N’hésitez pas à revenir régulièrement sur cet article, puisque nous l’alimenterons, jour après jour, avec tout que nous envoient nos amis dessinateurs, scénaristes, coloristes, libraires, organisateurs de festivals et éditeurs pour vous souhaiter de joyeuses fêtes : et ceci jusqu’à la fin du mois de janvier 2024 !
Lire la suite...« Jonathan T7 : Kate » par Cosey : analyse de planche
Devenu Grand Prix d’Angoulême et mis à l’honneur en janvier 2018 au sein d’une exposition rétrospective à l’Hôtel Saint-Simon, Cosey aura réalisé son rêve de dessinateur en créant « Jonathan » dans Tintin dès 1975. Héros baroudeur, préférant l’art, les livres et les belles rencontres aux faits d’armes, le personnage est l’évident alter ego de l’auteur qui lui prête son physique. Dans le 7e volume de la série, « Kate » (Le Lombard, 1981), Jonathan accepte de suivre une fragile jeune femme dans sa quête de l’impossible sur les toits du monde : la recherche du fantomatique château de l’oiseau blanc… Retour aujourd’hui sur l’une de planches de cet album, considéré comme l’un des plus aboutis de la saga, dont la réédition (sous forme de six intégrales) s’est par ailleurs achevée en juin 2017.
Influencé par Derib, le Suisse Bernard Cosendai (dit Cosey, né en 1950) est un auteur qui sait magnifier la nature, les grandes espaces montagneux, l’art et les rapports humains. Lui-même grand voyageur, basant son dessin sur l’observation du réel, il associe son œuvre notamment au Tibet et à l’Extrême-Orient, nourri de ses découvertes de l’Himalaya mais aussi de la Birmanie, du Japon… ou des États-Unis, territoire dont la forte résonnance cinématographique imprègne également ses planches. Dévoilé au travers de premiers récits plongeant dans l’aventure traditionnelle (poursuite à moto, bagarres et fusillades…), Jonathan présente aussi une fêlure psychologique qui lui fait gagner en épaisseur et rejoindre ces nouvelles figures héroïques apparaissant dans les années 1970, telles « Corto Maltese » d’Hugo Pratt ou « Simon du fleuve » d’Auclair. Dans « Kate », le personnage féminin est traité avec une égale délicatesse, s’éloignant ainsi des standards sexys ou caricaturaux (La Castafiore !) en vigueur dans le monde de la bande dessinée. Inspirée graphiquement par le visage de l’actrice américaine Mimsy Farmer (dévoilée en 1969 dans « More » de Barbet Schroeder, puis dans « La Route de Salina » de Lautner en 1971), Kate est elle-même une baroudeuse férue de culture asiatique, cependant hantée par un passé traumatique et s’illusionnant d’une recherche fantasmatique.
Comme l’explique l’auteur, qui évoque « Tintin au Tibet » et l’exploratrice Alexandra David-Néel (première femme d’origine européenne à séjourner à Lhassa au Tibet en 1924) au détour d’une case, Kate Henderson est portée par ses motivations personnelles, cherchant à fuir une société occidentale qui ne lui correspond plus. Tissant une situation amoureuse entre Jonathan et Kate, Cosey complexifie son intrigue en réintroduisant l’idée du carnet de voyage et de la quête mystique, tout en changeant partiellement de décor : « Dans « Kate », il y a avait l’expérience de mon séjour à Srinagar, au retour du Ladakh (région du Nord de l’Inde). À l’aller, j’étais dans l’impatience de découvrir l’ancienne province tibétaine, ma passion pour le Tibet était un peu monomaniaque, je ne voulais pas disperser mon attention. Mais au retour, j’ai écarté mes œillères et découvert le Cachemire. Difficile de résister à la beauté du Dal Lake, le calme de la vie sur un houseboat, les balades en shikaras (pirogues) parmi quelques lotus roses… [...] »
Planche 33 : ayant suivi les traces d’une ancienne expédition de missionnaires partis évangéliser les hautes vallées de l’Himalaya en 1898, Jonathan et Kate recherchent l’hypothétique Château de l’oiseau blanc, palais ou citadelle légendaire digne de Xanadu. Œuvre au blanc graphique tant que psychologique, « Kate » s’ouvre à la neige et à la trace, préfigurant la fameuse couverture d’« À la recherche de Peter Pan ». Dévoilant l’immensité neigeuse du décor, la case 4 amplifie le désarroi de Kate, dont le chatoiement et l’aura solaire semblent s’éteindre à la case 6. Genoux à terre, puis silhouette allongée silencieuse et désespérée, Kate manifeste toutefois son désir de poursuivre : en bas de planche, pour nos héros comme pour nos lecteurs, l’aventure n’est donc point encore achevée… C’est du reste avec un geste de tendresse que se clôture la page, laissant augurer de la relative force émotionnelle qui mue encore les personnages. Visuellement présenté dans un espace de plus en plus dépouillé, le cadre laisse la part belle à l’épure, à la couleur et à l’imaginaire du lecteur : l’on comprendra mieux, dès lors, pourquoi la sereine justesse de « Kate » fut récompensée du prix du meilleur album lors du neuvième Festival d’Angoulême en 1982.
Philippe TOMBLAINE
« Jonathan T7 : Kate » par Cosey
Éditions du Lombard (17,00 €) – ISBN : 978-2803613175