Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
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S’il est un pays dont le devenir est incertain depuis la chute de Kadhafi, en 2011, c’est bien la Libye. Que s’y passe-t-il ? Que devient-elle ? Que peut-elle devenir ? C’est un peu à toutes ces questions, complexes, que les auteurs tentent de répondre, en 144 pages : l’occasion, pour le lecteur, de se faire une idée sur la situation plus que délicate du pays…
Le premier chapitre est totalement consacré à la prison Abou Salim, qui fut de triste mémoire, le lieu d’un carnage incroyable. C’était en 1996. Dans l’album, la journaliste qui tente de réaliser un reportage sur le pays interroge Hussein, un des rares survivants de la prison. Hussein évoque des hommes qu’il a connus et qui y furent assassinés et ces femmes sans nouvelles qui venaient apporter linge ou nourriture. 1 270 détenus pour la plupart politique furent assassinés en 14 heures ! L’horreur intégrale !
Depuis la chute du tyran, la Libye ne s’est pas relevée. Elle reste notamment dominée par le drame des migrants qui passent par le pays pour atteindre l’Europe, via Lampedusa notamment. Un ignoble commerce de clandestins s’y est installé enrichissant les uns, mais envoyant à la mort beaucoup d’autres. L’auteure évoque dans le détail les mécanismes, les méthodes et les pseudo garde-côtes, puisque tout le monde sur la côte profite du trafic d’êtres humains, « marchandise » qu’on expédie vers la liberté et plus sûrement vers la mort sans état d’âme. La scénariste évoque ainsi le sort des femmes, telle Wered, 16 ans, « passée de l’enfer érythréen fait de dictature et de famine à l’enfer libyen, fait de sévices et de viols ».
Alors qu’espérer de ce pays ? Rien de très motivant, si l’on en croit le poids de la corruption généralisée par les milices et autres brigades. C’est à la fois un pays riche (principales réserves de pétrole d’Afrique !) et un pays où une partie de la population soumet l’autre : les ambitions tribales, politiques, militaires sont au service de milices toutes puissantes et les derniers événements n’ont manifestement pas fait reculer leurs lignes, au contraire.
Si l’ensemble de l’album construit un paysage clair et documenté de la situation libyenne, l’album vaut aussi pour sa réalisation graphique. En noir et blanc, Gianluca Costantini compose en effet des pages atypiques, faites dessins qui s’imbriquent savamment, se superposent, multipliant des montages efficaces et vivants. Les personnages sont omniprésents sur des décors finement traités, ce qui donne beaucoup de vie et d’émotion à ces portraits de Libyens désespérés et fatalistes, que l’Europe n’est pas parvenue à protéger.
Didier QUELLA-GUYOTÂ ; http://bdzoom.com/author/DidierQG/
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« Lybie » par Gianluca Costantini et Fransesca Mannochi
Éditions Rackham (19 €)- EAN : 9782878272444
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