Depuis 2021, chaque année, Tiburce Oger rassemble une belle équipe de dessinateurs et dessinatrices pour évoquer l’Ouest américain à travers des personnages authentiques – le Far West, donc – et l’exploitation de ces territoires par des individus qui oubliaient, bien souvent, qu’ils n’étaient que des colonisateurs assoiffés de richesses…
Lire la suite...L’ENVERS DES PLANCHES DE Fred DUVAL
Avec «Carmen Mc Callum» et «Travis», Fred Duval est certainement l’un des scénaristes les plus représentatifs du label Série B des éditions Delcourt. Il est actuellement sur le devant de la scène avec une nouvelle série dérivée d’un de ses héros («Travis/Karmatronics») qui marque aussi le retour au dessin de Fred Blanchard.
«Cela fait 18 ans qu’il n’avait plus dessiné de BD mais ce graphiste réputé, animateur de dessin animé et directeur de collection m’a demandé de lui écrire un scénario. Je ne pouvais pas refuser : c’est un copain ! Non, sérieusement, il aurait pu demander ça à n’importe quel autre scénariste : ils auraient tous dit oui. En fait, je suis vachement fier d’être celui qui le ramène à la BD, d’autant plus qu’on s’est éclaté : on a fait ça sans aucune ambition commerciale, juste pour se faire plaisir.» Fred Duval est né en 1965. Il suit des études d’Histoire et décroche sa maîtrise en étudiant les caricatures de Caran d’Ache dans un journal relatant l’affaire Dreyfus. «J’ai toujours voulu faire de la BD mais c’est ma rencontre avec Thierry Cailleteau et Olivier Vatine (les créateurs d’ «Aquablue») qui a été déterminante. Alors que l’ambiance à l’université me convenait moyennement, ils m’ont proposé de réaliser l’album «500 fusils» qui est sorti en 1995 aux éditions Delcourt. Je m’étais donné trois ans pour que cela fonctionne mais cela a été un peu plus vite que prévu : la même année, j’ai enchaîné sur «Carmen Mc Callum», série qui m’a vraiment fait décoller.» Aujourd’hui, Fred Duval travaille aussi en duo avec un autre scénariste (François Capuron) sur «Gibier de potence», un western créé en 2001, toujours chez Delcourt ; mais comment se passait sa collaboration avec Cailleteau ? «Comme avec François Capuron en ce moment…, sauf que c’est tout le contraire ! A l’époque j’étais dans le rôle du débutant : je découpais, dialoguais et lui envoyais mon boulot pour qu’il le corrige. Par moments, il ne restait qu’une virgule de ce que j’avais écrit alors que, plus loin, il avait gardé deux cases entières. C’était à moi de comprendre pourquoi il avait changé tel ou tel passage : j’étais là pour apprendre et, techniquement, j’ai au moins gagné deux ans d’apprentissage. De son côté, il a reconnu publiquement que ma présence lui avait apporté quelque chose, donc, tout le monde y a trouvé son compte. Ensuite, pour le premier scénario de «Carmen Mc Callum» (également paru en 1995 chez Delcourt et co-écrit avec Olivier Vatine), grâce à cet écolage, j’avais pris beaucoup plus d’assurance…»
Avant l’expérience concluante de «500 fusils», en 1992, le scénariste débutant Fred Duval lance «Fish’n’Ships», un strip régulier dessiné par Luc Turlan, dans De Nice à Tahiti, un quotidien régional : il y produit plus de 300 gags en un an ! Pourtant, aujourd’hui, le genre humoristique n’a plus guère les faveurs de notre raconteur d’histoire. «J’en ai un peu marre ! L’humour, c’est vraiment quelque chose de très difficile à maîtriser. Ma première expérience nécessitait un énorme débit et un trop fort acharnement éditorial pour s’imposer. La deuxième («You know what ?») fût une commande : des gags, tournant autour de l’univers de Tex Avery, qui étaient dessinés par Gilles Formosa pour les éditions Glénat, en 1996. J’étais jeune, je ne gagnais pas ma vie avec la BD (j’étais d’ailleurs encore obligé d’enseigner) et c’était un défi intéressant : je me suis bien marré, les gens de chez Glénat étaient contents, mais ça n’a pas du tout fonctionné. En ce qui concerne «Lieutenant Mac Fly» (une série d’aviation humoristique dessinée par Jean Barbaud à partir de 1999 pour les éditions Delcourt), j’ai beaucoup de regrets. Je pense, avec le recul, que mon travail n’était pas satisfaisant sur le premier épisode. Quant à ma dernière tentative dans ce domaine («Mâchefer», avec Sébastien Vastra, créé en 2002 pour les éditions Vents d’Ouest), c’est un véritable crève-cœur ! Cela avait tout pour me plaire et, alors que je suis rarement satisfait de mon travail, j’étais très content de ce que j’avais fait sur cette série, surtout l’écriture du deuxième épisode… Pourtant, elle n’a pas trouvé son public. Peu de gens connaissent la série ; pourtant, nous avons régulièrement des témoignages de sympathie de lecteurs qui ne comprennent pas pourquoi le tome 4 ne se fera jamais.» De toute façon, la vraie passion de Fred c’est le western, et non la science-fiction comme on pourrait le croire à la lecture rapide de son œuvre. «C’est une période que j’adore ! En plus, la structure du western est pour moi l’héritière des récits classiques et dramatiques. Même «Carmen Mc Callum» et «Travis» sont, en fait, des westerns technologiques. Je suis un grand défenseur de la BD de genre et je revendique l’influence technique de scénaristes populaires comme Jean-Michel Charlier ou Greg, mais je ne me considère pas comme l’héritier de leur structure de pensée. J’adore ce qu’il ont fait mais je me sens plus proche de gens au propos politique et social comme le cinéaste de gauche qu’est John Carpenter : cela se sent d’ailleurs dans mes scénarios, non ?»
Les univers des deux séries principales de Fred Duval aux éditions Delcourt (“Carmen Mc Callum”, créée en 1995 avec Gess au dessin, et “Travis” créée en 1997 avec Christophe Quet) sont très liés et il existe même, depuis 2003, des recueils de courts récits complets reprenant les deux personnages : “Carmen + Travis”, illustrés par une pléiade de jeunes graphistes. “Ce qui m’intéresse, en fait, c’est de varier les points de vue et d’offrir aux lecteurs plusieurs interprétations des choses pour qu’ils se fassent eux-mêmes leur propre opinion. J’adore prendre un sujet par plusieurs bouts et multiplier les solutions car, à travers mes récits de science-fiction, même si j’essaie de m’adresser au plus grand nombre, je ne prends jamais le lecteur pour un imbécile ! D’autre part, avec les dessinateurs de “Carmen” et de “Travis”, ainsi qu’avec les responsables du label “Série B”, où paraissent ces deux séries, nous avons une volonté d’ouvrir graphiquement nos univers. D’où ces albums composés de récits complets où nous travaillons avec des gens qui, comme nous, prennent des risques et qui sont, j’en suis sûr, le futur de la BD.” Si l’accueil de ces compilations, plus difficiles d’accès, a été mitigé, Fred Duval écrit, depuis 2004, une nouvelle série, dans le style “steampunk”, qui démarre sur les chapeaux de roues : “Hauteville House”, dessinée par Thierry Gioux. Le deuxième tome vient juste de paraître aux éditions Delcourt, comme de bien entendu ! “J’ai essayé d’y aborder des thèmes un peu moins compliqués que dans “Carmen” et “Travis”. C’est une série d’aventures axées sur le XIXe siècle, une période qui me passionne et c’est différent de ce que je fais habituellement : même si ce n’est pas de l’humour, ça déconne bien ! J’y suis très second degré, je m’auto parodie presque, mais j’ai écrit une intrigue qui, je le pense, intéressera les amateurs de science-fiction décalée et d’aventures historiques. C’est aussi l’occasion et le plaisir de travailler avec Thierry Gioux, que je connais depuis 15/20 ans.” Notre interviewé a aussi exécuté quelques travaux de communication, a écrit des scénarios pour des dessins animés diffusés à la télévision ou pour des films d’animation 3D, et, aujourd’hui, il déborde de projets. “Il y aura d’abord “Météor” avec Ludwig Alizon (il a dessiné l’épisode 6-2 de “Travis”), où je vais continuer à explorer les différents thèmes de la science-fiction. Cette sorte de space opera se passera dans les années 2150, dans un monde où la technologie est très développée… Sinon, j’ai plein d’idées concernant “Carmen” et je vais lancer un mini-cycle qui aura lieu avant les événements du premier épisode. Après, on verra… Pour le moment, je suis saturé, je n’en peux plus !”
Gilles Ratier