Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Nos embellies » par Marie Duvoisin et Gwénola Morizur
Pour leur première collaboration commune, deux jeunes auteures nous livrent une perle de sensibilité et d’émotion, à travers la rencontre inattendue et attachante de personnages, tous à un tournant de leur existence.
Champagne ! Noël approche à Paris et le groupe musical de Félix vient enfin d’être retenu par un important label américain, qui lui propose l’enregistrement d’un CD sur le champ. Cette nouvelle, Félix l’annonce avec le sourire à Lilly, qui vient juste, de son coté,  d’apprendre sa grossesse. Elle ne retourne toutefois pas la politesse à son compagnon, garde l’information pour elle et s’interroge : « Un mois pour décider d’une vie ? Trente-et-un petits jours ? ». Lily ne se sent pas prête à devenir maman, ce qui pourrait par ailleurs briser les rêves de Félix. En attendant, elle se retrouve à gérer Balthazar, le neveu de Félix, âgé de 7 ans, en l’absence de ce dernier…
Balthazar, qui souffre de la séparation de ses parents, se fout d’aller à Disneyland ou bien de visiter la Tour Eiffel ! Qu’à cela ne tienne, sur « un coup de tête, voilà , que je (Lilly) pourrais bien mettre sur le compte des hormones », la jeune femme et l’enfant s’embarquent en direction de la montagne auvergnate. En chemin, ils croisent Jimmy, jeune marginal et autre estropié de la vie, qui demande à les accompagner. Leur road trip s’interrompt brutalement, la nuit venue et la voiture dans une ornière enneigée. Ils rejoignent alors la ferme du berger solitaire Pierrot, qui les accueille avec humanité et bienveillance dans son refuge pour âmes déboussolées…
Sur la base d’une histoire familiale réelle (son neveu fait la navette entre la France, où vit son père, et le Canada, où réside sa mère), Gwénola Morizur (déjà auteure chez le même éditeur, en 2017, pour Fanny Montgermont, du remarqué « Bleu Pétrole ») élabore un récit délicat, d’une formidable richesse scénaristique et où s’entremêlent les thèmes du choix personnel et de ses conséquences mais aussi du destin (« On rencontre sa destinée souvent par les chemins que l’on prend pour l’éviter », rappelle Jean de La Fontaine en préambule de l’ouvrage) ainsi que de la famille et de la liberté.
Au cours de ce récit, qui se déroule principalement du point de vue de Lilly et dont on suit les réflexions, interrogations, plaisirs et angoisses au quotidien, le lecteur éprouve sympathie et empathie pour l’ensemble des protagonistes, tous confrontés à un lourd passé et au futur incertain. Chaque événement (et ils sont nombreux), dont la plupart prennent le lecteur « aux tripes », est une occasion de mesurer à quel point chaque rencontre est une occasion d’élévation personnelle. Il faut avouer que le graphisme développé par Marie Duvoisin renforce l’immersion dans le récit.
Coup d’essai, coup de maître ! On a peine à croire que la dessinatrice signe ici sa première bande dessinée, tant elle maîtrise son dessin semi réaliste très précis, formidablement fouillé (peut-être parfois avec une volonté de trop bien faire), vivant voire virevoltant à souhait. L’illustratrice sait aussi illuminer les silences contemplatifs, bienvenus dans cette histoire où des pauses s’imposent. Le trait de Marie Duvoisin sait créer des sensations, non seulement dans l’expressivité des personnages mais aussi dans le découpage et la mise en scène des situations, que la jeune dessinatrice n’a pas hésité à charger de nombreux détails qui renforcent la crédibilité du propos. À ce sujet, les quatre tableaux de la planche représentant la fête de noël sont un modèle du genre, touchant d’authenticité et de pertinence.
Surpris et ému, le lecteur quittera cette histoire des larmes (de bonheur) aux yeux, en espérant une nouvelle collaboration prochaine entre ces deux auteures, qui entrent dans le 9e art par la grande porte.
Laurent TURPIN
« Nos embellies » par Marie Duvoisin et Gwénola Morizur
Éditions Grand Angle (16,90€) - ISBN : 9782818944615