Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Faucheurs de vent T1 : Le Carroussel des cabochards » par Cédric Fernandez et Thierry Lamy
En 1917, Louis Laffite est muté parmi les as de l’escadrille des Faucheurs. Le nouveau venu rêve d’en découdre, en dépit du tragique exemple d’Alexandre Marais : défigurée, cette légende de l’aviation française dissimule désormais ses blessures sous un masque de cuir. Le combat pour la maîtrise des cieux s’envenime encore lorsque les deux hommes se voient confier la mission d’abattre Nikokaus Stipectic, l’un des meilleurs pilotes de l’armée allemande… Nouvelle série prévue en trois albums, « Les Faucheurs de vent » s’envole par-dessus les tranchées du genre !
Outre l’évidente volonté de Glénat de ne pas laisser les éditeurs Paquet (avec la totalité des titres de la collection Cockpit, dont les excellentes séries « Angel Wings » et « Ciel de guerre ») et Zéphyr (« Buck Danny » « Tanguy et Laverdure Classic ») être les seuls à publier des titres mettant en scène les grands affrontements aériens du XXe siècle, on ne pourra s’empêcher de remarquer une certaine similitude entre le scénario décrit et celui du précédent « Le Pilote à l’Edelweiss » (Paquet, 2012 à 2013) : Yann et Hugault proposaient déjà une triple mésentente entre deux héros français et leur ennemi germanique, tous étant cependant respectueux des règles chevaleresques liées au duel aérien. Cet esprit aristocratique donne immédiatement au récit une tonalité d’antan sombre et amère, tant la tragédie semble guetter ces « chevaliers du ciel » à chaque coin de planche : on ne compte plus les amis abattus, les civils bombardés, les avions endommagés ou détruits, les haines, les trahisons ou les valeurs humanistes mises à terre.
Sur le visuel de couverture, digne d’une affiche de film, l’homme au masque de cuir est la figure centrale, insérée dans une composition au style art nouveau (courbes et volutes de Mucha) : le lieutenant Marais y apparaît aussi redoutable (dans les airs) que psychologiquement instable ou fragilisé. De retour au sol, il devra probablement se confronter à sa hiérarchie et à ses propres fantômes : les « cabochards » annoncés par le titre de ce premier opus, aussi « têtes brûlées » soient-ils, ne partent souvent que pour un ultime tour de piste, un carrousel macabre signifié par la double allégorie de la mort. Cette faucheuse omniprésente est à l’œuvre dans la partie basse du visuel, où un biplan Albatros D.V. amorce une trajectoire enflammée… Un seul élément est mis en lumière et en couleurs : saisi en contreplongée, un avion français triomphant s’élève, vainqueur pour un temps des vents hostiles et contraires.
Habitué des compositions aériennes, le dessinateur Cédric Fernandez (dit aussi Rivera) aura auparavant dessiné pour Zephyr BD le premier tome de la série « Le Vol des anges » (2010), qui rend hommage aux pionniers de la conquête du ciel. Depuis 2014, sur un scénario de Pierre-Roland Saint-Dizier, il retrace également l’histoire mouvementée de l’Aéropostale via le personnage phare de Saint-Exupéry (deux albums parus chez Glénat). Il détaille ici pour BDzoom.com la genèse de la couverture des « Faucheurs de vent » :
« C’est le scénariste Thierry Lamy (« Skraeling », « Hell West », « Promise ») qui, connaissant mon travail sur mes précédents albums, m’a contacté pour me proposer ce projet. Après l’avoir lu, j’ai tout de suite été séduit par la psychologie des personnages. Ils sont plein de défauts, abruptes, avec leurs histoires complexes et leurs objectifs bien différents. C’est une aventure qui parle finalement assez peu d’aviation mais plutôt d’humanité (même si j’avoue que sur le tome 1 on s’est fait plaisir sur les scènes de combats aérien !). C’est une série courte (3 tomes), au récit dense : certains éléments que l’on commence à montrer à la fin du tome 1 vont faire basculer l’histoire dans quelque chose que l’on a peu l’habitude de trouver dans de la série d’aviation. Mais je ne vais pas en dire plus pour ne pas gâcher la surprise… »
« Pour ce qui est du dessin, j’ai recherché un parallèle au graphisme que j’utilise sur la série « Saint-Exupéry ». Je voulais quelque chose de plus dynamique mais toujours réaliste. La couleur de Franck Perrot contribue à donner l’aspect peinture que je recherchais, mais nous avons travaillé longtemps avant de trouver le style adéquat. Pour ma part, j’avais une idée très précise mais c’est toujours compliqué de « calibrer » le travail du coloriste avec la conception possédée à la base du projet. Petit à petit, s’écoutant les uns les autres, nous somme arrivés à ce résultat qui me plaît beaucoup. Au niveau de la technique, sur cette série je n’encre pas. Je réalise un crayonné très précis que je remonte à l’ordinateur ; le coloriste travaille ensuite la couleur numériquement. Nous voulions éviter d’avoir un résultat froid, comme peut justement le donner la couleur numérique. C’était un vrai challenge d’arriver à quelque chose qui pourrait ressembler à une colorisation traditionnelle, plus chaleureuse. »
« Concernant la couverture, étant donné que, pour moi, l’intérêt de la série repose dans un premier temps sur les rapports entre les personnages, j’ai voulu mettre les différents protagonistes en avant. C’est un choix osé pour ce genre de série qui fait généralement la part belle aux machines volantes mais ça me semblait important.
Je l’ai réfléchie comme une affiche de cinéma à grand spectacle, avec une superposition de ce duel aérien et du portrait de ce pilote et de son masque cachant non seulement ses blessures mais aussi ses doutes et ses peurs. Il a le visage légèrement baissé et regarde le lecteur dans les yeux comme un taureau prêt à foncer sans se soucier du danger. Ce héros, qui en n’est pas vraiment un, est complexe et j’ai voulu rendre ça avec cette attitude. J’ai aussi voulu travailler la compo dans le style Art nouveau. Je ne pouvais pas utiliser les arabesques que l’on retrouve fréquemment dans les dessins de Mucha mais je me suis fortement inspiré des découpes des cadres que l’on peut retrouver dans les affiches de l’artiste. En haut à gauche et à droite, j’ai ajouté le logo de l’escadrille des faucheurs. Non seulement ça me permet de donner un peu plus de tragédie avec cette mort et sa faux mais en plus j’en profite pour équilibrer l’image. Pour les 2 couvertures suivantes, j’ai gardé le même principe du personnage positionné en avant et de la scène aérienne en second niveau de lecture. Je voulais surtout jouer avec des couleurs différentes qui retranscrivent les états d’esprit des albums. Sur ce point, je peux toujours compter sur le talent de Franck qui sait manier les lumières comme peu de professionnels savent le faire. »
Série dynamique et à suivre, « Les Faucheurs de vent » est à situer dans la mouvance du « Baron Rouge » de Robert Kanigher et Joe Kubert (1978) : outre l’héroïsme personnel, la guerre aérienne faisait prendre aux conflits humains une autre dimension. Pour espérer l’emporter, la maîtrise du ciel serait désormais impérative.
Philippe TOMBLAINE
« Faucheurs de vent T1 : Le Carroussel des cabochards » par Cédric Fernandez et Thierry Lamy
Éditions Glénat (13,90 €) – ISBN : 978-2-344-01473-8