Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Hilda » : Le mystère Kovacq…
En 1997, le mensuel de bandes dessinées pornos Bédé X publiait les premières pages réalisées par un nouveau dessinateur énigmatique signant Hanz Kovacq. Nouveau ? Pas aux yeux de tout le monde, bien que ces pages d’une incroyable pornographie pouvaient faire hésiter plus d’un historien de la BD. Pour eux, l’auteur de « Hilda » ne pouvait être que Bernard Dufossé, dessinateur abonné depuis des décennies aux journaux de la presse catholique. Retour sur un mystère comme on les aime.
Pour qui écrit sur la bande dessinée, faire passer un auteur qui a toujours œuvré pour la jeunesse en créateur de jeunes femmes de papier aux pulsions sexuelles débridées, passant d’un partenaire à l’autre, est une lourde responsabilité. Surtout, lorsque comme c’était mon cas, vous le connaissiez depuis près de vingt ans et qu’il travaillait pour vous.  À l’époque Bernard Dufossé illustrait « Les Sanguinaires », une histoire de Patrick Cothias pour le magazine Vécu,  et lorsque je lui posais la question, il m’affirmait avec assurance ne pas être ce pornocrate mystérieux. Imaginer que l’homme discret, timide, craignant de perdre ses employeurs bien pensants, dessinait le sexe et la luxure était chose inconcevable ! Comment ne pas croire en sa parole ? C’est lorsqu’il disparaît brusquement du monde de la BD en 1999,  sans laisser d’adresse, après avoir livré les seules premières pages d’un troisième épisode des « Sanguinaires », que le doute sur l’identité de Hanz Kovacq m’a abandonné. J’avais vu juste, Bernard Dufossé et lui ne faisaient qu’un !
Né à Le Raincy dans la région parisienne en 1936, Bernard Dufossé, après avoir fréquenté les Arts Appliqués débute dans la publicité. Ses premières bandes dessinées sont publiées dès le milieu des années soixante dans les magazines de la presse bien pensante, Lisette et Nade (ex Bernadette)  où il propose des histoires variées pour jeunes filles, J2 Magazine(ex Âmes Vaillantes) où il crée le personnage de « Valentine », Fripounet…C’est dans Record, le successeur du très catholique Bayard qu’il anime son personnage le plus récurrent : « Nathalie ». Dans Formule 1 (ex Coeurs-Vaillants), il campe « Frank et Drago », « Anna et Cie »…, crée « Mémory », puis surtout « Tährn prince des étoiles » dans Djindont neuf albums seront publiés aux éditions Glénat. Un excellent récit de science fiction à l’imagination débordant d’inventivité, destiné à un jeune lectorat qu’il prend plaisir à réaliser.
Dès 1972, il débute une longue collaboration avec les éditions Segedo, spécialisées dans la publication de magazines à destination de l’Afrique. Il y dessine « Kouakou » pendant vingt ans et « Le Grand rallye » dans Calaoavec le concours du scénariste Serge Saint Michel. Toujours pour l’Afrique, il livre des strip dans le quotidien Fraternité Matind’Abidjan. Pour  Scouts  et Louveteau, les journaux des Scouts de France, il crée « Les Mouflons ». Il réalise l’adaptation BD de quatre aventures du fameux « Club des cinq » pour Le Journal de Mickey(albums chez Hachette) et illustre les rééditions des ouvrages de la collection Signe de piste.
« Les Sanguinaires », dont deux albums ont été publiés par Glénat en 1997 et 1999, sera son ultime collaboration à la bande dessinée traditionnelle, sauf les illustrations qu’il livre à la revue des Éclaireurs Woodcraff des Scouts unitaires de France jusqu’en 2010. Aux côtés de ses aînés Alain d’Orange, Pierdec, Robert Rigot, Claude-Henri… Bernard Dufossé aura été un dessinateur réaliste de premier plan recherché par les rédacteurs de l’édition bien pensante. Il excellait tout particulièrement dans les histoires mettant en scène des enfants sages et surtout des fillettes. Il est décédé le 21 août 2016 à Hyères à l’âge de 80 ans.
Un tel palmarès tout entier dédié à la bande dessinée jeunesse explique pourquoi le doute s’est installé parmi les chroniqueurs de la BD  lorsque la signature du mystérieux Hanz Kovacq est apparue dans Bédé X , la sulfureuse revue des éditions CAP/IPM. Pas plus que Bernard Dufossé, Jean Carton le boss de CAP que je connaissais bien a toujours refusé de répondre à mes questions le concernant, mieux il a toujours nié fermement la parenté entre les deux auteurs. Ce n’est que bien plus tard que les éditions La Musardine, à l’occasion de la publication de « Beautés dociles », ouvrage présentant une galerie de 48 jolies filles dénudées et artistiquement ficelées, ont enfin dévoilé que Bernard Dufossé et Hanz Kovacq n’étaient qu’un seul et même homme. Le mystère était enfin résolu. Pas tout à fait, parce que ce changement brutal de registre à la fin des années 90 demeure inexpliqué. Comment et pourquoi un dessinateur ayant illustré une jeunesse saine et exemplaire est brutalement devenu l’un des plus audacieux créateur de la bande dessinée pour adultes ? Revanche sur des décennies d’auto censure ? Besoin de gagner sa vie alors que la presse pour jeunes est moribonde ?
Hilda, jeune femme belle et décomplexée, n’hésite pas à vivre ses pulsions sexuelles que ce soit auprès d’hommes que de femmes. La nuit, elle rêve – ou plutôt cauchemarde – qu’elle est la princesse Hildegarde, riche héritière dominée par une belle-mère abusive.  La nuit enchaînée, torturée et violée dans une prison sordide par les hommes de l’Inquisition, elle consulte un psychiatre le jour qui lui fait subir les mêmes sévices. « Hilda » est l’héroïne de trois histoires publiées par CAP/IPM de 1999 à 2002 et d’une quatrième éditée par Rebecca Rils en 2008. Elle n’est pas la seule création de Kovacq qui est aussi l’auteur de « Diane de Grand Lieu », noble vendéenne qui au coeur de la Terreur utilise ses charmes pour lutter contre les soldats de la République.
Deux albums ont été publiés par IPM  en 2003 et 2004. L’expérience accumulée au cours de sa longue carrière permet à Bernard Dufossé de réaliser des pages dynamiques, riches en décors soignés et en personnages féminins superbes. Les milliers de petites filles sages et charmantes qu’il a dessinées si longtemps sont devenues des femmes aux corps dénudés et superbes qu’il prend plaisir à soumettre aux pires tortures. Le label Dynamite des éditions La Musardine propose la réédition en un bel album cartonné du premier épisode de cette série majeure de la bande dessinée pornographique. Un ouvrage dont il a été difficile de choisir des extraits passables sur BDZoom.com. Bien entendu, cet album est réservé plus que jamais à un lectorat averti.
Henri FILIPPINI
Sur Bernard Dufossé voir aussi le « Coin du patrimoine » de Gilles Ratier : Bernard Dufossé : encore un talent réaliste bien oublié….
« Hilda » par Hanz Kovacq
Éditions Dynamite (15 €) – ISBN : 9 782362341816
Ce cross-over de la BD de jeunesse catholique vers la pornographie la plus transgressive, régressive et comportant, par dessus le marché, des scènes de torture, et de rapports démoniaques, constitue, je trouve comme vous, une parmi les plus fascinantes des énigmes de la profession.
Au vu des dessins, en comparant avec Les Sanguinaires ou même Baden Powell, on retrouve les mêmes types morphologiques et de faciès, le même trait, Kovacq est sans nul doute possible Bernard Dufossé.
Pourquoi se masquer quand on est sûr de finir par être démasqué? Pour raisons économiques, on le comprend.Et pourquoi pas de pudeur.
Clairement, il ne s’est pas agit de renier la carrière passée.
Quant au comment ou au pourquoi de cet incroyable virement de bord, je m’interroge comme vous : N’y aurait-il pas l’amertume d’un manque de notoriété, de n’avoir pas accroché le bon wagon de la bonne revue de prépublication, de n’avoir connu nul succès avec ses personnages récurrents?
Comment faisait-il pour assumer de telles publications (Le dessinateur ne dessine que ce que l’éditeur veut bien publier! L’éditeur n’imprime que ce que le dessinateur veut bien dessiner! C’est pas moi, c’est l’autre!) ? Comment ces albums ont-ils passé à travers la censure? Comment, dans quel état, avec et par quelles émotions dessine-t-on « ça »? Comment ces albums ont-ils passé à travers la censure?
Si l’occasion m’étais donné de rencontrer Bernard Joubert, éminent spécialiste, je commencerais par lui demander s’il a parlé avec Kovacq, ou s’il connaît des proches..
On ne comprend pas, vraiment surtout vis à vis de Glénat qui avait publié bien avant le Marie-Gabrielle de Saint-Eutrope.
Quant à censure chez BD-Adult bon c’était publié à une époque où il n’y en avait pas. La revue était distribuée partout, sans blister. Une mention « Réservé aux adultes ». Voila! Période révolue, bien sûr….