Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Michel Ange T1 : Le Banquet des damnés » par Thibaud de Rochebrune, Didier Convard et Éric Adam
Depuis l’extraordinaire succès du « Triangle secret » en 2000, les éditions Glénat et Didier Convard sont devenus inséparables. Croisant ésotérisme, Histoire et polar dans le même esprit que « Vinci » (2 tomes dessinés par le regretté Gilles Chaillet en 2008 et 2009), ce premier volet de « Michel Ange » nous conduit au cœur des mystères de la Renaissance italienne. En 1508, à Milan, la tête d’un architecte est retrouvée dans le baptistère Saint-Ambroise. Chargé de l’enquête, le prévôt Vittore s’interroge : existe-t-il des liens entre ce meurtre, l’étrange attitude de l’évêque et l’arrivée en ville de Michelangelo, lequel vient de délaisser la réalisation à Rome des fresques de la chapelle Sixtine ?
À l’instar de « Vinci et l’ange brisé » (paru en roman en 2010), le titre « Le Banquet des damnés », incipit d’une aventure prévue en deux tomes, pourra déjà être connu des lecteurs : il s’agit en effet de l’adaptation graphique d’un thriller historique de Convard, précédemment publié en octobre 2012 par Fayard et repris au format Le Livre de Poche en juin 2015. Tous deux devenus de fins connaisseurs de l’histoire de l’Italie antique et renaissante, les scénaristes Convard et Éric Adam sont également les coauteurs – avec Pierre Boisserie – de la série « Roma » depuis 2014 (5 tomes parus à ce jour). Pour l’actuel « Michel Ange », les auteurs s’intéressent naturellement à l’épisode-clé de la vie du génial artiste florentin (1475 – 1554) : en 1508, le pape Jules II lui commande un nouveau décor pour le plafond de la chapelle Sixtine, endommagé à l’époque par les proches travaux de constructions de la tour Borgia et de la basilique Saint-Pierre. Installé sur un échafaudage à 20 mètres du sol, le peintre réalisera – en grande partie seul… – un chef-d’œuvre absolu afin de recouvrir les 1000 m² de surface (40,5 x 14 mètres) de la voûte !
Débutée avec six aides, la réalisation des neuf scènes peintes de la Sixtine se poursuivra avec un seul apprenti (lequel confectionnera les couleurs) et un maçon (préparation des enduits de fresque). Perfectionniste et irascible, Michel-Ange épuisera son entourage durant les quatre années de confection… (Voir sur ce lien une visite virtuelle des lieux en 3D, avec possibilité de zoom). Au sein de la représentation d’épisodes de la « Genèse » (débutant par la « Séparation de la lumière d’avec les ténèbres »), c’est le motif central qui allait demeurer légendaire, symbolisant à lui seul tout l’humanisme du Cinquecento : avec la « Création d’Adam », où Dieu effleure la main tendue de l’homme pour lui donner la vie, l’artiste révolutionnait son art et son siècle par delà les générations. Par sa force symbolique et esthétique, le geste liant Adam à Dieu est devenu l’une des références les plus célèbres du monde de l’art occidental, réutilisé dans d’autres Å“uvres (sous une forme dérivée ou parodique) pour illustrer le thème de la rencontre ou du don (voir par exemple « E.T. l’extra-terrestre » de Spielberg en 1982).
Interprété récemment sous l’angle anatomique (derrière Dieu se devine en effet une représentation détaillée du cerveau humain), la « Création d’Adam » conserve sa part d’ombres et de mystères, au même titre que d’autres chefs-d’œuvre renaissants dont « La Joconde », réalisée quasiment à la même période par Léonard de Vinci, entre 1503 et 1506. Avouons que se passer d’une telle source d’intrigue romanesque aurait été dommageable ! Comme l’explique Thibaud de Rochebrune concernant l’élaboration de la couverture, rien ne pouvait à vrai dire mieux permettre de définir le cadre, son protagoniste notoire et ses complexe enjeux dramatiques (politiques, religieux, artistiques, philosophiques) : « Le projet de couverture a été proposé par le studio graphique de Glénat, et par Christian Blondel en particulier. C’est lui qui s’était chargé des couvertures de « Vinci », et il était donc normal qu’il veille à l’identité graphique de la série. J’ai moi même fait des propositions, mais leur style s’éloignait trop de la charte graphique de « Vinci », et n’exploitait pas les éléments graphiques les plus efficaces liés au nom de ce nouvel opus. C’est donc la proposition qu’il a fait qui a été retenue. Lors de la réalisation des mains de Michel-Ange, mon approche a été – puisque l’histoire se situe avant qu’il ne réalise le plafond de la Chapelle Sixtine -, de les réaliser comme si on montrait là un dessin préparatoire du peintre. J’ai d’abord repris les mains telles que Michel-Ange les a réalisées sur le plafond, puis j’ai rajouté une trame de volume inspirée de celles qu’on trouve sur ses autres dessins préparatoires. En contraste, le personnage encapuchonné a quant à lui été réalisé « normalement », afin de présenter sur la couverture un style plus proche du contenu de l’album. Les couleurs de Delf sont ensuite venu harmoniser le tout pour conduire à la version finale ».
Reprenant en creux le motif du compas cher à la franc-maçonnerie, le visuel de couverture met surtout en relief un geste paradoxal : généreux acte créatif apportant la vie ou décision meurtrière décidant du destin d’un individu, la beauté de l’instant se trouble d’incertitudes. Baignant dans le sang et une nuit d’encre, accolée à la silhouette blafarde et morbide d’un bourreau encapuchonné, mise en parallèle enfin avec un titre porteur d’une malédiction fataliste, cette « création » est à vrai dire plus proche du « Jugement dernier » (1536 – 1541), autre création fameuse de Michel-Ange dans la chapelle Sixtine : le lien entre l’Homme et Dieu serait-il corrompu, à l’image d’une nouvelle société à deux visages, plus ambivalente que jamais ? Sous la beauté de l’art, les secrets de l’Histoire seront-ils dévoilés ? Réponses à ces interrogations dans le tome 2…
Philippe TOMBLAINE
« Michel Ange T1 : Le Banquet des damnés » par Thibaud de Rochebrune, Didier Convard et Éric Adam
Éditions Glénat (14,50 €) – ISBN : 9782723499750