Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Intisar en exil » par Sagar et Pedro Riera
Il y a 5 ans, on faisait connaissance avec l’héroïne de « La voiture d’Intisar ». Les auteurs y brossaient le portrait accablant de la femme yéménite, luttant tant bien que mal pour échapper aux interdits féroces des hommes et soulignant déjà ce que la « femme moderne » de ce pays souhaitait pour elle. Revoilà , Intisar, à présent exilée en Jordanie…
Le premier volume s’attachait à rendre compte de la vie d’une femme célibataire de 27 ans, à Sanaa, la capitale du Yemen, une femme anesthésiste qui luttait âprement pour sa liberté. On soufrait déjà pour elle, constamment surveillée, contrainte (à porter le niqab dès qu’elle sortait de chez elle, notamment) et dépendant du père, du frère, des coutumes ancestrales, rigoristes et sexistes. Sa voiture était son seul  de havre de liberté à l’extérieur. Ce premier volume proposait d’ailleurs, en complément de la bande dessinée, une très utile série d’articles sur la société et la culture yéménites.
Intisar était si réelle qu’on avait du mal à croire à un personnage de fiction, ce qui est pourtant le cas. Le scénariste Pedro Riera, ayant vécu un an au Yémen, avait multiplié les témoignages et noté de nombreuses anecdotes qui servaient de base aux 24 courtes séquences constituant le scénario de cet album. Dans ce nouveau titre, on retrouve Intisar en Jordanie. La jeune femme a fui son pays ! À nouveau sous forme de séquences, Intisar raconte son indéfectible amour pour son pays d’origine et l’immense désespoir de constater ce qu’il devient et dans quoi il sombre.
De la femme faussement libérée pour participer à des manifestations aux femmes divorcées et réduites à moins que rien, en passant par ces jeunes mariées qui savent qu’elles n’intéresseront leurs hommes qu’un an tout au plus, rien ne manque. Leur dignité n’a d’égale que le déshonneur dans lesquels les maris, les frères, les pères, les rejettent en les humiliant et les annihilant sans aucun état d’âme. Si le contexte politique et la chute du président Saleh sont également évoqués, c’est bien la femme martyre qui demeure le centre d’intérêt de l’ouvrage. Toutefois, le scénariste a cru bon d’ajouter un dossier sur « Les acteurs de la guerre du Yémen » tant c’est compliqué d’y voir clair.
A noter que le dessin en noir et blanc, simple et efficace, de Nacho Casanova laisse place dans ce nouvel opus à celui de Sagar, très efficace et savamment coloré. On se reportera également sur le thème de femmes yéménites et de leur autorisation à conduire des voitures à l’album « Le Monde d’Aïcha », signé Ugo Bertotti, publié en 2014 chez Futuropolis. Nous l’avions chroniqué ici-même sur BDzoom.
Didier QUELLA-GUYOTÂ ([L@BD-> http://9990045v.esidoc.fr/] et sur Facebook).
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« Intisar en exil » par Sagar et Pedro RieraÂ
Editions Delcourt (19,50 €) – ISBN : 978-2-4130-0181-2