Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« True Stories » de Def Backderf : parce qu’il vaut mieux en rire…
Def Backderf, auteur alternatif américain bien connu des lecteurs français, a eu droit à un affichage intensif des éditions ça et là à Angoulême cette année, à l’occasion du projet participatif de réédition, augmentée d’un DVD, de son célèbre « Mon ami Dahmer ».
Le revoilà chez le même éditeur avec un recueil de strips hilarants, mais laissant un goût amer, démontant les travers d’une certaine société américaine au quotidien.
John « Def » Backderf est un auteur « du macadam ». Né en 1959, il a pratiqué certains métiers extrêmes, comme éboueur durant un an, après un début d’apprentissage dans une école d’art, puis journaliste pour un canard de Floride après avoir suivi des études dans ce domaine. Il connait bien la psyché humaine et s’est assez naturellement dirigé vers l’évocation très réaliste de ses contemporains, soit par le biais d’histoires quasi biographiques racontant le métier d’éboueur : « Trashed » (ça et là 2015) , soit sa relation au Serial Killer Jeffrey Dahmer (« Mon ami Dahmer », ça et là 2013). Il a aussi évoqué le milieu de la loose et de la scène punk rock des 80′s de la ville d’Akron dans « Punk Rock et mobile homes » (2014, même éditeur).
« True Stories » rassemble 200 pages des meilleurs strips réalisés de manière hebdomadaire sous le nom de « The City » et vendu entre 1990 et 2004 à environ 200 journaux et magazines américains. L’auteur s’est amusé à reproduire, sous la forme d’une page à chaque fois, ce qu’il observait dans son quotidien, ou des faits improbables ou curieux que des amis de confiance lui rapportaient. Cela se passe dans des boutiques, dans la rue, dans le bus, ou à la bibliothèque….
Les strips sont abrupts, en noir et blanc ou en couleur, dans le style caricatural bien reconnaissable de l’auteur. Un style graphique proche de Peter Bagge, que l’on aimerait aussi associer à la scène finlandaise dont quelques auteurs dégagent la même ambiance. À chaque coup, ces scénettes improbables, mettant en lumière des êtres humains aux comportement « déviants », amènent à la fois l’envie de pouffer de rire, et une réflexion sur le pourquoi du comment. Souvent le lecteur, placé tel un voyeur de la scène en train de se dérouler, se demande comment il aurait réagi, s’il avait réagi à la situation décrite.
Si on rigole dans « True Stories », c’est par le biais de situation vraiment cocasses, car se glissent au travers d’elles d’autres scènes mettant plutôt mal à l’aise. La morale de notre société contemporaine est sans cesse questionnée, et la politique sociale des États-Unis en l’occurrence est crument mise à mal. Comme dans ce strip où un homme, au McDonald’s, demande une grande salade avec des croûtons et, avant de partir, en demande un peu plus car « c’est la fin du mois, faut que je fasse durer ». Ou celle où un SDF interpelle un étudiant débraillé traversant hors des clous : « mec, marche sur le passage piéton !! Si quelqu’un t’rentre dedans ici, tu toucheras pas un rond !!! »
D’autres strips, selon que l’on travaille ou fréquente les services sociaux ou culturels, parleront plus ou moins. En effet, les « acteurs » rencontrés dans ces sketches réels ne sont souvent que de pauvres gens, n’ayant pas toujours le niveau social ou intellectuel adéquat, face à l’œil d’un guichetier d’une agence publique, ou d’un simple auteur de BD, journaliste, assis à ce moment-là , dans le même café ou à la terrasse voisine. Les drames parfois minimes, parfois plus graves, qui se jouent « sous nos yeux », rappellent, même s’ils font sourire malgré nous, combien la société humaine est faite de pauvres gens, souvent désespérés, parfois malades, toujours dans le besoin : de nourriture, de soins, ou simplement de présence. D’autres mettent plus simplement en avant les travers de chacun d’entre nous, lorsque nous nous laissons aller, ne donnant pas à voir le meilleur de nous-mêmes.Et si Def Backderf avec « True Stories », après avoir abordé d’autres thèmes sociaux intéressants dans ses précédents ouvrages, nous parlait finalement essentiellement de la pauvreté aux États-Unis, l’air de rien ? Pauvreté économique, pauvreté intellectuelle, lâcheté à divers niveaux, mais donc aussi de la malbouffe, du racisme, de l’éducation, des croyances, de l’isolement, du chômage, de la pollution, de la déconnexion face aux avancées technologiques, ou des règles qui nous sont imposées et de la pression que celles-ci engendrent. C’est le constat que l’on fait en refermant ce très bon recueil, qui se devait d’être édité. L’avoir réalisé par le biais de l’humour (certes noir), était une gageure que l’auteur a réussi à relever haut la main. Chapeau !
Franck GUIGUE
Retrouvez les précédentes chroniques consacrées à « Mon ami Dahmer » et son adaptation cinématographique ici :
http://bdzoom.com/64497/bd-de-la-semaine/%C2%AB-mon-ami-dahmer-%C2%BB-par-derf-backderf/
« True Stories » par Def Backderf
Éditions ça et là (20 €) – ISBN : 978-2-36990-265-2
Moyennement drôle et très mal dessiné. Dans le même genre, je préfère Sattouf….
Cet album, comme les autre de Backderf, est excellent à tous point de vue ! A déguster sans modération !