Depuis 2021, chaque année, Tiburce Oger rassemble une belle équipe de dessinateurs et dessinatrices pour évoquer l’Ouest américain à travers des personnages authentiques – le Far West, donc – et l’exploitation de ces territoires par des individus qui oubliaient, bien souvent, qu’ils n’étaient que des colonisateurs assoiffés de richesses…
Lire la suite...« Suis l’homme en blanc » par Jean-François Cellier et Thomas Oswald
Il y a des albums qui accrochent par un titre, une couverture, un graphisme et, au final – et c’est tant mieux – par le sujet qu’ils traitent. C’est le cas de « Suis l’homme en blanc » et de sa couverture très réussie : au premier plan, des jambes tatouées intrigantes, au second plan, un gamin juché sur un vieil éléphant. L’homme et l’enfant sont des Karens, ce peuple cruellement martyrisé par la junte militaire birmane (et cela bien avant l’actuelle volonté génocidaire envers les Rohingyas)…
Le récit commence par l’arrivée dans un village karen situé en Thaïlande de deux motards auxquels on va raconter l’histoire de ce jeune garçon auquel son père mourant demande de faire ce que dira « l’homme en blanc ». Une histoire vraie, nous dit-on. Toujours est-il qu’on nous décrit longuement les croyances des Karens envers les esprits du jour qu’il faut respecter, les esprits de la nuit qu’il faut craindre et les sacrifices auxquels il faut se résoudre pour apaiser la colère des uns et des autres. Ainsi toute la vie des Karens est-elle faite de respect et de peur et le pays des vivants totalement soumis au « pays des morts ». Précaution suprême, il faut tout faire pour « que l’ombre de la mort ne se mêle pas aux vivants ».
Preu Po Prou, l’enfant, va donc passer sa vie à rechercher, selon la recommandation du père, l’homme blanc. Sa détermination et sa sagesse sont telles qu’on va en faire un chef de village. C’est le moment où le hasard l’amène à aider un voyageur norvégien blessé, peut-être l’homme blanc qu’il recherche. À dos d’éléphant, il emmène le Norvégien se faire soigner dans un dispensaire édifié par un homme en blanc, un missionnaire tout simplement, le Père Quintard…
Si le récit de la persécution du peuple karen par les militaires birmans qui leur ont fait la guerre depuis des dizaines d’années est tout à fait intéressante car méconnue (deux pages de dossier apportent d’utiles informations sur les Karens), la fin de l’album est moins passionnante puisqu’elle vire au prosélytisme avec la conversion du jeune garçon auquel on vante la religion du Saint-Esprit contre les esprits, une curieuse façon de penser que la naïveté n’est que du côté des autres ! Même si le Père Quintard faisait manifestement partie de ces prêtres de terrain, réalistes et efficaces, construisant école et hôpital, il n’empêche que l’évangélisation reste le but ultime avec toujours cette pensée discutable que le dieu des uns est supérieur aux divinités des autres.
On ne peut évidemment pas en vouloir aux éditions du Rocher de publier ce genre de récit quelque part plutôt hagiographique puisqu’il s’agit d’une maison d’édition chrétienne et on félicitera au contraire cette dernière pour le choix du dessinateur Jean-François Cellier, habile dessinateur et coloriste admirable. Ses paysages sont fascinants et même dans de toutes petites cases, son travail de la couleur est incroyablement exigent et suggestif. Il a un sens du relief et de la lumière qui pousse le lecteur à ralentir la lecture pour observer ce que ses tonalités font d’un ciel, d’un sol, d’un feuillage a priori anecdotique. Cellier a d’ailleurs remarquablement dessiné le triptyque « Jeanne la Pucelle » paru chez Soleil. A noter enfin que sort aux mêmes éditions, début octobre, « La Grande Crevasse », célèbre récit montagnard adapté de Frison-Roche.
Didier QUELLA-GUYOTÂ ([L@BD-> http://9990045v.esidoc.fr/] et sur Facebook).
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« Suis l’homme en blanc » par Thomas Oswald et Jean-François Cellier
Éditions du Rocher (14, 50 €) – ISBN : 978-2-268-09092-4