Dix ans après la parution de « Résurrection », la première partie d’un diptyque accouché dans la douleur, voici enfin « Révélations » : conclusion du dernier récit du regretté Philippe Tome, décédé alors qu’il travaillait sur les dernières pages de son scénario. Les éditions Dupuis proposent, enfin, l’intégralité de cette aventure magistralement dessinée par Dan Verlinden, digne successeur de ses deux prédécesseurs : Luc Warnant et Bruno Gazzotti.
Lire la suite...Jacques Devaux : le dessinateur masqué !
Nous vous invitons à découvrir un dessinateur dont le nom évoquera d’émouvants souvenirs aux vieux lecteurs de l’hebdomadaire Pilote, avant que celui-ci ne s’amuse à réfléchir. Il fut l’un des deux grands enlumineurs des fameux « Pilotoramas ». À la lecture de ce texte, vous découvrirez que Jacques Devaux était beaucoup plus que cela : d’autant plus qu’il avançait souvent masqué, ironiquement dissimulé sous des signatures improbables…
Né le 29 août 1921 à Givet dans les Ardennes, Jacques Devaux dessine depuis sa plus tendre enfance. Il suit les cours de l’École des beaux-arts de Bordeaux, section architecture.
Ses premiers dessins sont publiés dans Sud-Ouest et Sud-Ouest dimanche. Facétieux, il utilise de nombreux pseudonymes pourtant bien inutiles, avec un trait aussi reconnaissable que le sien. Max Fournel, Pol Brandt, Russel, Ivanov, Fred Kuhler, Gaston Ardeveld, Rastel d’Agay, San Joe, Ruffel, Van Dick, José Ireguy, Jules Nardi… sont quelques-unes de ses multiples signatures.
En 1950, il est embauché par la jeune maison d’édition lyonnaise Impéria, ex- Éditions du Siècle fondées en 1946 par Robert Bagage. Félix Molinari, le créateur de la série mensuelle de guerre « Garry », étant parti effectuer son service militaire, Jacques Devaux le remplace de 1950 à 1952. Cette longue série à succès évoque les aventures exotiques d’un sergent de l’armée américaine, dont le Pacifique en guerre est le champ de bataille favori (n° 36 à 53). De retour à la vie civile, Molinari reprend son héros.
Jacques Devaux est alors l’auteur de nombreuses histoires réalistes qu’il livre dans les pages du mensuel Garry jusqu’en 1961 : « Le Rapt de Fra Diavolo », « Johnny Oklahoma », « Charlemagne », « Murat », « Zone interdite », « Turenne »… Sans oublier une émouvante vie de Charlie Chaplin en 50 pages (n° 56 à 60).
Il publie ses premières bandes dessinées personnelles dans le pionnier des formats de poche, SuperBoy, lancé en 1949 par Impéria. À partir du n° 16 (mars 1951), il propose « Captain Crack » : une histoire de flibuste, un domaine qu’il apprécie, qui ne dure que quelques mois.
Dans un style humoristique il anime « La Famille Rikiki » à partir du n° 18,
puis une aventure historique (« Frank Sauvage », du n° 41 au n° 47),
sans oublier des récits indépendants : « Peter Bom », « Yann le diable », « L’Or de Sacramento », « Dan Goama »…
Curieux et passionné par les recherches historiques, mais aussi techniques, il réalise, tout au long des années 1950, des quantités de pages didactiques destinées aux nombreux formats de poche des éditions Impéria.
Citons, par exemple, celles intitulées « Western Heroes » pour Kit Carson, « Techniques d’aujourd’hui » pour Super Boy et Garry, « La Grande Encyclopédie indienne » (163 pages) pour Indians, « Le Grand Manuel de chevalerie » et « La Vie des grands capitaines » pour Oliver, « Le Tour du monde des jeux » et « Les Grands Explorateurs » pour Kon Tiki, « L’Art du lasso » pour Cassidy, « Cow-boys Technics », puis « Rodéo » dans Tex Tone, « Au temps jadis » dans Tenax, « Connaître les bêtes » dans Girafe et Ruby et Tatou…
Alors que certains auraient considéré ces travaux comme simplement alimentaires, il prend très au sérieux la réalisation de ces quelques pages éducatives.
La présentation est soignée, les dessins précis et documentés. Un excellent galop d’essai pour les futurs « Pilotoramas ».
Enfin, dans les pages de Sandor, il dessine deux aventures de « Hervé la flibuste » dans les n° 9 et 10 (janvier et février 1966), rééditées à deux reprises dans Oliver.
« Francis Drake », proposé dans le n° 34 de Sandor, en 1968, est la version en pleine page d’un strip à l’origine publié avec les textes d’Henri Vernes (le créateur de « Bob Morane ») placés sous les images dans Femmes d’aujourd’hui : du n° 664 (15/08/1957) au n° 690 de 1958. À noter qu’un album broché sera proposé aux éditions Prifo, en 1977.
Un autre éditeur lyonnais prestigieux, Pierre Mouchot, lui ouvre les pages des magazines qu’il publie au sein de la SER (Société rhodanienne d’éditions). Il crée le très original « Douglas Danifer » dès le quatrième numéro de Humo (juin 1955) : série loufoque s’il en est, ayant pour cadre le Monte-Négro.
« Jacky Cooper » un polar humoristique suit dès le n° 8 de la revue qui cesse de paraître au n° 16 (juin 1955). Ces deux créations appréciées des lecteurs se poursuivent dans Rancho, où Jacques Devaux démarre « Bulldog Drumond » : un polar réaliste au goût américain, à partir du n° 12 (août 1955). Toujours pour Rancho, il dessine « Sergent Caravane » (adapté du film « Under Two Flags »), « Simon Tranchetout » et « Le Corsaire de Château-Trompette ».
Cette décennie passée auprès des éditeurs populaires lyonnais lui permet de peaufiner son trait, tant au niveau de l’humour que du réalisme. Déjantées, proches d’un Jacovitti d’ailleurs présent dans ces journaux, ses pages humoristiques détonnent avec les dessinateurs français classiques encore en activité et avec ceux de l’école franco-belge émergente. Son réalisme, bien qu’inspiré par les grands créateurs américains, bénéficie d’un trait original que l’on identifie tout de suite.
En complément de ces collaborations régulières avec les magazines lyonnais, tout au long des années 1950, il se tourne vers la presse parisienne.
Sans passer par les habituelles agences, il produit, de 1956 à 1958, un long strip quotidien de plus de 700 bandes dans Le Parisien libéré. « L’Orpheline de Paris » est un mélo pur jus destiné à faire pleurer dans les chaumières, adapté d’un roman de G. D’Orvall.
D’abord présenté sous forme de longues bandes de quatre dessins avec les textes placés sous les images, puis dans le format habituel de trois dessins, ce récit est repris dans L’Union et La Liberté de Lille.
Il poursuit ses activités dans le même registre avec « Grâce et Rainier », « Il était une fois… » et surtout, comme nous l’avons déjà mentionné, « Francis Drake, l’aigle des mers » : une histoire de flibuste authentique écrite par Henri Vernes, parue dans l’hebdomadaire Femmes d’aujourd’hui.
Pour l’hebdomadaire humoristique Marius, il réalise une adaptation fort réussie de « L’Île des perroquets » : roman fameux de flibuste écrit en 1942 par Robert Margerit.
À la même époque, il crée « Johnny Palmer » dans l’hebdomadaire Ima (l’ami des jeunes), dont il réalise deux épisodes en 1957, à partir du n° 48 (6 décembre 1956).
Johnny Palmer est un médecin de San Francisco qui joue au détective dans l’Amérique des années 1860. La dernière planche de cette brève série prometteuse est proposée dans le n° 72 (23 mai 1957).
La chance de sa vie est son entrée au journal Pilote en 1960 : un an après la naissance de cet hebdomadaire. Sa signature apparaît dans le n° 35 (23 juin 1960) où il dessine un mini « Pilotorama » consacré au Tour de France.
Peu après, à partir du n° 57 (24 novembre 1960), il publie un premier (et véritable) « Pilotorama » sur le thème de Pompéi.
Sa dernière participation en ce domaine (sur le turbotrain) est présentée dans le n° 547 (30 avril 1970).
Jacques Devaux aura livré 120 doubles pages centrales, en alternance avec Henri Dimpre, Louis Murtin et quelques autres.
Au grand dessin de la double page centrale, s’ajoute souvent une bande dessinée avec textes sous les images évoquant le thème traité. Le plus souvent réalisée par d’autres dessinateurs (Gal, José Bielsa, Claude Pascal, Daniel Billon…), elle est parfois dessinée par l’auteur du « Pilotorama ». Jacques Devaux illustre « Temudjin » (n° 281), « Les Marins du roi » (n° 302), « Les Scythes » (n° 361), « L’Empire aztèque » (n° 465)…
Ce passionné d’histoire, méticuleux et précis, consacre jusqu’à un mois de travail à la réalisation de ces pages didactiques qui ont décoré chambres des lecteurs et salles de classe.
Les « Pilotoramas », jugés trop « sérieux », seront chassés des pages de Pilote qui, désormais, s’amuse à réfléchir avec une nouvelle équipe de jeunes auteurs. Le dernier, signé Massa, paraît dans le n° 561 du 6 août 1970.
La collaboration de Jacques Devaux à Pilote ne se limite pas à cette rubrique que certains trouveront sans grand rapport avec la bande dessinée, sinon d’être publiée dans un journal de BD.
Il succède à Maurice Tillieux sur la version dessinée de « Ça va bouillir » : le fameux feuilleton quotidien diffusé à l’heure du déjeuner sur Radio Luxembourg, avec Zappy Max qui endosse le rôle d’un journaliste à L’Éclat (le feuilleton est sponsorisé par une marque de lessive censée ajouter l’éclat à la blancheur).
Le sympathique héros affronte Kurt von Strafenberg, alias le Tonneau, au cours d’un épisode de 44 planches publiées du n° 70 (23 février 1961) au n° 113 (21 décembre 1961). Devaux ne cherche pas à copier le trait du dessinateur belge, mais propose une version personnelle fort plaisante.
Il anime aussi deux séries de récits complets aux destins trop brefs : « L’Intrépide Hussard de la garde » dès le n° 117 (18 janvier 1962) dont le héros baptisé La Bitude, membre de la Grande Armée de Napoléon, est envoyé bien malgré lui effectuer des missions loufoques au péril de sa vie. Les « Tuniques bleues » avant l’heure. Le brave hussard est le protagoniste de six épisodes complets signés Jules Nardi.
Dans un style réaliste, il dessine, sous le pseudonyme José Iréguy, les aventures de Carey d’Ace à partir du n° 160 (15 novembre 1962). Au total huit récits documentés en huit pages évoquant le quotidien d’un broussard casse-cou dans le cadre du Bush australien. Ils sont publiés jusqu’au n° 240 (28 mai 1964).
Enfin, il remplace parfois Péli (Eddy Paape) dans la réalisation de pages de jeux animées par les héros du journal.
Sa collaboration à Pilote s’achève en 1970. Sans travail, son dessin jugé dépassé par les éditeurs, il se tourne, comme quelques autres (Claude-Henri, Rémy Bourles, Jean Joly…), vers les formats de poche pour lesquels il réalise des jeux et des illustrations. Ces rubriques sont destinées à fournir les pages de rédactionnel « éducatif »imposées depuis peu aux éditeurs de revues destinées à la jeunesse. Mal rétribués, ces travaux permettent néanmoins à ces dessinateurs de survivre sur un marché en mutation qui ne leur fait pas de cadeau.
Pour Sagedition, il réalise la rubrique « Variety Shop », signée du pseudonyme Red, qui mêle jeux et informations didactiques. On rencontre ces pages dans divers magazines de cet éditeur, dont Tarzan, Bonanza, Le Roi de la prairie, Rin Tin Tin, Superman…
Pour les formats de poche des éditions Aventures et Voyages, il signe des illustrations de nouvelles et de textes historiques, ainsi qu’une rubrique didactique publiée sous le titre « Legenda Mundi ».
On le rencontre dans Brik, Apaches, Whipii !, En garde !, Akim… Enfin, il est présent sous la signature Tù dans divers formats de poche de la SFPI (Société française de presse illustrée) de Jean Chapelle, où il illustre de courts textes et anime des jeux sous le titre « Quizz-minute ». Il est présent dans Zorro, Cap 7, Signe de piste… et même dans le Frimousse de Marijac avec, outre quelques jeux et illustrations, un récit complet de dix planches : « Le Voleur d’icônes ».
À l’automne 1971, il réalise son ultime bande dessinée dans l’hebdomadaire Télé gadget créé pour Mondiopresse par Georges Rieu, l’initiateur de Pif gadget. En alternance avec Florenci Clavé (« Méhée de la Touche ») et Daniel Billon (« Vidocq et Cie »), il propose des récits complets en dix pages, notamment de la série « Films tous risque » qui relate les reportages chocs réalisés par Cora, Tony et Sono : trio de cinéastes reporters d’une maison de production. Hélas, quelques mois plus tard Télé gadget cesse de paraître et Jacques Devaux revient à ses travaux alimentaires.
Il décède le 18 octobre 1973, victime d’un accident de la circulation. Bien entendu, sans qu’une seule ligne lui soit consacrée dans les magazines auxquels il a collaboré.
Auteur atypique, aussi à l’aise dans l’humour que dans le réalisme, Jacques Devaux était un érudit, capable de traiter avec le même sérieux tous les sujets qui s’offraient à lui. Soucieux du détail historique comme de l’information technologique, il ne manquait ni d’humour, ni des mots justes pour écrire ses textes. Son dessin original, reconnaissable au premier coup d’œil, ne devait rien à personne. Malgré une courte carrière de 25 ans, il a laissé une œuvre variée et généreuse qu’il serait bon d’exhumer.
Henri FILIPPINI
Relecture et mise en pages : Gilles RATIER
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