Depuis 2021, chaque année, Tiburce Oger rassemble une belle équipe de dessinateurs et dessinatrices pour évoquer l’Ouest américain à travers des personnages authentiques – le Far West, donc – et l’exploitation de ces territoires par des individus qui oubliaient, bien souvent, qu’ils n’étaient que des colonisateurs assoiffés de richesses…
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Avec Sillage, dont il est le dessinateur, Philippe Buchet signe une des séries « best-sellers » des éditions Delcourt. Alors que le cinquième tome de la série est paru juste avant l’été, parâit déjà un nouvel album, Hors-série cette fois, disponible en librairie depuis le 6 décembre. Rencontre avec un dessinateur ravi d’explorer des univers divers grâce à cette série de science-fiction.
(Propos recueillis par Laurent Turpin le 15 septembre 2002)
Un hors série de Sillage – Le collectionneur – va voir le jour aux éditions Delcourt dans quelques semaines. Pouvez vous nous le présenter ?
Il y a longtemps que nous réfléchissons avec Jean-David Morvan, le scénariste de Sillage, à un moyen nous permettant d’éditer l’ensemble des croquis préparatoires et autres illustrations tirées à part, que j’adore réaliser, mettant en scène Nävis, l’héroïne de notre univers. Nous en avons parlé à Guy Delcourt en pensant que nous étions maintenant au bon moment, Sillage commençant à prendre de l’épaisseur, avec ses cinq tomes. Comme nous ne souhaitions pas nous limiter à un simple recueil de dessins ou un pèle-mêle, Jean-David a écrit un texte, sorte de fil conducteur. Sans en dévoiler trop la nature, je peux vous dire qu’il s’agira d’une visite de fichiers sur l’héroïne de la série, sa vie et son environnement.
 Découvrira-t-on des informations inédites sur l’univers de la série et ses personnages ?
Oui, absolument. Plein de réponses mais aussi plein de …questions, ce qui est typique de Jean-David Morvan. Il va donner des indications sur des thèmes juste évoqués dans Sillage, ouvrant de cette façon un champ d’incertitudes et d’autres mystères que nous aborderont ensuite, dans de prochains volumes de la série. Ce ne sera pas vraiment un guide mais l’ouvrage aura cette valeur de livrer quelques petites données, des détails pratiques, sur Sillage, comme la façon de voyager dans l’espace ou de mesurer le temps par exemple.
 Cet album sera-t-il « à part » ou intégré dans la série ?
Ce sera un petit appendice, pas forcément indispensable pour la suite mais qui donnera quelques pistes supplémentaires à découvrir. Nous ne souhaitons pas que cet album soit un passage obligatoire puisque, si certains collectionneurs seront ravis de posséder un recueil d’illustrations, d’autres souhaitent s’en tenir uniquement à la BD. On pourra, sans aucun problème, sauter du tome 5 au tome 6 sans avoir lu ce hors-série.
 Il faut dire qu’une des caractéristiques de Sillage est d’être composé d’albums ayant des récits indépendants, même si ils se situent dans un même univers avec des personnages communs …
Oui, c’était une volonté de départ. Dans mes souvenirs d’enfance, les BD que j’ai lues, que ce soit Tintin, Astérix, Valérian, etc. étaient toutes sur ce modèle d’une histoire complète par album En prenant n’importe quel volume, on comprenait ce qui se passait et on pouvait relire dans le désordre les épisodes de la série. Je voulais retrouver ça. Par ailleurs, je ne souhaitais pas m’enfermer graphiquement dans un univers très rigide de science fiction où on aurait toujours les mêmes décors et les mêmes personnages. Comme nous avions prévu dès le départ de mener une série avec un nombre important d’albums, il nous semblait intéressant qu’elle puisse se prêter à un environnement différent à chaque fois. Le lecteur ne sait jamais ce qui l’attend dans le tome suivant et je trouve ça très bien.
 Y aura-t-il des planches dessinées dans le Hors-série?
Oui, il y aura huit pages de BD : une petite introduction en bande dessinée pour lancer le récit et un peu plus tard, quand le lecteur entrera dans les fichiers informatiques, des pages écrans.
 L’épilogue du tome 4, publié dans Pavillon rouge n°5 (octobre 2001) sera-t-il repris en album un jour  ?
Je ne pense pas. L’idée était juste de réaliser un supplément inédit pour le magazine. En fait il figure également dans un tirage spécial qui regroupe l’intégralité de l’album en noir et blanc. Cet épilogue n’est pas indispensable à l’histoire, c’est juste un petit récit affectif par rapport à l’héroïne. Il faut tout de même dire que j’ai insisté pour qu’il soit au milieu du magazine afin que le lecteur qui le souhaite puisse le détacher pour l’insérer dans son album.
 Votre héroïne, Nävis, est devenue une sorte de sex-symbol ? Etait-ce prémédité ?
Pas du tout. J’avais travaillé le personnage pour lui donner à la fois un coté fragile et un caractère affirmé. C’est peut-être lié au fait qu’au fur et à mesure elle devient de plus en plus femme. Mais je suis toujours étonné quand on me demande en dédicace l’héroïne dans des poses érotiques. Je suis très pudique par rapport à mon personnage.
 Il faut dire que le personnage a vieilli. Nävis semble plus vieille, plus adulte, aujourd’hui que dans le premier tome de Sillage …
C’est logique. Même si nous n’avons pas défini de nombre d’albums à réaliser pour la série, un des objectif de Sillage est de suivre la vie de ce personnage jusqu’à sa vieillesse. Il y aura une vieille Nävis. A ce propos, vous pourrez en découvrir une simulation par ordinateur dans le hors série à paraître.
 Le tome 5 possède un titre que je n’arrive ni à lire, ni à dire ! Pouvez vous m’aider ?
Eh bien, non ! Nous avions décidé avec Jean-David que les extra-terrestres s’exprimeraient dans leur propre langue. Pour des raisons de crédibilité mais aussi d’angoisse ! Puisqu’il nous semblait qu’être pris en otage par des personnes qui s’expriment dans un langage qu’on ne comprend pas doit être particulièrement inquiétant. En fait Jean-David m’avait traduit en français tous les textes de l’album sauf cette phrase, sorte de « vive la liberté », prononcé à chaque attentat quand les personnages se sacrifient. Nous n’en avons donc pas la traduction.
 Savez-vous au moins la prononcer ?
Non, c’est absolument impossible pour nous autres terriens. Il faut 26 cordes vocales pour pouvoir le faire.
 Pourrait-on qualifier Sillage de série de science-fiction politisée ?
Un petit peu mais je la qualifierais plutôt de sociale. C’est vrai que la science-fiction intéressante est celle qui est abordée sous cet angle, comme une sorte de miroir grossissant des angoisses de l’époque où on se trouve. C’est un des objectifs de Sillage : mettre le lecteur en porte à faux sans lui donner d’indices du bien et du mal, le mettre en face de la réalité des situations. C’est vrai que ce dernier album est plus « politique » que les précédents. Une série « Socio-politique », je dirais.
 C’était un parti pris ?
Oui. La science fiction de Jean-David Morvan a toujours été dans cet axe. Regardez Nomad, qui abordait le thème du surhomme à travers une construction géopolitique et sociale du monde, avec des guerres, des conflits et autres luttes de pouvoir. Regardez aussi TDB (Trop de bonheur), qui vient de paraître et qui propose également une autre vision de la société.
 Comment travaillez-vous ensemble ?
Nous avons l’avantage de travailler dans le même studio. Nous sommes tous les jours ensemble. Le projet d’album mûrit et on en discute. Pendant que je réalise les dessins d’un nouvel album, on se fait des petits brainstormings sur l’épisode suivant.
 Sillage est un bonheur pour le dessinateur que vous êtes puisque vous pouvez créer de nombreux univers différents …
C’est ce qui m’intéresse le plus dans le dessin : la création d’univers cohérents. J’ai toujours été attiré par des activités comme le design. Avec Sillage, je peux tout mettre dans la même BD. C’est très intéressant.
 Quelles sont vos influences dans la création de ces univers ?
C’est tout azimut. Par exemple, je suis très cinéphile et très éclectique dans mes choix, des films d’action aux films d’auteurs, de films où priment la forme à ceux où priment le fond. Les deux sont bien, non comparable. Je suis toujours étonné avec les gens qui cloisonnent leurs choix, dans leurs lectures par exemple. Même les navets sont enrichissants car on en tire toujours quelque chose, même minime. Sinon, quand je lis des romans de science-fiction, je ne peux pas m’empêcher de dessiner et de donner forme à ce que décrit l’auteur.
Vous avez d’ailleurs dessiné un certain nombre de couvertures de romans. Continuez-vous à travailler dans le domaine de l’illustration?
Je fais beaucoup d’illustrations autour de Sillage. Dès le premier tome, j’ai été sollicité pour réaliser des affiches et autres ex-libris et j’en réalise énormément. Quand j’ai une idée que je n’arrive pas à placer dans un album, j’en fait un dessin, un croquis. Je suis un dessinateur compulsif. Dès que j’ai un crayon dans la main, il faut que je dessine.
 Vous verriez-vous dessiner une histoire totalement réaliste ?
Oui, j’aimerais bien aussi . Au début, j’avais l’impression de toujours travailler sur mes univers, mes trucs à moi. Un scénariste comme Jean-David m’a toujours fait faire des choses que je n’avais pas envie de faire. Quand il m’a parlé d’une série de science fiction, je me voyais dessiner des vaisseaux spatiaux. Eh bien non ! Le premier tome de Sillage se passe entièrement dans la jungle alors que je n’avais jamais dessiné de décors naturels ! C’est ce que je trouve intéressant avec un scénariste. Si j’avais scénarisé mes propres histoires, j’aurais travaillé dans la facilité. J’aurais écrit ce que j’avais envie de dessiner. C’est, je pense, le défaut de beaucoup de scénaristes dessinateurs. Ils ont tendance à gommer les endroits, dans le scénario, qui pourraient être un peu « casse gueule » au niveau du dessin.
 Pourquoi faites-vous les couleurs de Sillage ?
Pour moi, les couleurs font partie du dessin. Je travaille sur ordinateur depuis le début et je découvre de nouvelles choses à chaque fois, sur la façon de travailler avec les mêmes outils. C’est assez expérimental. C’est d’ailleurs une des raisons qui fait que je réalise beaucoup d’ex-libris. Je teste les mises en couleurs. Je travaille avec un des « Color Twins » présent à l’atelier mais j’ai une idée tellement préconçue sur mes couleurs que je ne pourrais absolument pas les déléguer. Je serais tout le temps derrière.
 Vous consacrez-vous totalement à Sillage et envisagez-vous de travailler sur une autre série en parallèle ?
Pour l’instant Sillage me prend tout mon temps et je me concentre dessus mais ce n’est pas à exclure plus tard. Avec l’expérience, on gagne sans doute du temps. Le temps est un allié et un ennemi. Allié puisqu’il oblige à trouver des solutions graphiques créatives mais ennemi car on voudrait pouvoir faire trois fois plus de choses.
 Quand sortira le prochain épisode de Sillage et quelle en sera la trame générale ?
Le sixième tome sortira en juin 2003. Il approchera un petit peu de ce que peut être la guerre des tranchées, dans l’univers graphique. Il y sera question d’intelligence artificielle. Nävis y évoluera en solo, au milieu d’un conflit.
(Propos recueilli par Laurent Turpin le 15 septembre 2002)