Saviez-vous qu’en 1916, à Unicoi (comté de l’État du Tennessee, aux États-Unis), une éléphante prénommée Mary a été condamnée à mort et pendue à une grue pour avoir écrasé la tête du dresseur qui la battait ? Eh oui, en Amérique, à cette époque-là, on ne rigolait pas avec la loi, même en ce qui concernait les animaux à qui ont accordait, suivant la croyance populaire, une conscience morale. La plupart d’entre eux devant alors être exécutés, il y aurait eu, d’après l’excellent narrateur et dessinateur David Ratte (1), des bourreaux assermentés qui devaient parcourir tout le pays pour appliquer la sentence suprême à ces bestioles assassines, à la suite de décisions issues des procédures fédérales. C’était d’ailleurs le métier du jeune Jack Gilet : un type un peu paumé qui aimait tellement les animaux qu’il ne voulait pas qu’on les abatte comme des bêtes…
Lire la suite...« Morts par la France : Thiaroye 1944 » par Nicolas Otéro et Pat Perna
Docu BD « coup de poing » publié par Les Arènes BD, « Morts par la France », dont la démarche éditoriale vise au rétablissement de la vérité sur un massacre perpétré par l’Armée française, est un remarquable ouvrage qui mériterait d’être labellisé d’utilité publique.
Le 1erdécembre 1944, dans le camp de Thiaroye, près de Dakar, un son de mitrailleuse retentit. Des soldats français viennent d’ouvrir le feu sur des tirailleurs sénégalais soi-disant mutins, tout juste revenus de la métropole en vue de leur démobilisation, faisant officiellement 35 morts et 34 blessés auxquels s’ajouteront 34 condamnés. Les pseudo-rebelles abattus n’auront évidemment pas le droit à la mention « mort pour la France », ni même au règlement des indemnités qu’ils réclamaient et que les autorités indiqueront plus tard leur avoir déjà réglées ! C’est un des nombreux mensonges de ce dossier, entre archives maquillées, faux rapports, documents dissimulés et autres intimidations…
Depuis plus de 20 ans, Armelle Mabon mène un travail de recherche acharné pour rétablir la vérité sur ces tragiques événements, luttant contre ce qu’elle qualifie être un mensonge d’État. C’est dans son sillage qu’on découvre, abasourdi, l’étendue de la tromperie et les dégâts causés sur une population qui a perdu confiance dans la France, à jamais. Aujourd’hui, même si François Hollande s’est excusé, en 2012, au nom du pays qu’il présidait alors, pour le rôle de l’État dans ce massacre, il n’en a jamais dévoilé ni les circonstances détaillées, ni le nombre exact de tués et n’a proposé aucun dédommagement. Les choses semblent toutefois bouger puisque tout récemment, le tribunal administratif de Paris suite au rejet tacite du ministère des Armées, a accepté la requête de Biram Senghor (fils d’un tirailleur tué), visant l’obtention de la mention « mort pour la France » ainsi que le remboursement des sommes spoliées.
Mais, ne nous y trompons pas, ce qui fait de ce reportage illustré, au delà de sa démarche citoyenne salvatrice, une bande dessinée remarquable, réside dans les talents conjugués des auteurs à mettre en forme ce récit poignant, tant au niveau de la narration que dans ses aspects graphiques. Si Pat Perna embarque le lecteur dans le sillage du combat mené avec obstination, et au détriment de sa vie privée, par Armelle Mabon et alimente sa réflexion à mesure des recherches et découvertes de l’enseignante-chercheuse, il apporte une valeur ajoutée certaine en ayant lui-même enquêté longuement sur le drame de Thiaroye et interrogé des dizaines de témoins, lui permettant de calibrer le récit avec efficacité. Nicolas Otero illustre d’un trait semi-réaliste très lisible et rigoureux, et avec un rythme soutenu, cette enquête, qui nous conduit de surprise en stupéfaction. Grace à sa parfaite maîtrise des jeux d’expression de ses personnages, il renforce la dramaturgie et l’émotion des situations.
Laurent TURPIN
« Morts par la France : Thiaroye 1944 » par Nicolas Otéro et Pat Perna
Éditions Les Arènes BD–XXI (20 €) – ISBN : 9782352047391