Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Tamba l’enfant soldat » par Yann Dégruel, Marion Achard et « Guarani – Les Enfants soldats du Paraguay » par Gabriel Ippoliti et Diego Agrimbau
On parlait il y a huit jours, dans cette rubrique, de la rentrée scolaire et de jeunes lycéens qui font des études. Il y a aussi des gamins qui ne rentrent pas à l’école, qu’on ne cherche pas à éduquer ou à cultiver et dont le seul intérêt pour certains est d’en faire des « enfants soldats ». Ceux-là sont manipulés, radicalisés et deux albums le démontrent aisément…
« Tamba l’enfant soldat », c’est l’évocation des enfants africains enrôlés de force, puisque kidnappés à leurs familles et à leurs villages (après tueries !), racontée à travers la vie d’un seul personnage. Tamba Cisso est en effet interrogé par une « Commission Vérité et Réconciliation » qui tente de comprendre qui et ce qui a mené tant d’enfants à la guerre, une guerre civile aussi sanguinaire qu’inutile et dont le seul intérêt était de permettre à certains de s’accaparer les diamants du sous-sol. On est très loin d’idéologies pour le bonheur des peuples ou de guérilla pour lutter contre un oppresseur étranger.
Le scénario de Marion Achard, en se focalisant sur un seul cas, permet au lecteur de s’identifier parfaitement à ce gosse exploité et martyrisé par des adultes barbares. Un seul ? Pas tout à fait car, pour rendre la situation un peu plus sensible encore, la scénariste a misé sur un deuxième personnage : Awa, une jeune fille, violée, à laquelle s’attache Tamba au point de vouloir un jour l’épouser. Et, afin de rendre le sujet plus universel, elle n’a pas localisé précisément l’histoire, ce qu’elle justifie dans le dossier final puisque 120 000 enfants soldats se battent encore aujourd’hui en Afrique. Le dossier explique par ailleurs ce que sont les « Commissions Vérité et Réconciliation » ou le « Haut-Commissariat aux réfugiés » (HCR).
Nul besoin d’insister sur le caractère émouvant, voire poignant, du destin de ce gosse de 8 ans transformé contre son gré (notamment par la drogue) en tueur sans état d’âme (Tamba est même poussé à mutiler la main de son père…). Il faut cependant préciser que le dessin de Yann Dégruel (qu’on a connu et apprécié sur des sujets autrement moins graves) participe à la réussite de cet album, notamment par sa palette chromatique très efficace et quasiment « chaleureuse », équilibrant ainsi un sujet qui fait froid dans le dos !
Avec « Guarani », Ippoliti et Agrimbau traitent, eux, des enfants soldats du Paraguay. Autre continent, même désolante réalité, mais d’un autre temps puisqu’il s’agit d’une guerre du XIXe siècle, la guerre dite de la « Triple Alliance » qui unissait Brésil, Argentine et Uruguay contre le Paraguay, entre 1864 et 1870. Encore une de ces guerres fratricides dont les mobiles sont quelquefois compliqués à déterminer et les origines encore plus !
Reste qu’en 1868, alors que la triple alliance a le dessus, un maréchal paraguayen fait de la résistance, ce que l’album raconte en détails. D’ailleurs, seule la deuxième partie du récit évoque le sort réservé aux enfants dans cette guerre, qui en pousse au front des milliers et dont 3500 mourront. C’était un 16 aout, jour devenu « La Journée de l’enfant » dans ce pays.
Les faits sont vus au travers d’un photographe, Pierre Duprat, venu là pour photographier les Guaranis, notamment les femmes supposées les plus belles d’Amérique du Sud. Il a débarqué à Montevideo avec des hommes venus travailler la terre et qui, devenus citoyens argentins, vont devoir d’abord (et seulement !) faire la guerre ! Duprat, lui, fait commerce des photos d’indigènes nues, fort prisées en Europe, mais la réalité des combats fait chanceler la mentalité de cet homme qui se dit constamment que ce n’est pas sa guerre et qui vivait jusque-là les choses de l’extérieur.
Les dessins de Gabriel Ippoliti , au crayonné réaliste et à l’expression des visages d’une grande qualité, sont légèrement coloriés et donnent à l’album une puissance et une vitalité indiscutables. À noter, pour finir, que les Guaranis cherchent le paradis sur terre, nommé « La Terre sans mal », ce qui rappelle évidemment le très bel album de Lepage et Sibran qui porte ce titre.
Didier QUELLA-GUYOTÂ ([L@BD-> http://9990045v.esidoc.fr/] et sur Facebook).
http://bdzoom.com/author/didierqg/
« Tamba l’enfant soldat » par Dégruel et Achard
Éditions Delcourt (18,95 €) – ISBN : 978-2-4130-0536-0
« Guarani – Les Enfants soldats du Paraguay » par Gabriel Ippoliti et Diego Agrimbau
Éditions Steinkis (20 €) – ISBN : 978-2-3684-6070-2