Après leur collaboration remarquée sur « Sangoma », le romancier Caryl Férey et le dessinateur Corentin Rouge retravaillent ensemble, pour notre plus grand plaisir ! Dans ce qui sera une trilogie de pas moins de 450 pages angoissantes (le tome 1 en contient déjà 150), la crise migratoire s’est amplifiée et touche désormais le continent européen victime de multiples catastrophes. D’innombrables réfugiés venus de tous pays — ayant sûrement fui les changements climatiques, les guerres ou les pandémies — s’amassent au port du Havre… Dans ce lieu de transit, ils espèrent accéder aux rares bateaux qui pourront les embarquer, via l’Écosse, en destination de l’hypothétique salut que représente l’Islande : unique contrée épargnée, mais pour combien de temps encore ?
Lire la suite...Liban d’hier… et d’aujourd’hui ?
Il y a un an paraissait le premier tome de « La Guerre des autres » et, à l’heure où le Liban connait une crise politique, cette histoire en deux tomes prend un relief supplémentaire. Déjà, nous disions que le titre renvoyait en soi à cette réalité insupportable : la guerre, c’est celle des autres, de ces autres qui pour des raisons économiques, religieuses, territoriales vous embarquent dans l’affrontement, l’intolérance, l’horreur. Ce deuxième tome et son sous-titre « Couvre-feu sur Beyrouth » confirment le diagnostic !
Rappelons qu’on est dans le Liban de 1975, alors que la vie coulait doucement et sûrement, se la coulait douce, devrait-on dire, pour ces personnages que l’on retrouve avec plaisir : le père libraire, la mère qui aime danser, les enfants qui adorent le cinéma, bref un cocon familial ouvert à toutes les sensibilités de l’art et des plaisirs de la vie. Même sans grands moyens, mêmes dans les difficultés, on y savoure le présent et on évite tout ce qui l’enferme dans des grilles religieuses et/ou politiques.
La guerre civile menace encore et toujours, pourtant. Est-elle « civile », d’ailleurs, cette guerre ? Rien n’est moins sûr ! Toujours est-il que le quotidien est à présent secoué par des bombardements et que la famille Naggar se pose des questions, sinon LA question : rester ou partir ? C’est pourtant pas le moment : Yasmine passe son bac, Serge est au service militaire, la librairie va mal… Pire, Alex tombe amoureux !
Il faut tenir, mais combien de temps ? La guerre des autres est bien là qui oppose à qui mieux-mieux, autant dire très mal, des communautés sunnite, chiite, druze, maronite, catholique… C’est tout le sujet de cette chronique familiale et amicale : comment tenir ? Comme nous l’indiquions ici même pour le premier volet, le scénariste, Bernard Boulad, sait de quoi il parle : c’est sa famille qu’il met en scène. Il a voulu par ce récit restitué 40 ans plus tard, ce qu’il a vécu et ce qu’il a compris des événements qui, un 13 avril 1975, ont balayé l’insouciance des beaux jours et le bonheur de vivre en un pays admirable.
Comme dans le premier tome, Bernard Boulad, en postface, fait le point, un brin nostalgique, un brin coupable, sur cette « souricière » qu’ils ont préféré quitter, laissant à d’autres « une classe politique corrompue et une oligarchie omnipotente, figé dans ses archaïsmes, son communautarisme millénaire et sa féodalité ». Comme pour le premier tome, il faut enfin souligner le travail réalisé par les dessinateurs Paul Bona et Gaël Henry (cf. « Tropique de la violence », ici-même) qui se partagent encrage et couleurs, Gaël réalisant semble-t-il le crayonné, un trait jeté, rond, efficace, décontracté, souple. Ils réalisent un diptyque de belle tenue qui donne beaucoup de force à cette tranche de vie, entre guerre et paix… Entre guerres, surtout, malheureusement !
Didier QUELLA-GUYOT ; http://bdzoom.com/author/DidierQG/
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« La Guerre des autres » T2 par Paul Bona, Gaël Henry et Bernard Boulad
Editions La Boite à bulles (22 €) – ISBN : 9782849533512
effroyable conflit