Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Slaine : ses origines en noir et blanc enfin dévoilées !
Il fut un temps, au néolithique, où les hommes vivant sur les terres de Britanie et d’Irlande (ou plutôt : Tir Nan Og – Le Pays Jeune) croyaient en beaucoup de dieux. Ils étaient aussi amenés à combattre entre tribus et les armes de pierre côtoyaient celles de fer. Pat Mills, s’inspirant des artefacts de ces anciens peuples celtiques légendaires, a créé en 1983 la série de Sword and Sorcery « Slaine ». Totalement inédits, ces premiers épisodes nous sont proposés dans un superbe recueil cartonné.
Les lecteurs de la revue anglaise 2000AD ont du être surpris le 30 août 1983, découvrant en couverture de leur magazine de comics favori une illustration dynamique mettant un scène un nouveau personnage de barbare, maniant une hache de pierre. D’autant plus que le dessin noir et blanc présentant les premières planches de ce nouveau héros était réalisé par une inconnue alors : l’illustratrice Angie Kincaid. Pat Mills, le scénariste, souhaitant développer sa nouvelle idée dans un style européen inspiré de Jean Claude Gal, avait en effet ouvert les portes à cette habituée de dessin pour enfants, dont le style l’avait séduit (1).
Malheureusement, les lecteurs amateurs de comics la snobèrent, la forçant dès le second numéro à laisser sa place à un autre collègue : Massimo Belardinelli. Tandis que le scénariste, dans ses notes d’introduction, reconnaît aussi avoir un peu rendu les choses difficile à la dessinatrice, force est de constater que si le style de la dame est effectivement très inspiré de Jean Claude Gal, les deux autres dessinateurs remplissent leur mission avec davantage de personnalité. Mettons toutefois au crédit d’Angie Kincaid, sans renier la qualité intrinsèque de son travail, la co création de ce personnage haut en couleurs.
Slaine Mac Roth, de la branche rouge de la tribu des Sessairs, est un jeune celte forgé très tôt aux arts de la guerre. Il possède le pouvoir exceptionnel de la transe mystique appelé « spasme de distorsion ». Cette transe lui permet de se transformer en un être hideux mi homme mi monstre, décuplant ses forces, tel un Berseker. Son histoire nous est contée par Ukko, le nain à l’apparence de lutin, qui l’accompagne.
Si les lecteurs français ont été introduit à la série « Slaine » en couleur dès 1989 avec les superbes planches de Simon Bisley, grâce à quatre albums parus chez Zenda, associant de fait pour longtemps cet autre auteur à l’univers, les origines du personnages nous étaient inconnues, alors que la série était pourtant déjà bien entamée outre Manche. Un épisode daté 1993 de la revue Comics USA avait toutefois déjà permis de découvrir celle-ci dans la magie du noir et blanc, grâce à 13 pages dessinées par Glenn Fabry, dans le numéro 69.
Slaine, c’est un peu le Conan européen. En effet, bien que par beaucoup d’aspects, le héros de Pat Mills évolue dans des sphères déjà parcourues par le prince de Cimmerie de Robert Ervin Howard, définitivement associé à Arnold Schwarzenegger et à la maison des idées américaine, il n’en est pas « un parent pauvre ». Ses aventures s’inscrivent dans un univers créé sur des bases historiques et Pat Mills, s’il prend beaucoup de liberté, n’hésite pas à documenter son propos, nous proposant trois pages intitulées « les origines » à la fin de ce volume.
Le terreau celtique a déjà intéressé de nombreux auteurs, et l’on pourra s’y reporter (2). Sans ambition de citer toutes les Å“uvres mettant en valeur cette culture, notons toutefois qu’elle connaît une ré émergence ces dernières années, ne serait-ce qu’avec la série « Britannia » de Peter Miligan et Joan José Ryp, aux éditions Bliss, surfant d’ailleurs aussi beaucoup sur le côté fantastique, autorisé par les légendes du dieu Cornu, entre autre. C’est cependant davantage à partir des « Armées du conquérant », (Les Humanoïdes associées 1977, mais aussi la série « Arn » 1981-1988), précédemment citée, que Pat Mills va développer un univers fantasmagorique, basé à la fois sur les croyances, mais aussi sur le sens de la bataille au corps à corps, typique de ces âges sombres. L’occasion de nombreuses scènes « tranchantes », non recommandées aux enfants. D’ailleurs, une autre référence associée : celle des vikings, nous est montrée à l’occasion de l’épisode « Les Chariots du ciel » où le mot Berserker (guerrier indestructible, mi homme- mi ours) souvent associé aux croyances nordiques, est à de nombreuses reprises employé dans l’album. Des guerriers vikings, attaquant le navire volant de Slaine à partir de leurs propres Drakkars flottants, semblent sûr de l’emporter, mais c’est sans compter sur la force et les pouvoirs surnaturels du héros aux cheveux en épis. La référence à la torture de l’aigle de sang, bien connue aujourd’hui des amateurs de la série télévisée « Vikings » de Michael Hirst justement, revient aussi souvent. Une porosité des cultures permettant de garder des repères dans l’espace et le temps, même si suffisamment de « non-morts » (des zombies), de sorcières et de monstres en tous genres, parsèment ces aventures.
Graphiquement, les planches noires et blanches des trois artistes donnent magnifiquement corps à ces histoires. Le dessin de Massimo Belardinelli, que l’on qualifiera de relativement classique, pourra évoquer celui de Don Lawrence, certes inoubliable dessinateur anglais de « Trigan » et « Storm », (années quatre-vingt, chez Glénat) mais aussi dans ce cas d’« Erik le viking » publié en grand format noir et blanc aux éditions Michel Deligne de 1979 à 1983. S’il rend la lecture des récits, dynamiques et intrigants, agréable, souvent avec une précision dans les détails remarquable (on pensera par exemple à ces deux joueurs de proto cornemuse, page 41 de « La bête dans le Broch », passant quasiment inaperçus lors d’une première lecture, on s’arrêtera encore d’avantage sur ceux de l’incroyable Mike McMahon, faisant à eux seuls le sel de ce recueil. C’est à un régal des dieux auquel nous sommes conviés avec ses prestations. Débutant avec l’épisode « L’Aube du guerrier » (prog 335), (ce n’est certainement pas un hasard si le recueil porte ce nom…), ses prestations de haut vol vont être mêlées à celles de son collègue Belardinelli, (prog 331, 337-344), même s’il assure toutefois l’essentiel de l’album sur les nombreux épisodes 336, puis 345 à 360 (soit seize épisodes !)Progressivement cependant, ses cases, remarquables par leur aspect de dessin carte à gratter, qui seraient réalisées en négatif, laissant apparaître de longs traits fins blancs, vont tout d’abord perdre leurs cadres noirs. Cette évolution apporte une lecture encore plus agréable, puisque le dessinateur aère ses planches. Un style subtil et oh combien séducteur, donnant l’impression de cases non encrées ! Un must graphique, rappelant les heures de gloire d’un autre anglais : Barry Windsor Smith. Mais cela ne va pas durer, puisque dés l’épisode 352 « Les Chariots du ciel », c’est une mise en page un peu plus chargée qui s’impose, faisant davantage ressortir l’encrage. Bien que ces superbes pages, dont celles d’introduction, par exemple, avec leur beau logo titre stylisé, restent magnifiques et ne cessent de nous ravir, on gardera une préférence pour les précédentes.
Finalement, c’est ce subtil équilibre entre des planches d’aspect classique, au bel encrage, et d’autres, plus sauvages et ahurissantes de liberté, celles de McMahon, qui rend ce premier recueil de « Slaine » aussi indispensable à tout amateur, non seulement de dessin, mais aussi de bande dessinée d’« Épées et de sorcellerie ».
Au delà d’offrir un album de haute volée, Delirium propose à ses lecteurs, comme à son habitude, un cartonnage premium, une couverture couleur de toute beauté, (reprenant, dans un ton un peu plus vert, celle dessinée par Mike McMahon pour le recueil édité par Titan Book en 1986), et les reproductions de couvertures originales couleur en fin d’album. « Hail Hail » Slaine !
Franck GUIGUE
(1) « Les armées du conquérant », publié aux Humanoïdes associés à l’époque, avec Jean Pierre Dionnet
(2) Notons le superbe diptyque en noir et blanc de Claude Auclair : « Celui-là », débuté en 1989 dans la revue À suivre. Cette épopée d’une tribu celtique, plutôt orientale d’ailleurs, avait choisi de respecter encore davantage les bases proto historiques (les celtes ont très peu laissé d’écrits). Un peu plus lointain, « Taramis », de Carlo Marcello et Victor Mora (1977- 1981 dans Pif gadget), avait aussi abordé l’époque, dans une série bien sûr plus familiale et classique.
« Slaine : l’aube du guerrier » par Pat Mills et Mike McMahon, Massimo Belardinelli et Angie Kincaid.
Éditions Délirium (27 €) – ISBN : 979-10-90916-47-0
Les Celtes (au sens où tu les décris, c’est à dire avant la conquête romaine) n’ont pas laissé un seul écrit , pas de dessin , rien du tout !!! (il n’y a que des gravures lapidaires, écrites d’ailleurs en alphabet « phénicien » , comme quoi cette opposition entre celtes et sémites est complètement débile, mais malheureusement largement diffusée par toutes ces BD ).
C’est fou, on dirait du Will