Dans le cinquième volume de ses aventures, « Le Grimoire d’Elfie T5 : Les Reflets de Walpurgis », la jeune Elfie découvre le marais poitevin (entre La Rochelle et Niort) et des festivités réservées aux magiciens et sorcières depuis le temps de la mystérieuse fée Mélusine. Une nouvelle enquête pour la jeune adolescente, avec l’apport non négligeable de son grimoire magique, à l’issue de laquelle elle en aura appris beaucoup sur les dangers contemporains qui guettent cette zone humide remarquable et sa propre famille.
Lire la suite...« Astérix en Corse » ou la beauté de l’amitié : analyse de planche…
Album hors-normes par bien des aspects, « Astérix en Corse » est aussi l’un des sommets absolus de la mythique série entamée dans le journal Pilote le 29 octobre 1959. Paru en 1973 chez Dargaud, ce vingtième album rend un bel hommage à l’Île de Beauté, en transformant son scénario exploratoire en déclaration de guerre aux lieux communs et à l’intolérance. En ce sens, l’avant-dernière planche de l’ouvrage, ici analysée, prendra un reflet particulier : l’intelligence et la fraternité, offertes avec sensibilité par Goscinny et Uderzo en conclusion de cet épisode, y mettent pleinement en exergue le sous-titre ironique de Pilote, « Le Journal qui s’amuse à réfléchir »…
Depuis la disparition d’Albert Uderzo le 24 mars dernier, une véritable pluie d’hommages est venue rappeler, s’il en est besoin, l’ampleur du mythe développé au travers des drolatiques aventures d’Astérix et Obélix. 380 millions d’albums écoulés en 111 langues en auront fait la bande dessinée européenne la plus vendue au monde, en colportant par voie de conséquence tous ses codes référentiels : une parodie de la société française contemporaine perçue à travers ses stéréotypes et ses régionalismes, ainsi que des traditions et coutumes emblématiques des pays étrangers. Or, avant ce vingtième tome, tous les Astérix titrés selon le modèle « Astérix en… » ou « Astérix chez… » avaient précisément pris pour cadre les pays étrangers (Germanie, Grande Bretagne, Hispanie et Helvétie). Plus ancrés dans cet autre hexagone que constituait jadis la Gaule celtique, « Le Tour de Gaule » (T5, 1965) et « Le Bouclier Arverne » (T11, 1968 ; voir notre article) avaient eux-mêmes suggérés d’autres pistes dès leurs titres. « Astérix en Corse » sera donc en définitive la seule région française à avoir droit à ce traitement énonciateur, laissant à penser que – pour les auteurs – la Corse est l’équivalent d’une terre étrangère. Si Goscinny et Uderzo ne se sont jamais exprimés sur le sujet risqué des revendications nationalistes corses, il n’avait pu leur échapper que le traitement accordé à leur album serait inévitablement passé au crible par les médias, les politiques et le grand public.
Lorsque débute la prépublication dans Pilote (n° 687 du 4 janvier 1973), la Corse est plongée dans une sombre actualité. À partir de 1962, aux lendemains du retour des Français d’Algérie (17 000 vont s’installer dans l’île), beaucoup ont pris conscience du déclin démographique et économique de cette « terre vierge », jugée malmenée par le traitement que lui accorde l’État français. Cette radicalisation des esprits allait rapidement et tragiquement plonger dans la violence à partir des années 1970, plasticages et mitraillages devenant la norme quasi quotidienne jusque dans les années 2000. Incarné par le FLNC (Front de libération nationale de la Corse, créé en 1976 et toujours actif), le nationalisme insulaire continue de représenter aujourd’hui un important poids politique, exprimé par plus de 35 % des votes lors des élections territoriales et législatives. À l’heure de la prépublication de 1973, les élections législatives font craindre a minima les magouilles claniques et le bourrages des urnes. Sous l’angle de l’humour engagé, la bande dessinée prendra plutôt le parti de souligner les divergences exacerbées, la lourde loi du silence, les dérives mafieuses et la guerre des polices plombant le dossier du nationalisme, à l’instar du savoureux « L’Enquête corse » de René Pétillon en 2000.
Goscinny et Uderzo l’ont avoué à l’époque : hormis le caractère réputé très fort des habitants de la Corse, défini tel un « peuple très sombre, prenant vite la mouche, et habité par l’esprit des vendettas… » (extrait d’un témoignage d’Uderzo publié par le magazine Lire en 2004), ils ne connaissaient pour ainsi dire rien de leur nouveau sujet. À tel point que, pour la première fois, ils décidèrent d’effectuer ensemble un voyage d’étude sur place. L’opération consistant à cibler et prendre du recul sur les clichés locaux sera payante puisque les auteurs n’auront, suite à la parution de cet album (imprimé à 1,3 million d’exemplaires) « jamais aucun problème avec les Corses ». Cet ancrage dans une actualité particulièrement sensible donne à l’album une tonalité très particulière. Elle coïncide aussi avec un changement d’époque pour ses auteurs dans la mesure où le rythme infernal imposé à Uderzo par la prépublication dans Pilote trouvera ici son terme. Les albums suivants (« Le Cadeau de César » en 1974, « La Grande traversée » en 1975, « Obélix et Compagnie » en 1976, « Astérix chez les Belges » en 1979) seront en conséquence prépubliés ailleurs, dans Le Monde, Sud-Ouest ou le Nouvel observateur, peu avant la sortie officielle des ces titres en librairies. Sans doute les auteurs pensaient-ils aussi « Astérix » suffisamment solide pour exister hors de Pilote, à une date où l’économie de la bande dessinée se tournait déjà vers l’album, aux dépens de la presse jeunesse.
Très symboliquement, « Astérix en Corse » est illustré par une couverture enchanteresse, vantant les valeurs simples de l’amitié et la beauté de la nature sauvage environnante. Très symboliquement encore, et suite au préambule appuyant sur la (mé)connaissance de l’identité corse, l’aventure débute de manière assez inattendue : afin de fêter dignement l’anniversaire de la bataille de Gergovie, les irréductibles Gaulois ont convié tous leurs vieux amis à un banquet. Et les auteurs de retrouver ainsi tous les personnages secondaires apparus dans la série depuis 1959, à commencer précisément par toutes les connaissances étrangères et régionales (le britannique Jolitorax, l’hispanique Soupalognon y crouton ou l’arverne Alambix). Honorant son titre, la suite du scénario laissera le temps aux lecteurs d’explorer la Corse et de connaître ses fiers habitants, à commencer par le susceptible Ocatarinetabelatchitchix (double caricature physique du journaliste Paul Giannoli et d’un Corse observé par les auteurs durant leur séjour insulaire), prisonnier politique et opposant des Romains, bien décidé à rentrer au pays pour empêcher la levée d’impôts annuelle, effectuée dans l’Île de Beauté par le gouverneur Suelburnus. Précisons qu’en 50 avant J.-C. la Corse est effectivement sous domination romaine. Ancienne base stratégique avancée des Carthaginois pendant les Guerres puniques, l’île avait été conquise après la chute de Carthage en 146 avant J.-C. Pacifiée dans le sang, elle deviendra sous le règne d’Auguste l’un des laboratoires de la Pax Romana, tournée vers les commerces d’olives, de bois et de liège.
Au terme de l’aventure, le récit aura atomisé par le rire l’ensemble des clichés : la discrimination visant les Corses est ridiculisée sous l’angle de leur caractère bien trempé, le fromage local est aussi explosif qu’un attentat à la bombe et les vieux sages du village (sempiternellement assis sur un banc) tiennent la chronique jubilatoire des histoires de familles, aussi limpides que le maquis des alentours. Jonglant de manière virtuose avec les registres comiques et dramatiques, pouvant passer de la figue molle et du sommeil d’Osterlix (sic) à la guerre, à l’évocation de l’oppression militaire ou du statut subalterne des femmes, les auteurs font des merveilles à toutes les pages, probablement éclairés par le grand soleil corse. À la planche 43, objet de notre analyse, tout semble déjà résolu pour l’éternité : le large plan général qui ouvre la page n’est pas sans rappeler le banquet traditionnellement tenu par nos amis (sans Assurancetourix…) en fin de chaque album. Ici, la tablée convoquera également l’incipit du récit, prônant déjà le rassemblement convivial, l’esprit de résistance commun et l’appétit pour les spécialités et traditions régionales. Les deux cases suivantes, en gros plan et plan rapproché, enfoncent le clou : les Gaulois ont fait « des prodiges » en réconciliant deux clans et « plus jamais ces longues querelles stériles n’existeront en Corse ! » déclare solennellement – en jurant main levée – un Ocatarinetabelatchitchix apaisé. L’arc de cercle formé par les tables dans le premier plan vient suggérer une vision d’ensemble dans laquelle l’accord et la fraternité ont été retrouvées. En descendant progressivement jusqu’au bas de la planche, l’œil vérifiera cette première information ; les personnages, s’étant entendus et salués, pourront quitter les lieux par le chemin qui mène déjà (dans le hors-champ bas) vers d’autres aventures…
Le plan moyen de la case 4 est une nouvelle trouvaille puisque Idéfix est rendu en cadeau aux Gaulois qui avaient (à priori assez curieusement) confié le petit animal au chef corse dès la planche 12. Ces rapports immédiats de confiance et d’amitié resserrés guident pourtant et tels que nous l’avons dit l’ensemble d’une histoire où Astérix adoptera le seul rôle du médiateur : c’est bien sûr ce que vient de nouveau confirmer le plan général qui occupe le quart inférieur gauche de la composition (case 5). Dans cette case, l’on retrouve les paysages et les charmes rustiques de ces villages qui, dans les années 1960 – 1970, n’ont pas encore été touchés par les effets du tourisme de masse et de la promotion immobilière. Ce naturalisme appuyé, inhabituel dans les bandes humoristiques, répond en symétrie à une case similaire de la planche 21, dans laquelle les Gaulois arrivaient dans ce même village, selon un angle de vue identique. In fine, le quatuor des anciens est toujours présent, tandis que les cochons sauvages ont laissé la place au groupe de villageois. Rude et reculé, le village de pierres (antithèse graphique du village gaulois) s’est accoutumé à nos amis. Parmi les Corses figurent le chef Figatellix, ex-opposant d’Ocatarinetabelatchitchix. La case 6 suivante nous montre malicieusement que les conflits entre Corses – pour ainsi dire à couteaux tirés – sont en vérité loin d’être terminés, certaines traditions obligent ! Un clin d’œil final est fait via une ellipse au temps présent, case 7 : le passé séculaire de l’île continue d’avoir un impact sur la vie des années 1970, où le tourisme et la modernité ont cependant fait leur apparition. Le décalage induit entre les deux époques est particulièrement savoureux : sans pointer directement l’anachronisme de la situation, il se contente de démontrer (de manière universelle) que les archaïsmes d’une société figée dans ses querelles internes nuisent à ses modes de représentation actuels. Fonctionnant avec une remarquable finesse, sans esbroufe, méchanceté ou caricature outrancière, Goscinny et Uderzo s’éloignent à vrai dire de « l’humour gaulois », égrillard et grossier, pour viser juste. Il valait mieux… car (relisons le préambule) les Corses sont « plus que tout cela. Ils sont susceptibles » !
Philippe TOMBLAINE
« Astérix T20 : Astérix en Corse » par Albert Uderzo et René Goscinny
Éditions Dargaud et Hachette Livre – 1ère publication en 1973 (9, 90 €)
ISBN : 978-2012101524
« Astérix – La Grande Collection T20 : Astérix en Corse »
Éditions Hachette Livre – 2012 (15, 20 €)
ISBN : 978-2012101821
Et ma soeur? Elle te plaît pas ma soeur?… Mythique !
Juste une petite remarque : dans votre article, vous orthographiez de façon erronée le nom du gouverneur romain. Ce n’est pas « Suelbernus », mais « Suelburnus ». Déjà, je doute que le public d’aujourd’hui puisse saisir le gag qui s’y cache, mais votre erreur ne simplifie pas les choses. « Faire suer le burnous » est une expression d’avant la décolonisation de l’Algérie, qui désigne de façon assez crue l’exploitation des autochtones par les colons français. Il est presque surprenant de trouver un jeu de mot d’une telle violence politique sous la plume du grand René. Surprenant et intéressant, en ce qu’il nous indique sa position sur la question de l’Algérie française, encore épineuse en 1973.
Bonjour.
La coquille a été corrigée.
Merci pour vos explications précises et éclairantes
(voir aussi : https://www.expressio.fr/expressions/faire-suer-le-burnous).
Toujours un plaisir, Philippe. Votre papier est formidable.
En 1973, le « nationalisme » corse (dans sa forme moderne) était encore à ses débuts, se présentant sous la forme de l’autonomisme avec l’ARC des frères Simeoni.
Pourtant il y avait déjà quelques attentats (d’origine inconnue) d’où les plaisanteries dans l’album sur les attentats au fromage explosif .
Il en résulte que la situation des Romains en Corse , confrontés aux attentats, évoque nécessairement la situation de la Corse en 1973, ce qui était dans la ligne habituelle des auteurs d’Astérix, transposant plaisamment dans un passé revu et corrigé les caractéristiques du présent. Sauf que la conséquence est que les ridicules Romains se trouvent jouer le rôle des Français (ou pour être moins polémique, des représentants de l’Etat français), tandis que la « résistance » des Corses est valorisée… Je ne sais pas si Goscinny et Uderzo en ont eu clairement conscience, mais les Romains ridicules renvoient aux administrateurs français de l’époque pompidolienne, confrontés aux débuts du nationalisme corse, et le ridicule des uns rejaillit sur les autres…
Tout ceci est très vrai et j’imagine mal Goscinny et Uderzo ne pas avoir conscience des reflets que l’on pouvait distinguer entre administrations romains et françaises. Leur récit se joue dans tous les cas des époques, de l’Antiquité à nos jours en passant notablement par la caricature du Premier Empire. Les attentats fromagers font ici sourire mais l’explosion du navire pirate aurait en réalité dû alerter de nombreux légionnaires : les explosions étaient rarissimes à cette époque !