Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Royal City T1 : Famille décomposée » par Jeff Lemire
Revoilà Jeff Lemire dans une nouvelle série indépendante réalisée chez Image comics.
Certes, nous parlons régulièrement de cet auteur, mais on vous avait prévenu : il s’agit d’un artiste capable de travailler sur neuf projets en parallèle ! Dans ce nouveau titre, plutôt social, mais à la fibre fantastique tout de même, Jeff Lemire nous transporte encore un peu plus loin dans son univers personnel et intime. Embarquement pour Royal City, la ville de tous les souvenirs…
La famille Pike habite Royal City depuis trois générations. Tous sont nés, ont grandi ici, et se retrouvent aujourd’hui réunis autour du patriarche, victime d’une crise cardiaque. Patrick, romancier sympathique, mais à l’inspiration en rade, proche du divorce ; Tara, la grande sœur, cadre dynamique bien décidée à relancer la compétitivité de la ville, et Richard, égaré dans une vie basée autour de l’alcool. Chacun a été meurtri à sa façon par le drame qui bouleversa la vie de chaque membre de la famille : la mort de Tommy, le cadet de 14 ans, retrouvé noyé il y a quelques années. Comment leurs destins vont-ils être rassemblés autour de ce personnage fantomatique central ?
Comme l’explique Jeff Lemire en fin de ce premier gros volume de 160 pages (plus quelques bonus), regroupant les numéros 1 à 5 des comics originaux parus de mars à juillet 2017 : « Cela faisait déjà plusieurs années que j’avais hâte de revenir au type d’histoires avec lesquelles je me suis lancé dans la BD. Pour parler clairement, je voulais renouer avec le style d’“Essex County” (disponible en français chez Futuropolis). Je voulais revenir à des récits plus terre à terre, qui parlent de “vraies gens”. Mon dernier roman graphique, “Winter Road” (id.), était déjà un pas dans cette direction, mais il n’a pas du tout calmé cette envie, bien au contraire. Ça m’a poussé à me demander ce qu’il se passerait si je m’essayais à quelque chose du goût d’“Essex County” ou de “Winter Road”, donc loin du “genre” et du “high concept”, sur un comic book mensuel et pas seulement le temps d’un roman graphique. […] Ce que j’avais envie de faire, c’était revisiter les thèmes et le ton d’“Essex County” en ayant la liberté de les explorer dans un cadre plus large. »
On retrouve donc effectivement dans « Royal City » tout ce qui fait le charme des récits intimistes de l’auteur. Certes, il ne faudra pas chercher de science-fiction ici, et l’on est assez loin de « Descender » ou de « Trillium » développés chez d’autres éditeurs. Mais Jeff Lemire n’est, je pense, jamais aussi bon que lorsqu’il explore ses thèmes sociaux. Comme il le dit : « Il se passera plein de trucs dingues dans cette série. Il y aura du crime et de la violence, même si ce n’est pas un polar. Il y aura des éléments fantastiques, même si ce n’est pas une série fantastique. »
À la limite, on pourra davantage rapprocher « Royal City » de son récent « Black Hammer », pourtant science-fictionnel, car l’émotion est toujours aussi présente, et la « vérité » des descriptions de sentiments humains toujours aussi précise.
Dans cette petite bourgade où les membres d’une famille se cherchent, s’évitent, se cachent des choses, se haïssent presque pour certains, le sentiment qui prédomine est cependant la solitude. Et c’est tout le mérite de l’auteur de nous la faire ressentir, par le biais de l’absence de Tommy, qui apparaît de manière sporadique au début, puis de plus en plus couramment, mais sous la forme d’un fantôme bienveillant. C’est lui qui va essayer de rassembler ses « parents » un peu perdus, déboussolés, car chacun ressent évidemment de la culpabilité. Pourquoi Tommy est-il mort ? Et comment ? On ne l’apprendra pas vraiment à la fin de ce premier tome, bien que l’on sache qu’il a été retrouvé noyé, et que Patrick, son aîné, s’est servi de son carnet intime pour écrire son premier roman et obtenir un début de notoriété. Chacun doit apprendre à vivre sans, à reconstruire une partie de sa vie, et cela est compliqué.
Jeff Lemire nous parle de choses intimes, avec beaucoup de talent, et il serait dommage de ne pas le lire, car ce qu’il dit est universel. Rappelons qu’il est Canadien, et pour ce que cela peut avoir en rapport, ceux qui aiment le cinéma de Xavier Dolan retrouveront une patte sensible assez similaire dans ce genre de récit. Un beau et passionnant premier tome, aux personnages attachants.
Franck GUIGUE (40/30/30 blog)
« Royal City T1 : Famille décomposée » par Jeff Lemire
Éditions Urban comics (10 €) — ISBN : 9 791 026 813 934