Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Les filles peuvent aussi être infidèles…
Malgré le fait que son nom apparaisse dans le titre, le roman graphique « Mes ruptures avec Laura Dean » ne parle pas principalement de celle-ci. L’histoire est centrée sur Freddy, la victime amoureuse de la fameuse Laura. C’est elle qui subit et raconte son histoire, ses histoires, ses ruptures, ses réconciliations… Bref, sa vie d’adolescente !
Frederica Riley est une jeune Américaine typique. Une jeune fille qui aime faire la fête avec ses amis, une jeune fille qui a également une vie sentimentale compliquée. Elle ne cesse de courir après Laura Dean : la fille la plus populaire du lycée, qui est apparemment sa petite amie depuis un an. Habillée comme un garçon avec ses cheveux courts et son blouson noir, elle porte néanmoins une mini-jupe qui lui va particulièrement bien. Le souci, c’est que si Laura est bien en couple avec Freddy, elle l’est également avec plein d’autres personnes, au gré de ses envies. Ce qui a le don de frustrer Freddy, mais également sa meilleure amie  : Doodle, qui se sent parfois bien délaissée. Laura exerce une emprise malsaine sur ses conquêtes, mais si la plupart s’en contente, Freddy est comme envoûté par cette fille. Tel un aimant, elle peut tour à tour être attirée vers elle, comme être violemment repoussée.
Même si son nom est à consonance japonisante, Mariko Tamaki est bien une scénariste nord-américaine. Elle est née en 1975 à Toronto, en Ontario. Deux de ses romans graphiques, illustrés par son cousin, Jillian Tamaki, ont déjà été publiés en France. Le premier, « Skim », édité par Casterman et le second, « Cet été-là  », déjà proposé par les éditions Rue de Sèvres. Cette fois-ci, « Mes ruptures avec Laura Dean » est mise en image par la talentueuse Rosemary Valero-O’Connel : une jeune artiste américaine née en 1994 à Minneapolis, mais élevée en Espagne. Très vite repérée par les grands éditeurs de comics, elle a depuis Å“uvré pour DC, Boom ! Studios, et bien évidement First Second qui a publié « Laura Dean Keeps Breaking Up With Me » : version originale du livre publié en français chez Rue de Sèvres.
Rosemary Valero-O’Connell a un trait au croisement du manga, du comics et de la bande dessinée franco-belge. « Mes ruptures avec Laura Dean » est publié en bichromie, avec un noir et blanc rehaussé de discrètes touches de rose. Le trait lisse donne vie à cette galerie bigarrée et arrive à adoucir l’ambiance parfois lourde. Une attention qui fait un peu girly, et dédramatise la plupart des situations. Ce qui est assez bien vu, puisque presque tous les personnages sont ici des femmes qui vivent des aventures entre elles. C’est aussi une couleur sirupeuse, à l’image de la relation qu’aimerait avoir Freddy avec Laura. Ce rose pastel adoucit les scènes où cette dernière trompe éhontément la première. Pour Laura, la vie est faite pour s’amuser et elle manipule ses conquêtes jusqu’à plus soif. Cette relation est nettement toxique pour Freddy, lequel va désespérément chercher du réconfort et des conseils auprès de ses amis. Mais elle-même, joue-t-elle assez bien son rôle auprès de ses quelques connaissances pour mériter l’amitié qu’on lui porte ? Elle cherche également des réponses auprès d’une rédactrice de courrier du cÅ“ur dont les lettres, qui sont envoyées depuis son portable, rythment le récit. Elle est, comme beaucoup de jeunes de notre époque, rivée à son portable et attends une réponse qui aura bien du mal à venir. Finalement, ce ne sont que des histoires de gamine, et elles ont encore toute la vie devant elles pour évoluer et prendre conscience de l’importance des choses.
Les personnages sont tous bien typés et ne se ressemblent pas. Le dessin et la mise en scène ne plairont pas à tout le monde, sûrement pas aux amateurs habituels de romans graphiques sérieux. Ici, le sujet est léger et l’étirer sur 300 pages ne sert pas qu’à espacer et multiplier les scènes de réconciliation et de rupture. C’est tout un cheminement long et sinueux. Mariko Tamaki a beaucoup de choses à raconter. Elle ne laisse pas son lectorat en plan et son héroïne passe par différents stades qui pimentent le récit. C’est bien amené, et le graphisme rend cette histoire mélancolique très agréable à lire. Les amateurs de romance ou de tranche de vie estudiantine y trouveront, quant à eux, leurs comptes.
Ne vous laissez pas berner par la couverture où apparaît Laura de dos avec son blouson rose bonbon : elle va en faire voir de toute les couleurs à la pauvre Freddy, dans cette romance entre filles.
Gwenaël JACQUET
« Mes ruptures avec Laura Dean » par Mariko Tamaki et Rosemary Valero-O’Connell
Éditions Rue de Sèvres (18 €) – ISBN  : 9782810201839