Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Peuples exterminés…
Les éditions La Boîte à bulles publient simultanément deux albums qui renvoient à l’éradication d’un peuple par la folie d’un groupe (Les Khmers rouges, dans un cas), ou d’une idéologie religieuse (l’État islamique à l’encontre des Yésidis, dans l’autre). Au Cambodge dans les années 1970, ou en Irak tout récemment, c’est la même barbarie meurtrière, la même absurdité politico-démente qu’évoquent, chacun à leur manière, ces deux ouvrages…
Entre 1975 et 1979, un mouvement politique militaire au communisme radical prend le pouvoir au Cambodge. Les Khmers rouges ou Angkar, ce qui signifie « organisation », réorganise effectivement tout, envoyant dans les campagnes les citadins et éliminant purement et simplement ce qui ressemble à un intellectuel ou un artiste. Bilan de cette dictature esclavagiste d’une extrême violence : environ 2 000 000 de morts !
Il reste à Phnom Penh un lieu devenu mémoriel, le lycée devenu centre de détention et de torture (le trop célèbre S-21) transformé depuis en musée du génocide cambodgien. C’est dans cette prison qu’est enfermé Vann Nath, accusé de « violation du code moral ». Ce tout jeune peintre est contraint de mettre son talent au service de ses bourreaux pour survivre. C’est le calvaire de ces années de maltraitance inouïe que raconte le scénariste et que dessine en noir et blanc le dessinateur. Par la suite, Vann Nath, décédé en 2011 à 65 ans, a voulu traduire par la peinture ce qu’il a vu, subi, entendu. Il témoignera au procès de Duch, le tortionnaire du S-21. En fin d’album, une douzaine de peintures de Vann Nath sont reproduites.
Dans un graphisme très différent (le trait crayonné est spontané et efficace, et les couleurs sont séduisantes), deux auteurs danois abordent le sort d’un autre peuple particulièrement maltraité : les Yézidis. Ces derniers portent en eux des croyances ancestrales qui remonteraient à l’Iran ancien, croyances à cause desquelles ils ont très souvent été les victimes de conflits.
En août 2014, leur survie se joue dans le Shingal (ou Sinjar), une région montagneuse de l’Irak. Là , l’État islamique massacre ceux qui ne veulent pas se convertir à l’Islam. Les Yézidis tentent alors de résister mais lâchés par les troupes peshmergas, ils sont exécutés en masse et des milliers de femmes enlevées sont torturées, violées et réduites à l’esclavage sexuel. Les quatre pages de postface de Tore Rorbaek sont très éclairantes sur sa méthode de travail, puisqu’il s’agissait pour lui « de retranscrire le contexte et l’arrière-plan du génocide sans se délecter des souffrances humaines », ce qu’il a parfaitement réussi en séjournant sur place, en recueillant de nombreux témoignages, bref en réalisant un vrai travail de journaliste.
Didier QUELLA-GUYOTÂ ; http://bdzoom.com/author/DidierQG/
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« Vann Nath, le peintre des Khmers Rouges » par Paolo Castaldi et Matteo Mastragostino
Éditions La Boîte à bulles (22 €) – EAN : 9782849533796
« Shingal » par Mikkel Sommer et Tore Rorbaek
Éditions La Boîte à bulles (20 €) – EAN : 9782849533789
Beuh. … sur le même sujet, mais en bien plus beau Sera a publié plusieurs livres.