Dix ans après la parution de « Résurrection », la première partie d’un diptyque accouché dans la douleur, voici enfin « Révélations » : conclusion du dernier récit du regretté Philippe Tome, décédé alors qu’il travaillait sur les dernières pages de son scénario. Les éditions Dupuis proposent, enfin, l’intégralité de cette aventure magistralement dessinée par Dan Verlinden, digne successeur de ses deux prédécesseurs : Luc Warnant et Bruno Gazzotti.
Lire la suite...L’ENVERS DES PLANCHES DE… CLARKE
Même s’il s’en est excusé auprès de ses trois enfants, en page de titre, à la lecture des gags corrosifs de son nouvel album («Le miracle de la vie», dans la collection «Expresso» des éditions Dupuis), on peut se demander si Clarke est vraiment un respectable père de famille !
Né à Liège, en 1965, Clarke (Frédéric Seron de son vrai nom) débute dans l’illustration de mode et dans la publicité avant de s’essayer à la bande dessinée, un milieu déjà investi par son oncle Pierre Seron, le créateur de la série «Les petits hommes» dans Spirou et aux éditions Dupuis. «En fait, en BD, il y avait déjà trois Seron : Magda Seron qui signe de son seul prénom la série «Charly», un Seron qui travaille comme coloriste au studio Leonardo et mon oncle. Je me suis dit qu’il fallait que je trouve un autre nom ! Après diverses propositions, j’ai opté pour l’énigmatique Clarke. A l’âge de 18 ans, j’ai d’abord publié «Rebecca», un petit album aux éditions Khani ; je l’avais commencé avec un scénariste qui s?appelait Jean-Paul Marchal et qui n’a jamais eu le temps de le finir : on a alors demandé à François Gilson de le remplacer. J’en ai un très mauvais souvenir car il y a eu plein de problèmes : nous n’avons pas été payés et l’éditeur à mis la couverture en couleurs sans nous prévenir…, et puis on ne peut pas dire que ce fût une réussite artistique !»
Parallèlement, Clarke fréquente pendant quatre ans les Beaux-arts de Liège, continuant la BD en dilettante. Deux ou trois années plus tard, il entre enfin au journal Spirou avec des séries comme «Les cambrioleurs» (scénarios de Crosky) ou «Africa Jim» (strips scénarisés par François Gilson). «Mon oncle n’a appris que je travaillais pour Spirou qu’un an et demi après car personne ne lui avait dit qui était Clarke !». En 1992, après avoir proposé une BD s’inspirant de tous les clichés des films d’horreur, le rédacteur en chef de l’époque lui conseille de prendre un scénariste. «Je me souviens qu’il s’agissait d’une histoire dans un moulin hanté avec un chasseur de fantôme et il se trouvait que François Gilson était présent à la rédaction ce jour là. On lui a alors tout naturellement demandé de m’écrire des scénarios…, et il a accepté !» C’est donc par ce pur hasard qu’est née la série de gags mettant en scène la charmante apprentie sorcière «Mélusine» et qui en est, aujourd’hui, à son onzième album !
La gentille «Mélusine», qui nous fait rire régulièrement dans les pages de Spirou (hebdomadaire visant principalement un public d’enfants et de jeunes ados), n’est pas le seul aspect de l’œuvre de Clarke ! Pour le mensuel Fluide Glacial, il mène de front une carrière de dessinateur (et de scénariste !) provocateur ! «Cela vient du fait que je m’amuse beaucoup à dessiner «Mélusine» mais que c’est à des millions d’années lumière de ce que j’ai envie de dire. Le meilleur système que j’ai trouvé pour m’exprimer c’est d’écrire moi-même mes scénarios ; mais comme je n’en avais jamais faits, je n’avais pas envie d’envoyer un autre que moi-même au casse-pipe. Je me suis donc entraîné sur mes propres planches («Thérapies en vrac» puis «P.38 et Bas Nylon» ou «Château Montrachet») et, comme cela a relativement bien fonctionné, Olivier Wozniak est venu me trouver ; il n’avait plus de boulot et il m’a demandé de lui écrire un album. Au départ, c’était une parodie amicale des «Oncle Paul» de Spirou qui c’est transformée en «Oncle Archibald» (mais l’album est titré «Histoires de France»). Nous avons gommé le côté didactique tout en intégrant des allusions à l’éducation anglaise… Depuis le début, je voulais entrer à Fluide Glacial ! Je leur avais d’abord envoyé un dossier, avant «Les cambrioleurs», mais je n’ai jamais eu de nouvelles. C’est le scénariste (Crosky) qui a présenté la série à Spirou ; moi, je n’y aurais jamais pensé ! Le rédacteur en chef de Spirou (Thierry Tinlot) savait que j’aurais aimé travailler pour Fluide Glacial et c’est lui qui a proposé mes services à son homologue à Fluide, qu’il connaissait bien. Ils ont discuté entre eux et, finalement, on m’a proposé d’entrer dans le canard : à l’époque, les échanges étaient fréquents entre ces deux journaux : Gaudelette et Larcenet, par exemple, dessinaient ou scénarisaient indifféremment pour Fluide et Spirou !» Clarke a ainsi trouvé un équilibre avec «Mélusine» d’un côté et, récemment, «Cosa Nostra» de l’autre, dans Fluide Glacial. «Cela me permet de couvrir plusieurs aspect du boulot : avec la première, je fais du dessin pur et dur, sans me poser de questions, et avec l’autre, je développe mon propre humour, ma propre façon d’écrire…, en attendant de passer à autre chose !»
En dehors de «Mélusine» et des ses travaux pour Fluide Glacial, Clarke a multiplié les activités ! En 1994, pour le journal Spirou, il prend le pseudonyme d’Agnès Valda pour illustrer «Les baby-sitters», une succession de drôles histoires courtes imaginées par Christian Godard. Ces récits seront repris en albums dans «Humour libre» des éditions Dupuis, collection pour laquelle il invente, avec son copain Midam (le dessinateur de «Kid Paddle»), les gags déjantés et absurdes de «Durant les travaux, l’exposition continue», en 1997. On lui doit enfin quelques scénarios pour Bruno Gazzotti dans Spirou mais Clarke est aussi un grand spécialiste de la potée auvergnate puisqu’il propose, chez Audie, un recueil de 50 recettes de cuisine ! «C’est plutôt un truc que j’ai fait pour me détendre ! Avec Ralph Meyer (pour qui j’écris quelques textes dans Fluide Glacial) nous avons des épouses qui adorent la potée. Elles ont inventé des tas de recettes et elles nous ont demandé de les illustrer ; manque de bol, elles nous les ont aussi fait goûter et, au bout de deux mois, nous en avions un peu ras le bol ! Nous nous sommes tout de même bien amusés et c’est un travail qui ne nous a pas demandé beaucoup de temps car nous nous mettions à deux pour dessiner !» Si l’on s’en tient à l’avis de ses petits camarades de Fluide Glacial, ces recettes sont excellentes ! Mais vu la bonne ambiance de copains qui règne dans ce mensuel, on pourrait se demander si ils sont vraiment impartiaux ! «A Spirou, il y a plus de cent cinquante auteurs et il n’y en a jamais à la rédaction alors que nous ne sommes qu’une vingtaine d’auteurs à bosser pour Fluide et nous nous réunissons chaque mois pour dessiner les marges et bouffer ensemble. Cela permet de nous connaître suffisamment pour qu’il n’y ait plus cette espèce de distance que l’on trouve ailleurs. Et puis, il sont tous tellement accommodants que c’est difficile de se mettre quelqu’un à dos ! Quand j’y suis arrivé pour la première fois, il a maintenant sept ans, tout le monde me regardait un peu en chien de faïence attendant de voir qui allait commencer. Au bout de la troisième fois, je me faisais embrasser goulûment par Coyote (l’auteur de «Litteul Kévin») et palper les burnes par Maëster (le papa de «Sœur Marie-Thérèse des Batignolles» !!!»
S’il ne voit ses collègues de Spirou et des éditions Dupuis que dans les festivals, Clarke aime bien travailler pour cet éditeur (son graphisme s’inscrit d’ailleurs dans la droite ligne de ce qu’on appelle l’école de Marcinelle, la ville d’origine de la maison Dupuis) et les projets se multiplient ! Outre «Mélusine» avec François Gilson qu’il dessine régulièrement et le dernier album en date, il a co-signé (avec Denis Lapière) le scénario d’une enquête policière dessinée par Alain Sikorski dans la série «La clef du mystère» : il s’agit de «Mascarades», le quatrième épisode. «Le polar ce n’est pas trop mon truc mais ils sont venus me demander de collaborer avec eux et je leur ai proposé cette intrigue. Denis Lapière a remanié mon scénario et nous avons réalisé la narration à quatre mains. Ceci dit, il est beaucoup plus scénariste que moi : il sait parfaitement bidouiller la matière première pour obtenir un 44 planches, le mettre en ordre et en séquences… Moi, j’en suis incapable, alors que pour lui c’est très naturel !»
Le «truc» de Clarke, c’est plutôt l’humour absurde dans le style de Gary Larson, humoriste et dessinateur pour lequel il a une grande admiration ! «Je m’en suis beaucoup inspiré en dessinant les trois albums de la série «Durant les travaux l’exposition continue…» qui se poursuit dans Spirou : dans ces cas-là, un gag n’a pas forcément besoin d’une chute à la fin pour être drôle !» nous a-t-il déclaré ! Même s’il ne lit que très peu de bandes dessinées (à peine une par an, et même pas les siennes, d’après ses propres dires), Clarke côtoie quand même ses confrères : il fait alors passer les relations amicales avant tout ! «Je dois bien connaître une cinquantaine d’auteurs que j’apprécie comme copains mais dont je ne connais pas le travail ! Il y en a que j’adore mais je suis incapable de citer un seul titre de leur production et je ne sais même pas comment ils dessinent ! Ca n’a aucune importance, du moins pour moi. Par contre, si un jour ils m’offrent un de leurs albums, je le lirais volontiers ; mais que j’aime ou que je n’aime pas ce qu’ils font, ce n’est pas ce qui compte !» Ce qui compte, c’est qu’il passe un bon moment avec ses copains et qu’il continue à nous faire rire avec les gags de «Mélusine», avec les délires de la «Cosa Nostra» ou avec l’humour cynique du «Miracle de la vie» !
GILLES RATIER