Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Ça pue l’enfant par ici ! Les employés de la Pension Moreau ouvrent la chasse aux enfants, ça va saigner !!
Les fidèles lecteurs vont quitter « La Pension Moreau » par une course poursuite endiablée. Les pauvres petits pensionnaires s’enfuient pourchassés par le directeur et ses violents subalternes. La trilogie se referme loin de ce lieu malfamé pour les jumeaux Jeanne et Victor et leurs amis Victor et Paul. Une fin ouverte pour une belle réussite de la BD jeunesse d’aujourd’hui ; de l’originalité et du style qui offrent un grand plaisir de lecture pour les petits et les grands.
Jusque dans les années 1950, des maisons de correction pour mineurs ont existé en France. C’étaient de véritables bagnes où les jeunes gens subissaient de nombreuses brimades et vexations.  Des enfants se sont mutinés et échappés de l’un de ces lieux de rétention en 1934 à Belle-Île-en-Mer. Ils ont été pourchassés par la police et par les habitants à qui l’on avait promis une prime en cas de dénonciation. Ce fait divers tragique a révolté Jacques Prévert, il y a puisé le thème du poème : « Chasse à l’enfant ». Ce texte publié dans le recueil « Paroles » a été repris en chanson par Juliette Gréco ou Marianne Oswald.
La chanson de Prévert est le point de départ de la trilogie « La Pension Moreau ». Dans les années 1930, un couple de bourgeois abandonne, contre cinq lingots d’or, son enfant trop différent aux bons soins de cette pension et de son directeur, le professeur Turoc. Dès que ses parents sont partis, Émile subit des coups et se voit soumis à des travaux forcés. Fort heureusement pour le petit et timide garçon, dans sa geôle, il reçoit le soutien de Paul, Jeanne et Victor : ses jeunes compagnons d’infortune. Ils ne peuvent longtemps supporter ce régime injuste et humiliant, d’autant que le valeureux Paul, est condamné à deux mois de cachot, avant de subir, il le devine, une peine encore plus sévère.
Il est temps pour le quatuor de s’évader de cet enfer. Émile, Paul, Victor et Jeanne se réfugient au cÅ“ur de la forêt, en haut d’un grand arbre. Ils se préparent à affronter la colère du directeur de l’établissement qui, accompagné des professeurs, entend bien les reprendre. La chasse à l’enfant commence, l’hallali n’est pas loin.
Dans notre précédente chronique nous notions que : « L’écrivain Benoît Broyart a construit un récit prenant, à l’ambiance oppressante. Un véritable plaidoyer pour le droit à la différence et la défense de la condition de l’enfant. Les couleurs sombres, austères, de Marc Lizano renforcent l’aspect tragique de l’enfermement et des humiliations des enfants pas si terribles de la Pension Moreau.
Avec son habituel dessin à grosses têtes, il donne beaucoup d’expressivité à tous ses personnages, y compris les adultes du bagne représentés sous forme d’animaux anthropomorphes : hibou, renard, sanglier, blaireau, … De quoi déshumaniser, aux yeux des lecteurs, des tortionnaires sadiques, mus par l’appât du gain. (…) À lire seul dès 8 ans ou accompagné par un adulte pour les plus jeunes. »
Nous ne pouvons que vous encourager à lire ou relire la trilogie dans son entier, une belle réussite narrative et graphique.  Ce thriller sombre au suspens oppressant se termine sur une note lumineuse d’espoir et d’optimisme. De quoi rassurer in-fine ses plus jeunes lecteurs à l’issue d’une immersion dans un univers, parfois glauque, de polar d’avant-guerre, illuminé cependant, à intervalle régulier, par le verbe provocateur de Prévert :
 « Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Au-dessus de l’île on voit des oiseaux
Tout autour de l’île il y a de l’eau
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Qu’est-ce que c’est que ces hurlements
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
C’est la meute des honnêtes gens
Qui fait la chasse à l’enfant »
Un dernier mot enfin pour signaler que les Éditions de la Gouttière mettent à disposition des enseignants qui veulent travailler sur « La Pension Moreau » des fiches pédagogiques très riches écrites par Stéphane Lastère, excellent pédagogue angoumoisin. Le travail proposé s’adresse à des élèves de cycle 3 (CM1, CM 2 et classe de sixième)
Laurent LESSOUS (l@bd)
« La Pension Moreau T3 : La Chasse à l’enfant » par Marc Lizano et Benoît Broyart
Éditions de la Gouttière (14,00 €) – ISBN : 979-10-9211-89-7