Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Pachinko, ton univers impitoyable…
Cela commence à devenir courant de pouvoir lire des mangas parlant du travail de mangakas. Mais il y en a très peu sur un métier pourtant proche : celui de designers graphiques. Et il y en a encore moins sur le pachinko. De quoi ? Vous ne savez même pas ce que c’est ? Logique, c’est un type de divertissement cher et bruyant qui n’est populaire qu’au Japon.
Quand Tamako Ogura a postulé comme graphiste dans une petite agence, elle ne pensait pas être embauchée. Son entretien s’est assez mal passé : timide, elle n’arrivait pas à s’exprimer et ses concurrents montraient une telle connaissance du métier que, pour elle, cela semblait perdu d’avance. Mais c’était sans compter sur le patron qui a débarqué, alors que tout semblait bouclé. Il a sapé tout le travail déjà réalisé par ses employés pour jeter son dévolu sur la jeune Tamako sous prétexte « qu’elle a un bon regard ». Maintenant, il faut faire ses preuves en réalisant la communication de ces machines à billes infernales que sont les pachinkos. Un univers totalement inconnu pour cette jeune fille fraîchement diplômée. Horaires à rallonge et deadlines intenables vont devenir son quotidien. Heureusement, il y a le reste de l’équipe qui sait se montrer bienveillant, la plupart du temps.
Le Japon regorge de salle de pachinkos : un jeu d’argent facile que l’on nomme souvent flipper vertical japonais. L’analogie est risquée : outre le fait d’envoyer une bille de métal que l’on voit se balader derrière une vitre, ce jeu repose principalement sur le hasard. Alignées verticalement dans des salles souvent petites, bariolées et mal éclairées avec des néons de couleurs, les machines de pachinko sont des boîtes où le joueur envoie des centaines de billes les une après les autres. Elles descendent sur la surface abrupte en frappant un alignement de clous de métal, font tourner des roues multicolores pour, à l’arrivée, donner un certain nombre de points en fonction des endroits successivement touchés et des motifs ainsi alignés. Le tout, dans un bruit infernal et incessant du métal contre métal. Le joueur espère ainsi récupérer un cadeau souvent symbolique. Les jeux d’argents étant interdits, ces cadeaux sont parfois immédiatement échangés contre d’autres choses, voire des yens, dans la boutique attenante. Ce jeu reste bien étrange pour les non-Japonais, même s’il est un dérivé de certaines machines à sous-venue d’Amérique ou d’Europe. Ce passe-temps fait fureur dans l’archipel, où le bruit caractéristique et assourdissant des billes qui frappent les clous de métal est bien connu. Chaque ville a au moins une salle de pachinko qui peut être accolée à d’autres salles d’arcades, souvent détenue par le même propriétaire. Ce genre d’endroit n’a pas spécialement bonne réputation, car elles sont souvent tenues par des familles de yakuzas, mais fait aussi partie du folklore et de l’identité japonaise.
Le lecteur n’a pas vraiment besoin de connaître le pachinko pour rentrer dans l’histoire. D’ailleurs, l’héroïne ne s’y connaît pas vraiment. Ce qui nous intéresse, c’est son métier de graphiste, la découverte de ses contraintes de travail et surtout ses relations avec ses collègues, et peut être l’amour qu’elle va rencontrer sur place. C’est une profession prenante qui ne nous permettra pas vraiment de voir sa vie personnelle, car justement elle n’en a plus beaucoup. Même si, au départ, ce studio de design n’était pas son premier choix, elle s’y est bien intégrée. Ce n’est qu’un premier boulot après tout !
À mi-chemin entre le shōnen et le shōjo, ce manga peut toucher un public extrêmement large. C’est amusant, bien construit, cela avance vite et c’est parfois déjanté : à l’image de l’activité. L’ambiance et le dessin font un peu penser à ceux d’Akiko Higashimura (« Princess Jellyfish ») mélangé avec la candeur d’une série comme « March Comes in Like a Lion ». Le cadrage est dynamique, souvent fait de cases éclatées ou aux bords inclinés. Les couvertures aux couleurs criardes et minimalistes sont bien représentatives de l’ambiance intérieure. Sur le premier volume, l’héroïne est manifestement débordée et doit gérer plusieurs taches simultanément. Même si le vert d’eau du fond est censé être apaisant, il contraste avec la tenue orange qui fait ressortir le caractère d’urgence de la situation. Sur le second, Tama déplace une caisse de bille de pachinko manifestement assez lourde. La plongée accentuant son visage crispé et la couleur rouge dramatisant encore plus la scène. Le troisième volume annoncé pour septembre 2020 aura un fond vert pomme d’où ressort une jeune fille dubitative. Ces couvertures simples, différente des versions japonaises, interpellent forcément l’œil du lecteur potentiel, lequel parcourt le linéaire des nouveaux mangas. Les illustrations au verso de ces trois premiers tomes mettent en scène le leitmotiv métro, boulot, dodo, affiché comme une maxime sur chaque volume.
Clôturé en seulement quatre volumes, « First Job New Life » est une série courte qui permet de découvrir à la fois le métier de graphiste publicitaire et l’univers du pachinko. Il est regrettable de constater que Nemu Yoko, son autrice, soit peu connue en France : mais peut être que ce titre n’est que le premier avant de voir ses autres séries, pour la plupart courtes, arrivées en français.
Gwenaël JACQUET
« First Job New Life » par Nemu Yoko
Éditions Kana (7,45 €) – EAN : 9782505080978
GOZEN 3JI No KIKENCHITAI ©NEMU YOKO 2010