Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Le Pays des purs » par Hubert Maury et Sarah Caron
À la première lecture, on croit lire « Le Pays des peurs » et après avoir découvert l’album, on se dit que ce pourrait être le titre, tant le Pakistan est devenu un pays inquiétant et dangereux ; notamment en 2007 quand la journaliste Sarah Caron y réalise des reportages photographiques exceptionnels. Le pays, alors, se déchire et Benazir Bhutto, la principale opposante – et ex-Premier ministre – est assassinée…
Si le Pakistan est au cœur du sujet, c’est avant tout le courage du journaliste qui est au centre du récit ; surtout quand on est femme et étrangère dans un pays où les hommes ont une piètre image de la femme, et ce n’est pas peu dire !
L’album commence par un florilège de photos prises par Sarah Caron : photos qui ont été publiées par des périodiques tels que Time Magazine, Paris-Match ou La Vie. On y voit Benazir Bhutto, « une Brigitte Bardot au pays des fous de Dieu », alors qu’elle est assignée à résidence par le président Musharraf. Un mois plus tard, elle sera assassinée : « tradition familiale » puisque son père et son frère l’ont été également. C’est dire la difficulté du pouvoir, des pouvoirs, du politique au tribal, dans un pays miné par la pauvreté, la corruption et le poids des dogmes religieux.
Après ce très intéressant cahier photographique de 16 pages en couleurs, la partie bande dessinée est assurée par un Hubert Maury au graphisme étonnamment caricatural et dynamique, qui donne une intensité incroyable à ces pages. Il est aussi à l’aise pour les scènes de conversations que pour les scènes d’action. Et ce reportage n’en manque pas : car non contente d’interviewer Benazir Bhutto, Sarah Caron entend bien aller voir – et photographier – le Pakistan sous toutes ses coutures. Pas seulement Lahore ou Islamabad, mais les contrées autrement plus risquées avec l’aide de ces fameux « fixeurs », ces locaux, qui assurent le déplacement des journalistes et souvent leur sécurité.
La séquence du côté de Peshawar, et plus précisément la découverte de villages reculés où se risque la journaliste, emportée par un chauffeur survolté sur des pistes minables, est d’un pittoresque assuré, surtout quand la passagère doit se couvrir d’une burka pour se protéger. Le moment est intense et les individus tout autour plutôt patibulaires. Sarah Caron fait preuve d’une incroyable énergie au service de l’information, mais elle devra à Faris Khan, un guide pachtoune armé, imposant et fier, sa rencontre auprès d’un mollah démagogue et fondamentaliste et la traversée d’un village à haut risque où les habitants fabriquent exclusivement toutes sortes d’armes à feu !
Au-delà du contexte politique et religieux d’un Pakistan effroyable, l’album est aussi un récit haut en couleur qui se lit comme une BD d’aventures, non sans humour, et non sans décalages graphiques, grâce au talent incontestable d’Hubert Maury. Grâce à lui, le portrait de cette femme intrépide, à la croisée constante des commandes des journaux et des circonstances locales, est à la fois vivant, sensible et puissant.
Didier QUELLA-GUYOTÂ ([L@BD-> http://9990045v.esidoc.fr/] et sur Facebook).
http://bdzoom.com/author/didierqg/
« Le Pays des purs » par Hubert Maury et Sarah Caron
La Boîte à bulles (25 €) – ISBN : 978-2-84953-282-9