N’hésitez pas à revenir régulièrement sur cet article, puisque nous l’alimenterons, jour après jour, avec tout que nous envoient nos amis dessinateurs, scénaristes, coloristes, libraires, organisateurs de festivals et éditeurs pour vous souhaiter de joyeuses fêtes : et ceci jusqu’à la fin du mois de janvier 2024 !
Lire la suite...Mali : la bande dessinée au point mort…
La sortie en février dernier des « Dogues noirs de l’empire » dessiné par Massiré Tounkara et scénarisé par l’auteur de ces lignes, dans la collection L’Harmattan BD, constitue le premier album individuel d’un dessinateur malien édité en Europe. Il s’agit d’une bonne nouvelle pour le 9e art issu de ce pays qui fut précurseur en la matière en Afrique de l’Ouest (1). Pourtant, le pays vit une situation dramatique depuis 2012, avec une partie importante du pays occupée par différents mouvements terroristes : ce qui entraîne une partition de facto du territoire.
Cette situation dramatique et déstabilisatrice a un impact sur la vie économique et politique du pays. En revanche, sa production artistique reste inchangée. À Bamako, Ségou ou Sikasso, le nombre de concerts est stable, les galeries d’expositions se font plus présentes, et le nombre d’espaces culturels est en augmentation ou ont rouvert.
On peut citer des lieux comme Blomba qui a rouvert après avoir fermé en 2011, Medina, deux galeries de peinture comme Badialan et Anko Art. À tout ceci se rajoutent le centre Mankoro, un projet de galerie soutenu par la fondation Total, la maison des artistes de Bamako, Siif Art et Bamako Art Gallery située à Bako Djicoroni, en banlieue de la capitale.
Aussi étrange que ce soit, cette renaissance artistique n’est pas visible dans la bande dessinée.
Pourtant la bande dessinée malienne avait de réels atouts.
Notamment une histoire de l’édition, parmi les plus anciennes du continent (Les Éditions populaires du Mali, créées en 1964, sont les seconds éditeurs créés en Afrique, après les éditions CLÉ à Yaoundé un an plus tôt), et une tradition de production de BD bien ancrée, avec un démarrage du 9e art local remontant aux années 1970, des éditeurs « traditionnels » ayant déjà édité de la BD (phénomène rare en Afrique de l’Ouest) et des auteurs de bande dessinée longtemps structurés en une structure dynamique (2), le CBDB (Centre de la bande dessinée de Bamako). (3)
Malheureusement, le nombre de productions est famélique et se limite à quelques rares titres : quasiment aucun jeune auteur ne se fait particulièrement remarquer depuis au moins dix ans.
La seule exception est la maison d’édition La Sahélienne (4), créée en 1992, et longtemps spécialisée dans la littérature en langue nationale (5).
En 2019, elle a publié un bel album en couleurs de Kays intitulé « La Lutte des animaux de la brousse » : histoire inspirée d’un conte traditionnel.
Il s’agit du quatrième album de Kays — l’un des premiers auteurs de BD du pays — inspiré du patrimoine oral de la région.
Entre 1997 et 2001, il avait édité trois beaux albums colorisés (6) aux éditions Le Figuier, maison créée par l’écrivain Moussa Konaté : « Nassoumba et le komo », « Comment le lièvre sauva les chèvres » puis « La Revanche du chasseur ». Ce dernier ouvrage en couleurs s’appuyait déjà sur un conte mêlant personnages humains et animaux et où le lièvre jouait un rôle important pour sauver ses amies les chèvres. Le premier ouvrage abordait un sujet original, à savoir la transgression par une jeune fille de l’interdiction pour une femme de regarder le komo (7).
« La Lutte des animaux de la brousse » raconte l’histoire de l’hyène, animal symbole de la naïveté, de la gourmandise et de la paresse en Afrique de l’Ouest. Celle-ci veut participer à un tournoi de lutte se déroulant dans la brousse, car le trophée se mange ! Décidée, Hyène veut aller lutter contre n’importe quel animal pour gagner de quoi manger. En effet, depuis quelque temps, sa chasse est infructueuse et ce tournoi est sa dernière chance pour ne pas mourir de faim. Son ami Lièvre va l’accompagner. Le voyage dans la jungle en compagnie de nos amis va se révéler plein de surprises et d’humour.
Il ne s’agit pas de la première incursion de l’éditeur dans le 9e art, puisqu’en 1996 La Sahélienne avait déjà publié « Sidako » de Bréhima Oulalé (scénario) et Mamadou Koumaré (dessins) : BD-restitution d’une enquête menée autour de « l’adolescence face à la sexualité », en juillet 1994.
« La Lutte des animaux de la brousse » est l’unique album publié dans le pays au cours des cinq dernières années.
La visibilité de la bande dessinée dans le pays se cantonne à des revues satiriques.
Kélékoté a compté 96 numéros et a duré de décembre 2013 jusqu’à l’année 2017, diffusé gratuitement. Le titre de ce bimensuel vient d’un extrait du discours d’investiture du président Ibrahim Boubacar Keita (IBK) : « Kélékoté Allah nodo ». (8)
Kélékoté a également servi de support à une chaîne YouTube.
L’unique dessinateur en était Bruno-Léon Koutjman : ancien du Centre de la bande dessinée de Bamako, diplômé de l’Institut National des Arts en 2005 et de l’École des Beaux-Arts de Tétouan (9) en 2011.
Plusieurs séries de strips humoristiques étaient récurrentes dans le journal : « Yssouf & Sididié », « Kacou, la belle-mère », « Malho », « Affaire Ba », « Tchapalo Boura », « Fatou Wèrè Wèrè », « La Famille Touré ».
Tous ces personnages réunis dans ces histoires constituaient un résumé de la société malienne, des problèmes sociaux rencontrés, et de l’humour avec lequel l’ensemble de la population supporte la situation économique difficile à laquelle elle est confrontée.
Après Kélékoté, Koutjman est devenu l’unique dessinateur de la revue Super Moundy : un magazine de BD pour les enfants de 7 à 15 ans, lancé en novembre 2018, et qui compte à ce jour 22 numéros. Moundy, personnage principal du magazine, est un superhéros doté de superpouvoirs transmis par la nature.
À travers des aventures extraordinaires, avec la belle Zana et le petit perroquet Moki, ils apportent leurs aides aux enfants et aux populations en difficulté. Ils mènent des actions positives, sensibilisent et incitent les jeunes à œuvrer pour le développement de leur communauté. Le projet est financé par la représentation des Nations Unies. Il a pour objectif de sensibiliser la jeunesse à l’agenda 2030 de l’ONU qui lance une série d’objectifs ambitieux pour le développement durable visant à mettre fin à l’extrême pauvreté, à lutter contre les inégalités et l’injustice et à régler le problème du changement climatique.
Super Moundy est édité par la maison d’édition Seyna, que dirige Georges Foli : ancien membre du CBDB.
Enfin, depuis plusieurs années, Koutjman prépare la sortie d’une autre revue satirique, Juma Yéléko (traduction : L’Humour du vendredi), toujours avec le soutien de Georges Foli.
Enfin, on peut aussi citer l’hebdomadaire satirique, Le Canard déchaîné, actif depuis 2001 et qui compte un strip dessiné par Mad à chaque numéro : « Canardage ».
Et c’est à peu près tout, hormis les travaux de commande pour des ONG ou des organismes internationaux.
Cette situation quelque peu désespérante est accentuée par la rareté des manifestations littéraires et la quasi-impossibilité pour les auteurs et éditeurs d’y faire la promotion de leur travail.
Il est vrai que la situation de la bande dessinée peut apparaître différente.
En effet, plusieurs années après la Salon de la bande dessinée de Bamako (organisé par le CBDB) qui avait connu trois éditions (10), dont la dernière en 2009, un nouvel évènement est organisé autour de la BD : le FESCAB.
Ce festival de la caricature et de la bande dessinée de Bamako a connu, entre le 27 et le 29 février 2020, la dernière de ces trois éditions, juste avant la crise du coronavirus. Son directeur, Adaman Diongo (11), cherche à promouvoir l’industrie culturelle et en particulier les arts graphiques.
Mais si le public répond présent (en particulier scolaire), les ventes-dédicaces sont rares du fait de la rareté des œuvres présentées.
De fait, en butte à la crise économique et politique, comme la majorité de leurs concitoyens, les dessinateurs maliens ne survivent que grâce à des travaux alimentaires et de commande. Les projets personnels ont quasiment disparu ou restent dans les tiroirs : l’heure n’est plus à la diffusion d’albums commerciaux. Il faudra sans doute du temps — et surtout le retour de la paix et de l’unité — pour que toute la filière BD soit reconstituée et que celle-ci reprenne toute sa place dans la vie artistique du pays.
Mais ce n’est que l’un des très nombreux problèmes auquel est confronté le Mali, et sans doute pas le plus important…
Christophe CASSIAU-HAURIE
(1) Pour les lecteurs que cela intéresse, ci-joint trois articles sur l’histoire de la BD malienne et publiés à des époques différentes :
2010 : http://africultures.com/breve-histoire-de-la-bande-dessinee-au-mali-9821/.
2011 : http://bdzoom.com/8372/actualites/histoire-de-la-bande-dessinee-malienne/.
(2) On peut lire des entretiens avec certains d’entre eux sur les sites Africultures et BDZoom.com :
Massiré Tounkara : http://bdzoom.com/7579/interviews/interview-de-massire-tounkara-mali/,
Kays : http://afribd.africultures.com/article.php?no=13404,
Mok (aujourd’hui décédé) : http://afribd.africultures.com/article.php?no=13418,
Mad : http://afribd.africultures.com/article.php?no=13392,
Julien Batandéo : http://afribd.africultures.com/article.php?no=13396.
(3) Dont les activités sont à l’arrêt depuis 2011.
(4) Adresse de leur site : http://editionslasahelienne.net/.
(5) Au Mali, une partie de la population est alphabétisée en langue nationale et plusieurs de celles-ci restent langue d’apprentissage par la suite (en particulier le bambara, mais aussi le tamasheq, le peul, le songhaï, etc.), concomitamment avec le français.
(6) Les couleurs étaient de Aly Zoromé : autre auteur de BD malien.
(7) Il s’agit d’un masque qui représente l’ancêtre dans la cosmogonie bambara.
(8) Traduction : « Ce n’est pas la guerre, c’est un souhait du bon Dieu ».
(10) À noter que la 6e édition de Kalan Kadi (festival de littérature de jeunesse de Bamako), en avril 2016, avait pour thème principal la bande dessinée.