Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Lucy, un diamant dans le ciel de la Préhistoire
En novembre 2007, Capitol Éditions publiait « Lucy », un album grand format qui suivait les pas timides de cette Ève vieille de 3,7 millions d’années dans la savane de l’Afrique primitive. Enceinte et apeurée, elle choisira de suivre un chasseur Australopithèque, avec l’espoir d’un amour naissant… Délaissant son cyberpunk androïde « RanXerox », Liberatore livrait alors un travail graphique et informatique monumental, pour se rapprocher d’un traitement photoréaliste. Actuellement réédité chez Glénat, l’album (passé de 70 à 96 planches) n’a rien perdu de sa superbe : découverte par Yves Coppens en 1974, « Lucy » nous parle encore et toujours de métissage, de rapport à l’autre et d’évolution humaine. Nulle diablerie issue de ces âges lointains : laissons Lucy faire…
Découvert le 24 novembre 1974 dans la vallée de l’Afar (Éthiopie) par un groupe d’une trentaine de chercheurs éthiopiens, américains et français, le squelette quasi complet d’un spécimen d’australopithèque allait changer la face du monde. Surnommée « Lucy » en référence à la chanson des Beatles « Lucy in the Sky with Diamonds » (1967), ce fossile sera daté de 3,18 million d’années et longtemps considéré comme le représentant d’une espèce à l’origine de la lignée humaine. Lucy, qui mesurait 1,10 mètre et a probablement dû mourir vers l’âge de 25 ans, fut aussi jugée durant quelques années comme le fossile humain le plus ancien jamais trouvé. D’autres découvertes, présentées en 2017 (« Little Foot » en Afrique du Sud (daté et 2018 (deux mâchoires retrouvées dans une grotte israélienne) ont désormais repoussé d’au moins 50 000 ans la sortie d’Afrique de l’Homme moderne, apportant aussi un nouvel éclairage sur les croisements avec d’autres espèces comme les Néandertaliens. Si les hominidés apparurent voici 14 millions d’années, nous savons aujourd’hui que le genre Australopithèque existe en Afrique voici 4,2 millions d’années, et survit jusqu’au début du Pléistocène (2,58 millions d’années). Plus tard, vers 2,5 millions d’années, c’est le genre Homo qui s’installe en Afrique (Homo Habilis, 2,3 à 1,5 million d’années), en Asie (Homo erectus, 1 million d’années à – 140 000 ans) et sur les rives de la Méditerranée (Homo Sapiens, vers – 300 00 ans).
Raconté par le scénariste et producteur Patrick Norbert, « Lucy » est le produit de dix années de travail, une somme nécessaire pour traduire en images et de manière romanesque les recherches scientifiques d’Yves Coppens, qui signera comme il se soit la postface de l’album. À partir de traces retrouvées en Tanzanie en 1978 (mes empreintes de pieds d’un adulte préhumain, suivies de celle d’un enfant), Patrick Norbert extrapole la vie rêvée de son héroïne et imagine la survie d’une mère, laquelle s’acharne à défendre son enfant tout en étant séduite par un jeune mâle dissident. Contraint par la narration en voix off, le sujet échappe à la lourdeur par trop didactique en s’appuyant précisément sur ce choix fictionnel. Ne négligeons pas, naturellement, le souffle induit par le dessin de Liberatore, auteur qui délaissera la bande dessinée de longues années pour privilégier les collaborations avec l’univers du cinéma (il est associé en 2003 au César des meilleurs costumes pour son travail sur « Astérix & Obélix : Mission Cléopâtre » d’Alain Chabat). En couverture, Lucy porte son enfant endormi tout en regardant passer une étoile filante. Installée sur une branche dans un décor simple et rude, dévoilant son corps nu et simiesque, Lucy semble songeuse : sous cette nuit étoilée, est-elle à l’abri ou en danger ? Porteuse d’un message d’espoir pour l’humanité naissante, elle incarne le futur : dans ce mystère des origines, voici Lucy dans le ciel avec ses diamants. Liberatore n’ayant pas lésiné sur les moyens, l’album révèle des compositions impressionnantes, auxquelles le grand format donne toute leur valeur. Au final, et certes atypique dans la production actuelle, voici – pour reprendre les termes de Coppens – un « bien beau livre » dont les images s’imprimeront longtemps dans l’esprit des lecteurs.
Philippe TOMBLAINE
« Lucy : L’Espoir » par Tanino Liberatore et Patrick Norbert
Éditions Glénat (15,00 €) – ISBN : 978-2344026632