On vous a déjà dit tout le bien que l’on pensait de la saga ébouriffante, délirante et jubilatoire « The Kong Crew » d’Éric Hérenguel… (1) Or, voilà que les éditions Caurette sortent une très belle intégrale de luxe de la trilogie (224 pages, dans sa version originale en noir et blanc grisé et en français) : une incroyable épopée hommage aux comics, aux pulps et aux vieux films fantastiques des fifties ! Ceci alors que le tome 3, cartonné et en couleurs, vient aussi à peine de paraître chez Ankama… La totale en noir et blanc ou les trois volumes en couleurs, vous avez donc le choix ! L’essentiel étant de ne pas passer à côté de ces aventures follement drôles, débridées et imaginatives, sous couvert de fable épique et écologique !
Lire la suite...« La Mille et Unième Nuit » par Vincent Froissard et Étienne Le Roux
Il y a mille et une façons de raconter les célèbres « Mille et Une Nuits ». En voilà encore une, finement concoctée par Étienne Le Roux et délicieusement dessinée par Vincent Froissard, l’un et l’autre jouant la carte de la rêverie orientaliste et légendaire, entre tapis volants et lions philosophes. Le voyage est total et le dépaysement est merveilleux…
On est dans la cité de Rum, ville hérissée de minarets, de coupoles et de portes majestueuses, entre désert et montagnes, quelque part en Orient. Dans son palais, le sultan Shahriar, roi sage et prudent nous dit-on, mais également cruel et monstrueux puisqu’il est capable « d’épouser chaque soir une jeune fille différente et de la faire étrangler au matin », va trouver son maitre… avec sa nouvelle maîtresse, l’astucieuse et imaginative Shéhérazade. Celle-ci tient son sultan en haleine depuis des nuits et des nuits et « chaque nuit passée au palais s’apparentait pour lui à un voyage »…
Problème : imaginer chaque nuit de nouvelles histoires tarit peu à peu l’inspiration. Heureusement, Dinarzade, la sœur de Shéhérazade, a l’autorisation de sortir de la prison dorée. Elle se décide à arpenter les ruelles et les marchés pour récolter des histoires à raconter. Rien de mieux, en effet, qu’un bon souk pour dénicher des récits improbables et repousser le plus longtemps possible l’exécution inévitable de sa sœur. Au cours de son errance, elle rencontre un trio étonnant : un homme conversant avec son âne et un petit singe. L’ex-négociant en étoffes lui raconte ce qui leur est arrivé, ce qui vaut au lecteur un récit enchâssé menant au sanctuaire du roi des rois, Salomon lui-même et à l’épouvantable Lilith ! Pendant ce temps, le Sultan Shariar est parti à la chasse au lion et commet l’erreur d’empiéter sur le territoire interdit de Baali’m…
Dès lors, qui est le puissant, qui ne l’est pas ?! Qui est le roi, le meilleur roi ? Étienne Le Roux s’amuse à imbriquer des récits qui piègent les puissants et donnent des ressources aux petites gens, tout comme il donne beaucoup de place à la petite sœur, qui rêve d’amour, plutôt qu’à la mythique Shéhérazade. Mais, et surtout, le scénariste a en tête des images dont il est sûr que son compère Froissard pourra les réaliser. Le moins qu’on puisse en dire est qu’on n’est pas déçu. Dès la couverture, le ton est donné : nuit étoilée, architectures orientales, habits luxueux, dorures…
Puis Vincent Froissard nous offre des images éblouissantes de virtuosité : intérieurs féeriques, palais immenses, bains languissants, ruelles et marchés où s’activent marchands et clients, dunes infinies comme nimbées d’un brouillard orangé, décors vaporeux, horizons floutés qui créent des atmosphères rassurantes et inquiétantes à la fois. En prime, des cases et des planches ici et là bordées de frises traditionnelles enluminant l’histoire.
Rappelons que le duo avait déjà réalisé un diptyque étonnant : « Le Dernier Voyage d’Alexandre de Humbolt » (en 2010 et 2014), l’histoire du célèbre naturaliste prussien, ou plutôt la fin d’un drôle de voyage tel que les auteurs se l’étaient imaginé, c’est-à-dire fantasmé, onirique, délirant, tant ce projet allait très vite bien au-delà d’une biographie servile ou tatillonne. Étienne Le Roux faisait alors le pari de pousser l’imaginaire visuel de Vincent Froissard, à sublimer la vie du naturaliste et à mêler réel et fantastique. On en oubliait qu’Humbolt avait existé pour ne plus devenir que le spectateur d’une descente aux enfers graphique, fascinante, cauchemardesque, époustouflante où le trait se floutait, les décors s’estompaient, les individus se superposaient ou se diluaient. Les atmosphères se faisaient troublantes : des mondes aux apparences sous-marines, à d’autres moments plutôt interstellaires, poussaient le lecteur à voyager en des paysages déliquescents et ruinés. Où sommes-nous ? Où allons-nous ? Pourquoi ? Ces questions, le lecteur, finalement, ne se les posaient plus. Il avançait, un point c’est tout, comme dans un rêve éveillé… Déjà une histoire de nuit, en somme !
Didier QUELLA-GUYOT ([L@BD-> http://9990045v.esidoc.fr/] et sur Facebook).
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« La Mille et Unième Nuit » par Vincent Froissard et Étienne Le Roux
Éditions Soleil (16,95 €) – ISBN : 978-2-3020-6393-8