Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Mystères, fantômes, zéro déchet et développement durable sont au programme du petit Lucien …
Lucien n’a pas froid aux yeux. Déménagé à son corps défendant dans un village du littoral breton, il s’affirme plus têtu que ses jeunes camarades, prêt à affronter seul le fantôme qui hante un manoir isolé en haut d’une falaise. Ce qu’il va y découvrir surprendra tout le monde et offrira à réfléchir à beaucoup. Additionnez à une BD d’aventures fantastiques un récit engagé et vous obtiendrez un remarquable ouvrage pour la jeunesse.
Lucien, 10 ans, est grognon. Il ne voulait pas quitter la ville pour un petit village breton. Ses parents, eux, sont contents, en déménageant, ils se rapprochent de la nature. Avec sa jeune sœur, Violette, le jeune garçon doit aller faire les premières commissions de la famille dans la petite épicerie locale. Là , Lucien apprend de la bouche d’un commerçant, un peu excentrique, qu’il existe une belle maison en haut d’une falaise où est enterré un vieux docteur au bout de son jardin, debout face à la mer et qu’il revient parfois hanter sa maison. Il n’en faut pas davantage pour intriguer le nouvel arrivant, fan absolu des romans fantastiques de H. Price.
Les camarades de classe de Lucien l’accueillent un peu froidement. Ignorant tout de ses lectures, ils le mettent au défi de pénétrer dans le manoir hanté.
Équipé comme un des chasseurs de fantômes du film « Ghosbuster », le jeune garçon ne montre pas son appréhension quand il s’introduit dans cette étrange demeure.
Effrayé par un masque tropical, il pousse un cri perçant. L’entendant devant la grille de la propriété, les autres enfants s’enfuient. Ils ne sauront donc pas ce que découvre l’intrépide Lucien au sein d’une maison ayant appartenu à rien de moins que H. Price lui-même, le célèbre écrivain, spécialiste de récits spiritistes.
Le couple mayennais Delphine Le Lay – Alexis Horellou nous avait habitués à des récits contemporains documentaires ou à visée sociologique comme « Plogoff » ou « 100 maisons, la cité des abeilles ». Il sa lance dans la série jeunesse avec ce titre ambitieux sans rien renier de leurs idées et de leur volonté d’éveiller les consciences à la possibilité d’un autre monde, moins consumériste, moins destructeur de la planète, bref en remettant en cause le dogme du bonheur lié à une croissance sans limite dans un monde libéral.
Le vieil ermite que découvre Lucien au fond de sa demeure protectrice prône en effet, avec des arguments convaincants, une décroissance salutaire, un quotidien à zéro déchet en favorisant circuit court et potager bio et une consommation raisonnée pour une société durable.
Sans mièvrerie ni lourdeurs, les auteurs portent un message écologique engagé et cohérent. Pour eux, un autre monde est possible et il faut en convaincre prioritairement les enfants. Le récit fantastique construit par Delphine Le Lay amène le jeune lecteur, à la suite de Lucien, à découvrir deux mondes différents ; d’abord celui des fantômes puis celui d’un développement durable et humaniste.
Tout en douceur, le récit aborde des sujets contemporains délicats comme celui de la précarité et du chômage, mais aussi du harcèlement pour mettre en valeur les thèmes universels de l’amitié, de la solidarité, de l’acceptation de l’autre et du partage. Alexis Horellou adopte pour le premier volume des aventures de Lucien un trait séduisant, stylisé entre Art nouveau et gravure des récits de Jules Verne des premières éditions. Il rend ainsi très lisible un récit riche de plusieurs niveaux de lecture, agrémenté de couleurs pastel qui jouent sur les contrastes verts-orangés. On nous annonce pour bientôt, ce dont nous nous réjouissons,  une suite aux aventures de l’intrépide Lucien, sobrement intitulée « Granit rouge », la Bretagne sera donc toujours à l’honneur !
Laurent LESSOUS (l@bd)
« Lucien et les mystérieux phénomènes T1 : L’empreinte de H. Price » par Alexis Horellou et Delphine Le Lay
Éditions Casterman (16,00 €) – ISBN : 978-2-203-16860-2