Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« La Vie hantée d’Anya » ; une adolescente, des complexes et un fantôme ambigu
Nous savons que l’adolescence n’est pas un âge facile. Anya le vit au quotidien entre une mère russe possessive, un collège où elle a du mal à s’intégrer et un beau garçon qui la regarde à peine. La rencontre fortuite avec un fantôme de son âge lui ouvre de nouveaux horizons et une toute nouvelle confiance en elle. Une assurance qu’elle acquiert en s’affirmant dans l’adversité. « La Vie hantée d’Anya » : une belle BD sur l’adolescence.
Dans une petite ville des États-Unis au début des années 2000, Anya est une adolescente mal dans sa peau. Elle se trouve trop quelconque, trop ronde, sans doute à cause de la nourriture fortement protéinée que lui cuisine sa mère. Au lycée son nom russe difficilement prononçable, Borzakovskaïa, lui ferme quelques portes.
De caractère renfermé, elle ne se sent pas intégrée à la communauté scolaire. Anya compte peu d’amis et c’est en rentrant seule chez elle, en traversant un parc, qu’elle tombe dans une sorte de puits abandonné. Elle se relève difficilement d’une chute de plusieurs mètres et fume une cigarette en attendant de signaler sa présence en criant quand quelqu’un passera à proximité. C’est à la lueur de la lune que la jeune fille découvre une présence au fin fond de ce trou.
Anya et Emily vivent tout d’abord dans une belle symbiose ; Emily aide discrètement Anya lors de ses devoirs et l’adolescente fait découvrir au spectre du siècle passé ce qui fait le quotidien d’une jeune fille d’aujourd’hui. Mais très vite des tensions apparaissent ; Emily est de plus en plus jalouse de la vie d’Anya, de plus en plus intrusive et la jeune fille découvre que l’ectoplasme lui a menti sur les circonstances de sa mort. L’affrontement est alors inévitable.
« La Vie hantée d’Anya » est un superbe album initiatique, il relate la lente métamorphose d’une adolescente mal dans peau, timide, que les doutes empêchent de s’épanouir vers une pré-adulte qui s’accepte avec ses défauts, imparfaite comme tous ses camarades de classe.
Née en Russie en 1984 mais installée aux États-Unis dès ses 5 ans, Vera Brosgol traite avec finesse et élégance de cet âge ingrat. Elle évite les clichés pour se concentrer sur l’évolution d’Anya, sa lente ouverture aux autres, aux élèves de son âge mais aussi vers sa mère qui l’élève avec un amour étouffant.
Le récit qui navigue agréablement de la chronique sociale au fantastique et même au thriller psychologique est servi par le trait tout en rondeur mais énergique, simple et expressif de l’autrice.
Il est très agréable de redécouvrir ce comics publié une autre première fois en France en 2013 par Altercomics sous le titre « Le Fantôme d’Anya ».
Il confirme tout le talent de Vera Brosgol, que les éditions Rue-de-Sèvres suivent désormais de près. Son album « Un Été d’enfer », sorti au printemps dernier, est un petit bijou de chronique autobiographique douce-amère.
Elle y relate son expérience d’un camp scout lors de sa préadolescence. Son héroïne, prénommée Vera, est un peu plus jeune qu’Anya, mais elle a le même caractère et souffre du même manque de confiance en soi.
La lecture de cet album complétera agréablement celle de « La Vie hantée d’Anya ».
Laurent LESSOUS (l@bd)
« La Vie hantée d’Anya » par Vera Brosgol
Éditions Rue-de-Sèvres (16,00 €) – ISBN : 978-2-36981-044-5
« Un Été d’enfer » par Vera Brosgol
Éditions Rue-de-Sèvres (12,50 €) – ISBN : 978-2-36981-206-7