Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Aristophania T1 » : la French Fantasy selon Xavier Dorison…
Prolifique scénariste (« W.E.S.T. », « Long John Silver », « Les Sentinelles » ou « Undertaker »), Dorison innove depuis quelques mois avec des projets tournés vers d’autres genres que l’aventure ou le western : outre l’animalier « Le Château des animaux » (dessin de Félix Delep) initié en décembre 2017 sous forme de gazette (la sortie de l’album est prévue au printemps 2019), voici donc surgir le premier opus d’une saga en quatre volumes conjuguant la magie et le réalisme ouvrier marseillais de la toute fin du XIXe siècle. Dessinée par Joël Parnotte, « Aristophania » est une réussite qui emmène notre âme (torturée…) d’enfant vers un imaginaire digne des « Animaux fantastiques » de J.K. Rowling ou de « Peter Pan » selon Loisel.
Éprouvée avec talent sur « Le Maître d’armes » (Dargaud, octobre 2015 ; voir article consacré), la collaboration entre Parnotte et Dorison ne décevra pas les amateurs de récits merveilleux ou ésotériques. Accommodée à la sauce du romantisme noir, « Aristophania » est le prénom de l’étrange comtesse Bolt-Privat de Rochebrune. Son royaume ? Un manoir, situé quelque part sur la Côte d’Azur, lequel va servir de lieu de refuge pour trois enfants miséreux. Vivant avec leur mère entre les taudis marseillais et ceux de Gennevilliers, ces derniers sont les orphelins de Clément Francoeur, un ouvrier tué neuf ans plus tôt dans d’étranges circonstances par Barboza, un colosse dévoreur de rats. Devenus la cible de l’inquiétant Gédéon, le Roi Banni de la Cour sombre, lancé à la recherche de la source Aurore (une matière énergétique assurant la prospérité de l’humanité), le trio adolescent (Calixte, Basile et Victor) n’aura pas d’autre choix que de suivre sa curieuse marraine. Laquelle cache plus d’un extraordinaire pouvoir sous son large et élégant chapeau mauve…
Scénarisée entre ombres et lumières, héros et forces du mal, alternant les machineries industrielles et les paysages ensoleillés, les quartiers pauvres et le castel provençal, « Aristophania T1 » est un tome d’exposition qui conserve encore bon nombre de mystères. Prépublié dans L’Immanquable (à partir du n° 95 de décembre 2018), ce conte moderne – inspiré par les souvenirs d’enfance des deux auteurs – met graphiquement en avant dès sa couverture l’aristocrate vieillissante : bain de lumière, environnement naturel oscillant entre atmosphère impressionniste (un bassin digne des « Nymphéas » de Monet) et appel de l’ailleurs (la symbolique du vert), posture surnaturelle (ou super-héroïque !) et silhouette triplement inspirée par « Mary Poppins » (incarnée par Julie Andrews en 1964 et Emily Blunt en 2018), « Les Aristochats » (1970 ; voir le personnage de l’ancienne chanteuse d’opéra, Adélaïde Bonnefamille) et la série britannique « Downton Abbey » (2010 à 2015 ; où Maggie Smith joue la comtesse Lady Violet Crawley). Joël Parnotte explique : « Il y eu deux versions de la couverture car la première avait un aspect trop « londonien ». Elle renvoyait à des univers comme celui de « Peter Pan » ou « Mary Poppins » de manière trop forte et pouvait faire croire qu’on était dans un récit de fantasy anglo-saxon. ce qui n’est pas le cas. Notre histoire se situe en France et plus particulièrement en Provence, il nous a paru important d’être clair sur le fait qu’on ne se situe pas à Londres. c’est de la French Fantasy comme indiqué sur le sticker ! Pour le reste de la réflexion, il fallait montrer clairement qu’on est dans du fantastique, et présenter de manière mystérieuse notre héroïne en resituant son époque via le costume et le chapeau. Le premier visuel de couverture a été repris sur le tirage spécial canal BD ».
Riche en détails, en cadrages et plans intimistes ou spectaculaires, « Aristophania » ne devrait que vous rendre plus impatient de découvrir la suite… ou plutôt les suites : trois albums, à paraître respectivement en octobre 2019 (« Progredientes », amorçant l’apprentissage de la magie par nos trois adolescents), 2020 (« La Source Aurore ») et 2021 (« La Montagne rouge »).
Philippe TOMBLAINE
« Aristophania T1 : Le Royaume d’Azur » par Joël Parnotte et Xavier Dorison
Éditions Dargaud (14,99 €) – ISBN : 978-2505070047