2003), l’écrivain espagnol Javier Cercas signait un récit sur des héros discutables ou anonymes de la Guerre d’Espagne, les héros d’un roman étonnant, notamment parce que le personnage central est l’écrivain Rafael Sanchez Mazas, considéré comme le premier fasciste d’Espagne…
Rafael Sánchez Mazas (1894-1966) fait partie de ces intellectuels et artistes dont les idées fascisantes et franquistes les écartent de toute réhabilitation morale. Fasciné par Mussolini lors d’un séjour en Italie, en 1922, et après plusieurs années passées sur place, Mazas, à son retour en Espagne, y diffuse son idéologie au point d’être considéré comme le membre fondateur de la Phalange espagnole. C’est l’existence de cet homme aux idées contestables qui est au centre de ce roman. Dans l’album, une soixantaine de pages, sur papier jaune, évoque sa vie pendant la guerre civile espagnole et constitue un récit encadré par un autre, plus intéressant en soi. La BD est en cela construite comme le roman en trois parties : la première raconte comment le narrateur écrivain apprend l’histoire de l’exécution manquée de Mazas et comment ce dernier en a réchappé. En effet, si Mazas n’est pas mort pendant la guerre civile, il le doit à un Républicain, un jeune soldat qui, alors que Mazas vient de fuir le peloton d’exécution, le découvre, mais lui laisse la vie sauve. Pourquoi ce jeune soldat laisse-t-il en vie un des responsables de la dictature fasciste ?
En fait, c’est Javier Cercas qui est au centre du récit : l’auteur du roman ; en tout cas, le personnage dépressif qu’il joue dans ce récit, un écrivain en mal d’inspiration qui fait de petits boulots de journaliste. Un jour, il tombe sur le cas Mazas qui l’intrigue et le ranime, ni plus ni moins. Il se met donc à enquêter sur cet individu de sinistre renommée disparu près de 30 ans auparavant, l’action se situant en 1994.
 La deuxième partie est ainsi la restitution de son enquête documentée sur la vie de Mazas, mais la troisième partie évoque, elle, les doutes du narrateur sur la possibilité de terminer son livre et sur ce qui caractérise un héros. Il lui manque la réponse à la question : qui est donc ce jeune républicain qui a sauvé la peau de Mazas et pourquoi l’a-t-il fait ? Ce roman original a fait l’objet d’une brillante analyse (qui vaut aussi pour la bande dessinée et à laquelle nous renvoyons) indiquant, par exemple : « le titre énigmatique du roman de Cercas invite à démêler l’écheveau complexe des rapports entre histoire, roman, fiction, mémoire et légende. »
Encore un mot sur le dessin : José Pablo Garcia, sans effet de manche, donne parfaitement vie à ce récit composée récits fort différents dans leur inspiration et leur traitement et qui se lit autant comme un regard particulier sur la Guerre d’Espagne que comme une réflexion sur l’écriture romanesque et ses rapports avec la vérité historique.
Didier QUELLA-GUYOTÂ ; http://bdzoom.com/author/DidierQG/
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« Les Soldats de Salamine » par José Pablo Garcia, d’après Javier Cercas
Éditions Actes Sud BD (22 €) – EAN : 9782330141929