Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...A propos de Blacksad : Rencontre avec Canalés et Guarnido
Sortie événement de cette fin d’année, Blacksad 3 : Ame Rouge était attendu avec impatience par les lecteurs, toujours plus nombreux à suivre cette série politico-policière de divertissement, au réalisme froid et à la chaleur affective, comme la définissent ses auteurs.
On sent que leur complicité est ancienne et que ces deux là se connaissent depuis longtemps. « Quinze ans, pour être précis », nous confirment-ils. Quand ils se rencontrent, en octobre 1990, Juan Diaz Canalès et Juanjo Guarnido suivent tous les deux des cours sur le lay-out – une technique de décomposition de plans de dessin animé en éléments indépendants – dans les studios de Madrid. Très vite les deux hommes se trouvent de nombreux points communs, « autour de la bande dessinée européenne notamment, précisent-ils » et se lient d’amitié.
A l’issue de leur formation, Canales reste en Espagne tandis que Guarnido part en France travailler aux studios d’animation de Disney, à Montreuil, où il restera dix ans, jusqu’à la fermeture de ce bureau parisien. De son coté, parallèlement à ses activités dans l’animation, Canalès se lance dans la bande dessinée et développe quelques histoires courtes en noir & blanc d’une histoire animalière, un polar situé dans les années 30. Vous l’avez compris, c’est bien la naissance de Blacksad que nous évoquons, même si le graphisme est alors assuré par le scénariste d’aujourd’hui, « dans un style plus « fable » que réaliste, explique Canalès qui souligne que « ces planches sont d’ailleurs parues dans le Hors Série « making of » du premier tome de Blacksad, Les dessous de l’enquête. » Hélas!, bien que Guarnido démarche, pour son ami, les éditeurs parisiens, les portes de ceux-ci restent closes. Les deux hommes envisagent alors de travailler ensemble. Guarnido, « fasciné par le personnage » créé par Canalès, n’accepte cette collaboration commune « qu’à la condition qu’ils reprennent Blacksad, en osant quelque chose de réaliste et très innovant, » explique le dessinateur.
A chacun son rôle donc, Canalès scénarise et Guarnido décide ! Ca parait trop simple ! Effectivement, les deux auteurs nous révèlent une réalité tout autre : un véritable travail en équipe dans lequel chacun a son mot à dire sur le travail ou les idées de l’autre. Le scénario est relu et réécrit constamment au cours de multiples allers-retours par mails entre les deux hommes et Guarnido ne se met à dessiner l’album que lorsque tous les deux ont enfin signé de leur approbation définitive le récit à illustrer ainsi que chaque autre étape de la création, comme les découpages des séquences et les crayonnés avant encrage. Voila qui aide à mieux comprendre la rigueur, la fluidité, l’atmosphère maitrisée et le sens du détail qui caractérisent les récits de Blacksad. Bien sur, il s’agit toujours de polars mais, comme le rappelle Canalès : « c’est un genre qui entretient toujours une liaison avec des thèmes sociaux ou politiques, comme la chasse aux sorcières, un des sujets d’Ame rouge. »
Autre sujet de discussion : si c’est à Canalès que revient le choix des animaux qui prendront corps humains, Guarnido se réserve le droit de discuter par rapport à l’utilisation du personnage « et à l’investissement que cela représente en temps, en évitant, par exemple, de se lancer dans des réalisations très délicates pour un simple rôle de figuration. » Le choix de l’anthropomorphisme n’est évidemment pas laissé au hasard : les chats, les chiens, les loups, mais aussi « les personnages à tête d’oiseau ou de reptile passent, car il existe une habitude des lecteurs à ce sujet. Nous évitons cependant de prendre des animaux non mammifères pour les femmes, qui doivent avoir une poitrine. De même, les bêtes à cornes ou les éléphants, c’est plus délicat », explique Guarnido qui précise exclure avec Canalès tout choix dérangeant pour une histoire qu’ils souhaitent faire passer comme humaine. Exit les cafards et autres insectes ou encore requins et poissons, qui heurtent des codes mis en place par des personnages comme Donald ou Daffy Duck.
Ne pas heurter les codes ? Blacksad aurait ainsi pour ambition de toucher le plus large public ? Une BD à … – osons ce terme que certains critiques prononcent la mine défaite avec un rictus de dégoût - … vocation commerciale ? « Je n’ai pas la formule de la réussite commerciale, indique Guarnido. Chacun fait ses bandes dessinées en cherchant à instaurer et maintenir une certaine qualité. Mais il est vrai que nous avons pour ambition de faire une série de divertissement tout en délivrant des messages politiques et sociaux, avec le réalisme froid du polar américain conjugué à une chaleur affective. » Et ils y parviennent les bougres, par l’ambiance générale de leurs histoires et au travers des personnages à la personnalité très travaillée qu’ils mettent en scène. En continuant sur cette voie, ils risquent bien d’entrainer Blacksad dans le cercle des classiques du neuvième art. Ca ne nous surprendrait pas !
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Laurent Turpin
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Blacksad 3 – Ame rouge – Dargaud – 13€
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Le début : Rien ne va plus pour Blacksad. Echoué à Las Vegas, il en est réduit à jouer les gros bras au service d’un joueur fortuné. Au hasard d’une conférence sur l’énergie nucléaire, il retrouve un certain Otto Lieber qu’il a bien connu dans sa jeunesse. Depuis, Lieber est devenu un scientifique de haut vol, candidat au Prix Nobel. Otto Lieber a du souci à se faire : Blakcksad découvre que » quelqu’un » en veut à sa vie et décide d’assurer sa protection. Mais dans l’Amérique maccarthyste des années 50, il ne fait pas bon fourrer son museau n’importe où…
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Notre avis : Diaz Canales et Guarnido nous surprennent une nouvelle fois par leur talent sans cesse grandissant. Dans cette nouvelle aventure de leur détective félin, taciturne et désabusé, les auteurs arrivent à mettre en toile de fond une réalité économique et sociale (la chasse aux sorcières et la peur du nucléaire liée aux débuts de la guerre froide) tout en menant de main de maître leur intrigue policière. Ils se payent le luxe, dans le même temps de nous intéresser aux évolutions de leur personnage. Bref, en mêlant avec autant d’intelligence le divertissement et le sociopolitique, dépassant les codes standards du genre polar qu’ils maitrisaient déjà parfaitement, ils nous offrent un must ! Ah, oui, j’oubliais : le dessin est toujours parfait ! LT
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