Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...La nouvelle star du manga !
Jouer avec ses tripes, ressentir les émotions, faire corps avec son personnage. Le métier d’acteur est rempli de tant de poncifs qu’il faudrait en faire un manga.
Et bien voilà qui est dorénavant réalité avec « Act-Age », la nouvelle série phare du Shonen Jump qui arrive enfin en France, grâce aux éditions Ki-oon.
Kei Yonagi, jeune fille pauvre, mais débrouillarde, rêve de devenir actrice. Pour cela, elle tente de passer le casting de l’agence Star : l’une des plus réputées dans le milieu du 7e art. Malgré son excellente prestation, elle est recalée. C’est là que rentre en scène le célèbre réalisateur Sumiji Kuroyama. Il va se mettre en tête de former cette perle rare, mais ses manières ne sont pas toujours très orthodoxes. Il faut dire que Kei ne joue pas vraiment la comédie : elle vit la scène ! Et si cela peut donner de très beaux moments, c’est un problème quand elle ne suit pas le scénario.
« Act-Age » est un manga rempli de stéréotype. Mais c’est justement sa force. Ce sont ces répliques toutes faites, ces mauvais jeux d’acteur, ces dialogues faciles qui font la différence entre deux stars de cinéma. C’est pourquoi le rôle de Sumiji, grand réalisateur malgré son jeune âge, est mis en valeur tout au long des épisodes. C’est grâce à lui que Kei va progresser et apprendre le métier. Elle va surtout comprendre pour essayer de corriger son plus gros défaut  : s’impliquer émotionnellement dans la scène qu’elle joue. Impossible pour elle de rester de marbre quand, par exemple, un enfant va se faire trucider dans cette fiction de l’époque Edo. Même si elle n’est que figurante, elle prend part à la scène, alors qu’elle devait rester impassible. Vivant dans la misère, elle déteste l’injustice et son jeu d’acteur est à l’image de sa vie  : une lutte pour la survie et celle de ses frères et soeurs.
Vivre émotionnellement la scène qui doit être jouée n’est pas donné à tous les acteurs. Mais dans le cas de Kei, cette force est aussi son handicap. Elle n’est pas une simple marionnette répondant au bon vouloir du metteur en scène. Elle est déroutante et ses auditions sont toujours une surprise. Face à elle, d’autres actrices luttent également pour percer dans ce milieu très sélect. Mais il y en a une qui n’a plus besoin de faire ses preuves : Chiyoko Momoshiro. Surnommée L’Ange de chez Star, car elle fait la renommée de cette agence, elle semble à la fois inaccessible et toujours souriante. Visuellement proche du personnage de Rei dans « Evangelion », avec ses cheveux courts et clairs, elle en a également le perfectionnisme. Un personnage que l’on aime détester. Avec elle, pas besoin de plusieurs prises, la première est généralement la bonne, ce qui fait gagner beaucoup de temps. Contrairement à Kei, c’est un pur produit marketing, bien lisse et docile malgré son air dédaigneux.
C’est en 2016 que Tatsuya Matsuki, scénariste de cinéma demande à Shiro Usazaki, jeune illustratrice repérée sur Twitter de collaborer pour un récit court. Plébiscité par les lecteurs, celui-ci débouchera, ce qui est rare, sur la série au long cours que l’on découvre maintenant en français, alors que les Japonais en sont déjà au onzième volume. Une pièce de théâtre prévue pour 2022 vient même d’être dévoilée dans le Shonen Jump de début juin 2020. On sent bien que la dessinatrice est jeune, son trait n’est pas encore assez affirmé et il évolue au fil de la série. Elle a pourtant su se créer son propre style dynamique et bien adapté au moule du Shonen Jump. Son point fort, savoir montrer les émotions de ses personnages.
Rappelant l’univers impitoyable de « Glass No Kamen », manga phare des années 1980 sur le théâtre, « Act-Age » se démarque vite avec un panel de personnages hauts en couleurs et, surtout, un scénario qui devient de plus en plus incisif au fil des épisodes. Plongez dans les arcanes du cinéma avec ce titre qui montre à quel point il y a de nombreux prétendants et peu d’élus. Avec un premier volume semé d’embûches, l’ascension de Kei n’est pas forcément gagnée, mais c’est aussi ce qui offre un récit légèrement pimenté et accrocheur.
Gwenaël JACQUET
« Act-Age » T1 par Tatsuya Matsuki et Shiro Usazaki
Éditions Ki-oon (6,90 €) – ISBN  : 979-10-327-0614-5