Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Gorgonzola y Viñetas …
D’une année plus âgée que notre siècle L’Égouttoir, dynamique petite structure indépendante, édite le fanzine Gorgonzola dont le 23ème numéro est sorti en début d’année. Nous avons rencontré Maël Rannou, directeur éditorial, à l’occasion de la parution d’une anthologie de bandes dessinées Colombiennes : « Ñ comme viñetas ».
Gorgonzola existe depuis octobre 2004 et paraît une fois l’an, en général en janvier. Chaque numéro propose un dossier central et de nombreuses histoires courtes d’auteurs issus du milieu indépendant. Les dossiers d’analyse des numéros précédents ont traité entre autre des éditions Artefact, de Jean-Claude Poirier, des fanzines disparus durant la première décennie d’existence de Gorgonzola, la revue underground Viper…
Sous une couverture de Pedro Mancini, Gorgonzola # 23 met en avant le dessinateur américain Vaughn Bodé. L’œuvre et la vie de Bodé sont donc présentés au cœur du fanzine entouré par près d’une quarantaine d’auteurs dont certains rendent hommage à son univers.
Vaughn Bodé auto-édita en 1963 « Das Kämpf ». Ce recueil de dessins autour de la guerre (aujourd’hui le seul titre disponible en France de cet auteur) est réputé comme un des précurseurs des comics underground américain. Son personnage emblématique est Cheech Wizard vivant dans un monde érotico-fantastique peuplé d’hommes-lézards sans cesse subjugués par de superbes femmes libres.
La longévité et l’éclectisme éditorial de Gorgonzola alloue une grande place aux auteurs de toutes nationalités, ainsi la bande dessinée argentine fut mise en avant pour le seizième numéro. Ces connections avec l’Amérique du Sud sont à l’origine de la publication dans le cadre de L’année France-Colombie 2017 de l’ouvrage « Ñ comme viñetas ».
Un entretien avec Daniel Jiménez Quiroz (cofondateur du festival colombien de bande dessinée Entreviñetas et directeur de la revue Larva) ouvre ce recueil. Il présente l’histoire de la bande dessinée colombienne qui remonte au début du XXe siècle et son importance dans l’Amérique Latine. En effet, la Colombie offre la plus grande part de la production de cette partie du monde et treize de ces auteurs aux univers tous différents ont été choisis pour cette anthologie.
Pouvez-vous nous parlez de votre structure ? En naviguant sur votre site, nous apprenons qu’elle existe depuis vos années de lycée. Qu’est-ce qui vous a poussé à votre fanzine?
Nous avons publié le premier numéro de L’Égouttoir en février 2004 avec mon frère (Glotz) et deux copains. Le contenu était très majoritairement des BDs réalisées avec mon frère, dans un format A4 avec couverture couleur, 40 pages, évoquant nos magazines de BD franco-belges. Nous avons grandi à la campagne, passionnés de bande dessinée et réalisions depuis longtemps des petits magazines, à un seul exemplaire (qui portaient déjà le nom L’Égouttoir, mais nous avons oublié pourquoi).
À 15 ans, j’étais en seconde lorsqu’est sorti le premier numéro, suite à plusieurs facteurs. D’une part cela se passait très mal scolairement et c’était l’occasion de faire quelque chose qui me mobilise positivement, d’autre part j’étais en internat dans une « grande » ville (50 000 habitants), où l’on trouvait facilement des reprographes. L’arrivée d’internet était également importante même si sur ce premier fanzine toutes les créations étaient « locales ». L’Égouttoir paraissait surtout pour publier notre travail et le vendre aux copains, il y a eu deux numéros puis plus rien pendant un an mais ça ne me manquait.
En octobre 2004 j’ai donc relancé un fanzine, Gorgonzola (qui paraît toujours), pour l’anniversaire de mon frère. Ce fanzine était différent : format A5, noir et blanc partout, beaucoup plus collectif et vendu 1 €. Il correspond à ma découverte d’une BD alternative et d’Internet (ensemble), beaucoup d’auteurs étant des blogueurs ou rencontrés sur des sites de BD amateurs. La dynamique était ici surtout de faire découvrir d’autres types de bandes dessinées à mes amis, de partager ce que j’aimais, comme une sorte d’anthologie de ce que je glanais ici ou là . Si la revendication punk adolescente a disparue, cette idée de représenter la diversité de la BD Alternative dans un seul ensemble, il y a des choses très différentes dans le fanzine, faites pour éveiller cette curiosité, est resté. C’est aussi la raison d’un prix de vente bas depuis toujours.Â
Votre frère travaille toujours au sein de L’Égouttoir ?
Oui bien sûr, nous avons créé l’association ensemble et il en est toujours président d’ailleurs ! Une association très fermée avec deux membres et un partage des rôles. Je suis principalement sur l’éditorial, je fais notamment tous les choix de Gorgonzola, Glotz suit les projets, s’occupe du site, de répondre pour les commandes, vient sur les festivals… et initie aussi quelques projets comme le « Pantaléon sous le manteau ». Tout ça marche assez bien alors autant continuer.
Comment choisissez-vous les dossiers centraux de Gorgonzola ?
C’est un peu lié au hasard de mes envies. Certains sont mus par des rencontres, notamment ceux centrés sur des pays, j’en parlerai plus tard, la plupart sont liés à des travaux qui m’ont interpellés et sont peu connu, sur lesquels il n’y a quasiment rien d’écrit.
Dans les dossiers, une majeure partie est consacrée à ce que j’appelle le « patrimoine contemporain », c’est à dire ces travaux très récents (70-90′s) mais publié dans des fanzines, des petites revues, et complètement oublié des histoires et mémoires de la BD.
Le premier de ce type a été la revue Viper (n°18), en la lisant j’ai découvert l’importance dans les 80′s de l’éditeur Artefact (n°22), toujours évincé des discours sur la BD de cette période au profit de Futuropolis. J’aime beaucoup Futuropolis, mais c’est très biaisé de limiter l’alternatif des 80′s à cet éditeur !
Certaines recherches sont un peu éparses, ne pouvant donner lieu à un dossier, et posées dans un coin pour y revenir. Le n° 20 sur les « Fanzineux disparus », qui interviewait divers auteurs majeurs de fanzines des 80′s qui ont ensuite disparu du marché (Filipandré, Gerbaud, El Chico Solo) c’était un peu une reprise de ces post-it, pour les lier et rééditer leurs travaux, dont les premières BD sur ordinateurs réalisées en France.
Vaughn Bodé (23) c’est pareil, ça trottait depuis longtemps mais il me fallait réunir le matériel et les personnes compétentes car si j’écris souvent sur les sujets étudiés, j’apprécie aussi beaucoup de pouvoir faire appel à d’autres points de vue et des personnes « spécialisées ».
Pour Jean-Claude Poirier (19), auteur de « Supermatou » dans Pif, cela m’a beaucoup plus car j’ai vraiment pu connecter des gens très différents issus aussi bien de l’underground le plus hermétique aux yeux de certains que des anciens auteurs de la revue. Poirier prouvait qu’on pouvait parler à un très large public avec des partis prix audacieux et j’étais frustré d’avoir à peine abordé le travail de cet auteur que j’adore dans mon mémoire de master 1, étudiant Pif gadget mais où les travaux de Poirier n’entraient pas vraiment en compte.
Le dossier sur Mahler (21) était différent car l’auteur est vivant, contemporain, c’était une envie de mettre en avant un auteur qu’on adore, dérogeant un peu à notre règle patrimoniale. C’était aussi une manière d’aller plus rapidement car le dossier Artefact a pris deux ans à faire, avec beaucoup de recherche, Mahler j’avais déjà quasiment toute sa biblio et si nous avons traduits des pages et écrit des articles, l’essentiel est un entretien.
J’ai cité tous les dossiers un à un, c’est surtout pour montrer qu’il n’y a pas une raison de choix, c’est un peu de hasard, de la recherche, beaucoup de passion !Â
L’illustration de dos du dernier Gorgonzola est de Mark Bodé qui perpétue l’œuvre de son père au sien de son travail de graffeur. Vous avez collaboré ensemble pour le dossier ?
Quand on a lancé le dossier il était impératif d’avoir l’accord de Mark Bodé, ne serait-ce que pour avoir le droit de reproduire des pages de Bodé, parfois inédites en France et traduites pour l’occasion. Nous avons donc échangé, dans mon anglais limité, et il a été très enthousiaste durant tout le projet, en nous encourageant à prendre tout ce dont nous avions besoin.
Assez naturellement il fallait qu’il participe aux hommages dessinés, ça aurait difficile d’imaginer ce numéro sans sa contribution ! Il nous a donc proposé plusieurs détails de toiles qu’il avait réalisés à partir de l’univers de Vaughn Bodé, d’où cette quatrième de couverture qui synthétise plusieurs personnages clefs de l’auteur étudié.
Pouvez-vous nous dire comment vous prenez contact avec les auteurs ?
C’est assez basique, Gorgonzola a été créé en 2004 en pleine vague des blogs BD, cela se passait donc beaucoup par internet : via les sites, les blogs, aujourd’hui Facebook est une plateforme de contact majeure. Je profite aussi beaucoup de festivals pour écumer les fanzines et rencontrer leurs auteurs quand leurs travaux m’intéressent.
Il parait que mon enthousiasme peut être un peu effrayant mais passé la surprise ça marche assez. L’idée principale n’est pas tant comment je les contacte que comment je les trouve, et là c’est vraiment énormément de lecture. Je suis passionné par le fanzinat, j’adore voir de nouveaux travaux, je lis beaucoup de revues, etc. Il arrive aussi qu’on nous contacte directement, c’est assez rare mais ça arrive, et j’en suis toujours curieux. Dès que quelqu’un me semble avoir un travail pertinent, une patte, je vais chercher à le contacter.Â
Il y a deux ans, vous avez produit Mayenne underground, quelle est la genèse de ce fanzine ?Â
Tout à fait, mais ce n’est pas un projet de l’Égouttoir, plus une petite lubie perso.
Je vis en Mayenne, un département pas très connu pour son art rebelle (et pourtant, Costes y habite, Caroline Sury y est né, etc.) où a lieu Rustine, un petit festival porté par deux auteurs (Alexis Horellou & Delphine le Lay) dans le Sud Mayenne.
En octobre 2016, peu avant le festival, l’idée est soudainement venue de faire un petit fanzine pour l’occasion. J’ai donc demandé à des auteurs ayant vécu ou ayant un lien avec le département (par exemple de la famille, des souvenirs particuliers…) de réaliser une BD sur la Mayenne, mais pas vraiment un guide touristique.
Il y a eu un vrai enthousiasme et c’était assez marrant, j’ai découvert ensuite beaucoup d’autres auteurs liés à la Mayenne et un n° 2 a été envisagé pour 2018 mais je ne pouvais pas aller au festival cette année. J’y pense pour la prochaine édition !
C’était parti comme une blague mais il y a avait de vrais bons récits dedans, des choses inattendues, du récit d’enfance touchant au carnet de voyage en terre inconnue !
Bon, l’Égouttoir est toujours basé à Laval, préfecture de la Mayenne, après avoir été créé à Ernée, au Nord du département, donc on peut faire un lien aisé entre les deux.
Il y a dans le dernier Gorgonzola, une sorte de dialogue entre le serbe Aleksandar Zograf et l’américaine Lee Kennedy par le biais de pages envoyées. Ce sont ce type d’échanges qui vous ont amenés à coéditer « Ñ comme viñetas » ?
Pas du tout, en tous cas pas du tout pour la BD précisément citée (qui a été publiée par Zograf dans un fanzine entièrement composé de ce type de collaboration à quatre mains, dont nous publions les meilleurs récits), mais nous aimons beaucoup le principe d’échange et beaucoup de nos dossiers viennent de là .
C’est parce que nous avons rencontré par hasard des auteurs argentins et croates que nous avons fini par publier des dossiers consacrés à la bande dessinée de ces pays, avec une sélection, un encadrement historique, etc. Le dossier Artefact est aussi né au fil de la collaboration avec Imagex, un auteur de leur catalogue que nous avons republié des années plus tard…Â
Pour « Ñ comme viñetas », notre intérêt ancien pour les auteurs latino-américain (marqué par le dossier BD Argentine, désormais épuisé, et une expo à la maison de l’Amérique latine de Lyon) et le fait que notre traducteur principal (Roberto Salazar) soit colombien et investi dans l’Année France Colombie nous a poussé à profiter du moment pour mettre en avant ce qui est aujourd’hui un des territoires les plus dynamique d’Amérique du sud pour la bande dessinée. Ces échanges, riches, se poursuivent ensuite avec la publication de M.A. Noreña et de Luis Echeverria dans le prochain Gorgonzola, et de Powerpaola dans un collectif mystère qui sortira pour Angoulême.Â
Derrière tous nos projets il y a en tous cas toujours le hasard de rencontres qui se lient entre elles, Gorgonzola étant la plaque tournante de ces échanges.
Brigh BARBER
Les ouvrages édités par L’Égouttoir sont disponibles par le biais de leur site : http://legouttoir.free.fr/ et sur les festivals annoncés sur leur page Facebook. Â
Mille mercis égouttés à  Maël Rannou pour sa disponibilité.
Gorgonzola # 23
158 pages, noir et blanc, 8 €
« Ñ comme viñetas »
108 pages, noir & blanc, 12 €
Alors là , je dis « bravo » ! Fanzine, label indépendant.. Vaughn Bodé, Artefact… dire qu’il y a encore quelques jours, j’avais comme objectif d’acquérir les deux derniers numéros de la revue suite à sa découverte sur les réseaux sociaux grâce à l’autre zine « Maudit Tintin ».. et que j’ai finalement laissé tomber, pour des raisons bassement pécuniaires…
Cet article me donne comme un coup de pied au c.. pour rétablir cette injustice.
Et que dire d’une anthologie dédiée à la BD colombienne. Bienvenu, et je dirais même plus : « Indispensable » Merci Brice !
Vas y quand même doucement avec ton pied.
C’est impossible d’acheter l’anthologie colombienne a
u prix normal de 12 euros… En fait le titre était mort né dès sa sortie en novembre 2017.. pas de trace dans les librairies, ni sur le net…
Maël me confirme qu’il est toujours disponible auprès de L’Égouttoir avec frais de port offert pour toute commande comprenant « Ñ comme viñetas ».
Il est aussi disponible dans certaines librairies du réseau Canal BD et distribué par SERENDIP livres.
Êtes-vous passé par le site directement, Patydock, comme indiqué ?
bjr Frank… J’ai envoyé un email … Je mène l’enquête …
Je découvre ce message avec surprise, normalement il se commande aisément en librairie (à 12€), si votre librairie n’y arrive pas le commander sur notre site ne le rend pas plus cher car il est vendu sans frais de port. Avez-vous eu réponse à vos messages ?
Pas de nouvelles à ce jour …
Il est disponible dans certaines librairies du réseau Canal BD.