« Shazam » : y’a comme un train qui m’fend la tête…

Alors que le film, plutôt réussi, « Shazam » de David F Sandberg, tente à sa manière de s’imposer actuellement, dans la dure lutte que se mènent sur grands écrans interposés les maisons d’édition concurrentes Marvel et DC, n’oublions pas que ce sont des héros de papier avant tout qui sont à l’origine de ce combat économique. Urban comics nous le rappelle, avec, parmi une pléiade de titres consacrés au héros Captain Marvel, alias Billy Batson et Shazam, une incontournable anthologie, et une mini série rafraichissante dessinée par l’auteur de « Bone ».

Billy Batson est un jeune adolescent, abandonné par ses parents, vendant des journaux dans la rue. Ses aventures, contées par Bill Parker et dessinées par Charles Clarence Beck commencent dans le numéro 2 de la revue Whizz comics des éditions Fawcett en février 1940. C’est dans ce numéro que Billy est attiré par un étranger dans une partie inconnue du métro, où un sorcier, attendant de léguer ses pouvoirs, l’a choisi pour ses qualités humaines. Là, lui faisant prononcer son nom : « Shazam », il lui permet de se transformer en un homme grand et fort : Captain Marvel.

Durant 13 ans, ses aventures vont être racontées par différentes équipes d’auteurs, dans des revues différentes : Whiz comics, puis Master comics, Marvel Family, ou Captain Marvel Adventures. L’univers de Billy Batson va évoluer rapidement, puisqu’aux côtés du principal méchant de sa première aventure : le savant fou Sivana, vont apparaître d’autres figures, telles Captain Nazi (novembre 1941), Black Adam, ancien méchant ramené sur le devant de la scène, ainsi que la future famille de Billy, dont Freddy Freeman, jeune handicapé ayant subit une noyade, que Captain Marvel sauve en l’amenant auprès du sorcier Shazam. Ce dernier deviendra Marvel junior, partageant ses pouvoirs avec son sauveur. Il devient d’ailleurs vedette du titre dans Master Comics fin 1941, sous le dessin plus réaliste de Mac Raboy.

Cette période permet aussi d’élargir la famille Marvel, puisque dès décembre 1942 est créée Miss Marvel, lorsque Billy apprend qu’il a en réalité une sÅ“ur jumelle, Mary. Celle-ci prononce à son tour le mot magique, dans Captain Marvel adventures #18 puis bénéficie de son propre titre Mary Marvel en décembre 1945.

D’autres personnages sympathiques apparaissent aussi durant l’âge d’or, tels Oncle Dudley, tentant de faire croire qu’il possède lui aussi des pouvoirs, ou Tawky Tawny, un tigre doté de parole…Une diversité donnant le ton familial et sympathique de la série. Tout cela est dévoilé à l’aide d’une sélection d’épisodes et de textes introductifs, dans la première partie de ce recueil en comptant quatre.

Le docteur Sivana : double maléfique...

On a vu lors d’une précédente chronique, à l’occasion de la sortie du film « Captain Marvel » (licence Marvel), que ce nom avait connu des déboires au fil du temps. En effet, pour des questions de droits et de similitudes entre les personnages Superman et Captain Marvel, Fawcett et DC n’ont cessé les procès, ceci amenant le rachat du personnage par DC comics en 1972, et du nom par Marvel comics dés 1967. Les éditions Fawcett ayant stoppé de leur côté leurs parutions en 1953. Un hiatus d’une vingtaine d’années durant lesquelles nul n’entendit plus parler de Captain Marvel. C’est sous le titre de la revue Shazam que DC le ressuscite en février 1973.

Shazam #1 (février 1973) par Nick Cardy, Murphy Anderson et C.C. beck

C’est le scénariste Dennis O Neil, associé au dessinateur historique C.C. Beck, qui ramène à la vie la famille Marvel, avec une explication de bulle temporelle créée par le docteur Sivana, ayant bloqué Captain Marvel toutes ces années. Les premiers numéros, à l’inverse d’autres titres DC de cette époque, se distinguent en tentant de retrouver l’identité artistique des épisodes originaux. C’est aussi l’époque de la sortie d’une deuxième série télévisée du héros, ainsi que ses premières confrontations avec Superman. Il est aussi décidé, afin d’incorporer les personnages dans les univers parallèles de l’éditeur, que les Marvel résident désormais sur la terre S (S comme Shazam bien sûr). C’est pourquoi l’épisode qui nous est proposé page 106 voit Superman affronter un Captain Thunderbird résidant sur…la même terre. Bienvenu chez DC est ses complications !

Si certaines équipes d’auteurs amènent par ce biais des récits beaucoup plus adultes , tel : « Faites place à Captain Thunder », par Elliot S Maggin et Curt Swan, (Superman #276, 1974), ou l’annuel #3 de la revue DC comics presents de 1984, scénarisée par Roy Thomas, Joe Cavalieri et dessinée par Gil Kane, (cette dernière nous en mettant plein la vue, dans un style très eighties et plus adulte), d’autres, au sein du titre Shazam (#29, juin 1977) gardent quant à eux l’aspect classique et un peu cartoony.

Le troisième chapitre s’ouvre sur un must, le roman graphique de Jerry Orway : « Le pouvoir de Shazam ». Un récit de 96 pages débuté en 1991 par un auteur respecté ayant déjà eu, entre autre, l’occasion de travailler sur le personnage, ainsi que sur Superman.

 L’idée, au delà de faire comme si ce récit était une adaptation du film de l’époque, redéfinit à peine les origines, tout en respectant les canons, en faisant de Black Adam le double négatif du héros. Une aventure au style flamboyant plutôt réaliste, très « Indiana Jones » dans le ton de ses premières planches, débutant lors d’une expédition en Egypte, montée par le professeur Sivana. Jerry Orway assure, insufflant un ton adulte et un graphisme sombre et dynamique qui « posera les bases de ce qui va être le mensuel du Captain de 1995 à 1999 », dixit les notes de Yann Graf. N’empêche, on peut considérer ces 96 pages comme l’élément incontournable de ce recueil.

« Fondu au noir » associe notre héros à Flash, luttant contre les ombres tueuses d’Ombre fin, possédé par Neron (The Flash #107, par Mark Waid et Oscar Jimenez 1995). « Les Origines de Captain Marvel », deux pages peintes par Alex Ross, parues initialement dans la revue Special DC #13 de Semic en 2001 sont proposées (2), ainsi qu’une histoire au ton plus jeunesse mettant en scène Batman, Captain Marvel, Tawky Tawny et le Psycho Pirate (All new Batman the Brave and the bold #2, 2011).Le quatrième chapitre boucle la boucle en nous proposant les incarnations les plus récentes du héros : « Le Retour du tonnerre » (Convergence Shazam# 1-2, juillet 2015). Où l’on peut apprécier le dessin réaliste fin très agréable de Doc Shaner, très justement colorisé par Jordie Bellaire, pour un récit confrontant deux mondes vintage, dont le « Gotham by Gaslight » de Batman. So class.

Un petit clin d'oeil à ses aînés n'est jamais de trop... Dessin : Doc Shaner

« Shazam et les sept royaumes magiques » (Shazam #1, février 2019), nous propulse lui directement dans la série actuellement en cours, écrite par Geoff Johns et dessinée par Dave Eaglesham. Une série ou la famille Marvel est désormais composée de cinq (!) co équipiers, partageant le pouvoir de Shazam : Freddy Freeman, Eugène Choi, Mary Broomfield, Pedro Péna et Dana Dudkey. Une équipe générationnelle adolescente et moderne très connectée, créée on l’imagine bien, pour mieux coller aux lecteurs d’aujourd’hui. Un côté limite « Archies » dans l’esprit, m’ayant personnellement un peu déstabilisé. « Mary », par le même scénariste, mais dessiné dans un style manga par Mayo
« Sen » Naito, afin de dévoiler les origines de la jeune sœur de Billy, et amie de Freddy, résulte du même objectif, et amène un constat quelque peu similaire.

Surfant sur le succès présagé des films issus de leurs licences, les maisons d’édition de comics mettent sur le marché un tas d’ouvrages collant à l’actualité. Si dans les années quatre-vingt, cela a pu faire l’objet de parutions pas toujours essentielles, la qualité est désormais au rendez-vous. Débutée en 2012 et forte d’une expérience de 9 volumes, la collection Anthologie d’Urban comics s’impose comme une référence ultime pour quiconque s’intéresse à cette culture. Ce volume, d’une série pourtant pas aisée à présenter, grâce à son chapitrage utile, ses récits soigneusement choisis et ses nombreux textes explicatifs, fait partie de l’un des plus réussis.


En librairie actuellement aussi, un récit inédit de Shazam : « Shazam contre la société des monstres », réalisé par l’auteur adulé de la série fantastique« Bone » : Jeff Smith (1).

C’est le premier récit au long court de cet artiste, mettant en scène un autre personnage que son petit bonhomme blanc fétiche, après une épopée de 13 ans et 55 comics. Cette mini série a paru sous forme de quatre comics en 2007, et a été recueilli une première fois aux États-Unis en 2009.

Avec son style bien à lui, l’auteur arrive à insuffler de la poésie dans un monde pourtant dur vécu par un enfant, car le (très) jeune Billy, dans ce récit, nous est montré dans son statut de SDF de manière assez crue. Cela a le pouvoir de rendre l’histoire assez poignante dés le départ. Néanmoins, cet épisode mettant en danger les concitoyens de sa ville (et les humains plus largement), à cause de l’apparition, tout d’abord de sauriens parlant monstrueux, puis de deux robots géants dans le parc du centre ville, va rapidement trouver son rythme d’action.

Après une adaptation des origines du héros, très bien rendues, (ce train emmenant Billy et ce sorcier ont tout d’un mélange entre Harry Potter, Le Seigneur des anneaux et le Pôle express), notre petit héros devenu grand va vite être aidé par sa petite sœur retrouvée, et Tawky (ou Talky) Tawny, super tigre qui accompagnait jusque là Billy sous la forme d’un autre (vieux) SDF. Une ré écriture, dans ce cas précis, voulue par Jeff Smith, qui fonctionne à merveille. Bien sûr, le professeur Sivana sera de la partie, tout comme Mr Mind, un ver vénusien télépathe, bien connu des lecteurs de Shazam, à l’origine de ce cataclysme.Le style graphique jeunesse de Jeff Smith, magnifié par le travail de Steve Hamaker, son coloriste attitré, fait mouche, surtout lorsqu’il se met au service d’une qualité de lecture adaptée aux adultes. Cela ravit Alex Ross, signant le prologue de ce beau recueil dos rond, à la couverture souple, qui explique : «  (…) aujourd’hui le fossé qui sépare la bande dessinée d’humour et les ouvrages au style graphique réaliste semble plus marqué que jamais. La plupart du temps, on ne tente même pas de lier les deux, ce qui a tendance à créer des ghettos artistiques. Jeff Smith est l’un des rares à oser combler cette tranchée et à parvenir avec succès à bousculer les frontières. (…) La vision que Jeff a de Billy Batson en tant que petit garçon ajoute à son récit toute la magie qu’on était en droit d’en attendre. (…) Mais il arrive aussi à en faire « une métaphore de notre époque. Ce n’est pas un hasard si, à travers ce récit, on perçoit comme des réminiscences du 11septembre ».

Quelques crayonnés en fin de volume complètent l’histoire, tout comme des fiches personnage à chaque début de chapitre. Merci à Urban comics d’avoir publié cette adaptation, traduite par Xavier Hanart. Il aurait été vraiment dommage de ne pas s’en régaler, d’autant plus qu’elle est offerte à prix très doux. Tous publics, à partir de 8 ans.

Franck GUIGUE
Découvrez mes autres chroniques sur 40/30/30 le blog d’Hectorvadair

 

Tawky Tawny, version cartoony dans l'anthologie

(1) « Bone » est disponible en intégrale chez Delcourt depuis 2015. Un pavé de …1300 pages !

 

(2) Cette histoire spéciale a été recueilli avec toutes celles écrites par Paul Dini et Alex Ross dans
« Justice League – : Icônes » (Urban comics 2017)

 

 

 

 

 

 

 

« Shazam anthologie : les récits les plus magiques de 1940 à nos jours » par divers auteurs
Éditions Urban comics (25 €) – ISBN : 9791026819448

« Shazam contre la société des monstres » par Jeff Smith
Éditions Urban comics ( 10€) – ISBN : 9791026819097

La fameuse scène des origines, vue par Jerry Orway

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