Depuis 2021, chaque année, Tiburce Oger rassemble une belle équipe de dessinateurs et dessinatrices pour évoquer l’Ouest américain à travers des personnages authentiques – le Far West, donc – et l’exploitation de ces territoires par des individus qui oubliaient, bien souvent, qu’ils n’étaient que des colonisateurs assoiffés de richesses…
Lire la suite...« Crache trois fois » par Davide Reviati
Davide Reviati, italien, est de ceux qui aiment se raconter et qui a effectivement quelque chose à dire, mieux : à dessiner. Pourtant, c’est bien de vie quotidienne qu’il s’agit et notamment des errements et des douleurs de jeunes adultes, à travers un groupe de copains qui testent la vie, qui se testent. Six ans après le marquant « État de veille », « Crache trois fois » est un pavé de plus de 500 pages, et une nouvelle œuvre foisonnante et spectaculaire sur la jeunesse et la tolérance…
Autour de Guido, le narrateur, les copains s’appellent Moreno dit « Grisou » ou Katango. Ils ont en commun la banlieue, plus exactement une fin de banlieue où se risque déjà la campagne. Ils dérivent entre le lycée technique qui les motive peu et la famille qui s’énerve de leurs échecs. Alors que la mère de Guido s’insurge, hurle contre ce fils qui va devoir redoubler sa terminale, les amis se confortent et font la fête, enivrés, drogués…
Guido, heureusement pour lui, est un rêveur. Il a souvent cette idée qui lui trotte dans la tête que la vie est un western, alors John Wayne apparaît sur son cheval et ils se parlent. C’était déjà le cas quand, plus jeune, il faisait des tours à vélo pour se distraire. L’album, par chapitres indépendants, évoque en effet des tranches de vie qui remontent à l’enfance, des épisodes qui ont marqué l’auteur, les gens qui l’ont construit et qui ont soudé peu à peu le petit groupe de gamins, des amis pour la vie, même avec ce qui les différencie, voire les oppose.
Parmi ces moments intenses qui marquent les jeunes esprits, il y a cette histoire de chien tueur de poules et la haine qui s’installe entre voisins. Il y a cette histoire de gitans, surtout, car, là , tout proche de la cité, dans une ferme en ruine, installée depuis 20 ans, vit une famille d’origine slovène, des gens méprisés et qu’on accuse de tous les maux. Parmi « la tripotée d’enfants », il y a Loretta. Elle est sauvage, étrange (sorcière, pensent certains), idiote peut-être, mais séduisante. Autant Grisou déteste les Gitans, autant Guido est fasciné par eux. Il n’est pas de ceux qui cherchent toujours à les cogner, à les humilier.
Alors, au cœur de l’album, Davide Reviati développe un véritable cours d’histoire sur le sort réservé aux Tsiganes, par les nazis, comment ils ont cherché à éradiquer ces nomades, en les isolant d’abord, en les stérilisant, ensuite, puis en les exterminant par centaines de milliers, un génocide honteux et négligé puisqu’« aucun tsigane ne fut appelé à témoigner lors du procès de Nuremberg ». L’auteur évoque ce qu’il en fut d’eux, en Italie, notamment la multiplication des camps où ils ont été rassemblés dans chaque région du pays, et souvent assassinés. Au-delà de cette séquence historique, l’album est globalement un récit autobiographique d’où émergent des séquences dramatiques (la mort du père) et d’autres plutôt métaphoriques (on a évoqué John Wayne, il faut ajouter les loups qui hantent les nuits de Guido) et les paroles des Tsiganes qui le nourrissent, sans oublier les « apparitions » de Loretta, troublante et manifestement troublée dans sa tête.
La raison pour laquelle on entre dans cette œuvre en noir et blanc est aussi graphique, car Reviati est tout d’abord un virtuose de la hachure. Il suffit de regarder la pluie apparaître puis tomber de plus en plus forte (pages 484 à 488) pour s’en convaincre. C’est magistral. Son second point fort est le sens du mouvement : des jeunes qui courent, des vélos qui foncent, des arbres qui ploient sous le vent… et c’est à chaque fois un petit exercice visuel qui force l’admiration (page 497) et retient le regard.
Rappelons qu’« État de veille » (publié en 2011) était chroniqué ici même sur BDzoom.com, et « Oublier Tian’Anmen » (paru en 2013) fut présenté sur BDzoom.com également…
Didier QUELLA-GUYOTÂ ([L@BD-> http://9990045v.esidoc.fr/] et sur Facebook).
http://bdzoom.com/author/didierqg/
« Crache trois fois » par Davide Reviati
Éditions Ici-Même (35 €) – ISBN : 978-2-3691-2031-5
Je confirme : un chef d’œuvre. Graphique avant tout, et narratif ensuite.