Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« GrassKings » : l’herbe n’est pas plus verte de l’autre côté du lac…
Matt Kindt s’associe au dessinateur Tyler Jenkins, dont c’est le premier titre important en France, pour le tome 1 d’un triptyque, thriller plein de fureur dans la campagne américaine, au traitement graphique séduisant.
Au fin fond des états Unis, au bord d’un grand lac, vit une communauté isolée du reste du monde et ça depuis plus d’un siècle. Cette communauté est gouvernée par trois frères, dont Robert, le cadet, ayant perdu sa jeune fille il y a une dizaine d’années, apparemment noyée. Il a depuis sombré dans l’alcool. Bruce, lui, est le Sheriff local, tandis qu’Archie est le guetteur, tireur d’élite protégeant l’entrée du camp. Les tensions avec Cargill, le village le plus proche, sont réelles et il suffirait d’une étincelle pour déclencher une guerre… Celle-ci va être allumée par l’apparition d’une jeune femme, fuyant la violence du village voisin…
En commençant son histoire par le passé très lointain de la région évoquée, et faisant du lac un personnage à part entière, Matt Kindt, dont le synopsis lui a été soufflé par son dessinateur, lui insuffle un air merveilleux et inquiétant. D’ailleurs, chaque couverture de chapitre, dessinée par ses soins, évoque la violence qu’ont pu connaître les bords du lac au fil du temps : deux personnages à chaque fois, tels des Abel et Caïn, s’affrontant pour un territoire.
Les références au passé sont appuyées, au cÅ“ur du récit, par d’autres évocations de moments historiques, sensées justifier l’inexorable d’une situation tendue de voisinage. Les enfants jouent par exemple dans une carcasse d’avion de la première guerre, témoin d’un passé expliquant la présence d’un aérodrome dans ce camp fait de bicoques et de mobile homes.
Ces hommes et ces femmes ont choisi d’y vivre ensemble et de se respecter les uns les autres, sans heurts connus, ce qui, avouons le, peut passer pour une utopie pour beaucoup d’autres sociétés actuelles. Cela-dit, il semblerait qu’un tueur ait fait quelques victimes au fil du temps, et le Sheriff Humbert, de Cargill, est bien décidé à élucider l’affaire, et régler le sort de cette communauté « hors des clous ».
« Walking Dead » et ses communautés fermées essayant de vivre ensemble, mais plus souvent de s’étriper, ne manquera pas de s’inviter au bon souvenir des amateurs. Les scènes de conflits et la tension, palpables, en sont, on dirait, directement inspirées. Cela n’enlève rien au plaisir ressenti par ces premiers épisodes.
Si le titre à été élu « polar graphique de l’année » - et c’est un avis que je partage, au moins en ce qui concerne le très bon travail de Tyler Jenkins, dont les aquarelles subtiles rehaussent pertinemment un trait fin dynamique – on restera en attente des deux tomes à venir avant de porter un jugement aussi péremptoire. D’autant plus que l’année commence à peine. Je garde néanmoins une grande confiance en Matt Kindt, auteur dont on a déjà souvent ici pu vanter les mérites.
Franck GUIGUE
Les éditions Futuropolis publieront les trois tomes de la série au premier semestre 2019. Tome 2 le 06 mars, et tome 3 le 26 juin.
« GrassKings T1 » par Matt Kindt et Tyler Jenkins
Éditions Futuropolis (22 €) – ISBN : 9782754825092