Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Contes saumâtres » par Yann
Revisitant les plus célèbres contes d’Andersen et de Perrault, l’impertinent Yann avait tourné leurs personnages en dérision au sein de deux albums collectifs parus en 1997 et 1998 dans l’éphémère collection Humour libre. Imaginés en compagnie de Juillard, Zep, Boucq, Hermann, Dupuy & Berberian, Clarke ou Jean-Claude Denis, ces récits détournés, libres et satiriques n’ont pas pris une ride : les voici de nouveau réunis vingt ans après dans la collection Aire libre. Échauffez vos zygomatiques !
Utiliser des références universelles tels que les contes de fées n’est bien sûr pas l’apanage de Yann, un scénariste toutefois bien connu par ailleurs pour son humour corrosif (relire à ce titre « Huit mois dans l’enfer des hauts de pages », « Bob Marone », « Les Innommables » ou « Spoon & White »). Dans la lignée d’un Gotlib détournant « Le Petit Chaperon rouge » dans le troisième tome de « La Rubrique-à -brac » (1972), et donc à contrario des sages adaptations des contes d’Andersen, Grimm ou Perrault effectuées à partir de 2007 chez Petit à petit, Yann commence par détourner titres et canevas initiaux : « La Princesse au petit pois » devient « La Princesse aux concombres » (dessin par Juillard), « Le Vilain Petit Canard » est transposé sous « Le Vilain Petit Phoque » (dessin par Robin) tandis que « Le Stoïque Soldat de plomb » se transforme en « L’Inébranlable Soldat criblé de plomb » (dessin de Boucq). Au-delà de l’immense potentialité offerte par les 156 contes d’Andersen, avec Yann, on le sait, les éléments référentiels multiculturels se mêlent et deviennent innombrables, comme autant de résonnances dépassant le simple cap de la parodie : citons par exemple ce « Barbe blues » dessiné par Rossi, qui devient ici un polar nerveux faisant autant référence au style Tarantino qu’à « Nikita » (Luc Besson, 1990) « Bonnie & Clyde » (Arthur Penn, 1967) ou au road movie tragique à la manière de « Thelma et Louise » (Ridley Scott, 1991)…
Aux origines du projet se trouvait précisément la volonté de Yann de revisiter « Barbe-Bleue » à la sauce Tarantino ; ce dans la mesure où l’extrême violence du réalisateur de « Reservoir Dogs » résonnait avec ce conte cruel de la littérature enfantine. Le choix des dessinateurs comme Zep ou Gabrion, parfois en décalage graphique avec le classicisme initial du sujet traité, devait aussi permettre aux réalisations de s’éloigner des habituelles planches humoristiques estampillées Journal de Spirou. Titrés « Sales Petits Contes », les deux volumes parus firent partie intégrante de ces tournants vécus au sein des éditions Dupuis à la fin des années 1990, époque où Tome et Janry revisitaient la série-mère en livrant leur étonnant « Machine qui rêve » (1998). Une tonalité plus sombre et plus adulte, à l’aube du XXIe siècle et d’une nouvelle mythologie… Rebaptisés « Contes saumâtres », réunis sous une couverture inédite signée de Juillard, ces histoires seront surtout déplaisantes pour leurs propres protagonistes, souvent forts malmenés par le destin et l’humour noir de Yann : les lecteurs savoureront quant à eux ces drolatiques récits, que même le temps écoulé depuis leur parution n’aura pas réussi à altérer.
Philippe TOMBLAINE
« Contes saumâtres » par YannÂ
Éditions Dupuis (14,50 €) – ISBN : 979-1-0347-3032-2