Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Steam Man » par Piotr Kowalski et Mark Alan Miller, d’après Joe R. Lansdale
« Hap Collins et Leonard Pine », « Drive-In », « Lost Lansdale », « Ned The Seal »… : Joe R. Lansdale est un auteur américain plutôt connu du public français pour ses westerns et autres romans policiers. Mais il est aussi un grand auteur de littérature fantastique, d’épouvante ou d’horreur, comme on nous le démontre avec brio dans cette adaptation comics de sa nouvelle inédite : « The Steam Man of the Prairie and The Dark Rider Get Down ».
Mais là où cette nouvelle, inspirée du proto pulp de l’auteur Edward S. Ellis (1), pour utiliser l’expression de l’édito de Martin-Pierre Baudry, mettait simplement en scène un robot à charbon et vapeur, fabriqué par un nain bossu pour aller explorer la frontière sauvage du Far-West, Lansdale s’autorise pour le coup un ton résolument plus destroy, plus gore, plus punk, jusqu’à provoquer la gêne même.Â
L’histoire débute en 1899, à l’ouest des États-Unis, et se situe juste après la fin du récit « La Guerre des mondes » d’Herbert George Wells. Les tripodes ont été vaincus par un virus et leurs carcasses parsèment encore les campagnes. Quatre ans plus tôt, au moment de l’invasion, le capitaine William Beadle de la ville texane de Nacogdoches avait réuni une équipe autour de la construction d’un robot géant à vapeur, afin de combattre les aliens. Actionnant le robot de l’intérieur, cette équipe s’activait à la chaudière, au pilotage, à la surveillance… Peine perdue, puisque rapidement, la menace s’était éteinte d’elle-même.
Mais un autre danger plane depuis sur ce monde déboussolé : par le biais d’un passage ouvert dans le temps, et le personnage du voyageur créé par H. G. Wells dans son autre fameux roman (2), une créature vampiresque dénommée le cavalier noir sème la terreur parmi les survivants. Ce monstre, que personne n’a pu voir en restant vivant, viole, dévore, empale, devenant la prochaine cible de l’équipe du capitaine Beadle.
Après avoir observé avec respect et admiration la couverture peinte de Piotr Kowalsky, tiré d’un des cinq comics Dark Horse de 2015-2016 qui ont servi à cet album, on découvre avec plaisir le trait et l’encrage agréables du dessinateur. Celui-ci n’est pas un inconnu des lecteurs français, puisque, d’origine polonaise, il a finalement d’avantage d’albums à son actif chez nous qu’aux USA. Des thrillers et récits fantastiques, voire dédiés aux vampires (déjà ), dont au moins deux sériés scénarisées par Corbeyran. (3).
Mais si dans ces récits, son style, plutôt européen et assez classique, pour ne pas dire commun, ne permettait pas vraiment de démarquer l’artiste du reste de la profession, ses travaux plus récents avec Joe Keatinge (« Marvel Knights Hulk » chez Panini, 2014), et Joe Casey (« Sex » chez Delcourt, collection Erotix 2015), lui ont permis de le peaufiner, le rendre un peu plus rond, davantage dans les standards américains de comics fantastiques. Le découpage aéré et dynamique du scénariste y étant sans doute aussi pour beaucoup.
Mark Alan Miller est quant à lui surtout connu pour son rôle d’assistant des productions cinématographiques d’un des maîtres de l’horreur : Clive Barker, reconnu dans les années quatre-vingt comme le digne successeur de Stephen King. Miller a aussi cosigné la plupart des dernières adaptations de sa licence « Hellraiser », en comics.
 Cette dernière publication déjantée, mêlant ambiance western, steampunk et horreur, rondement menée, embarque d’emblée, même si certains passages sont particulièrement difficiles (âmes sensibles s’abstenir !). On note aussi un langage assez cru, qui ne s’adressera pas, là encore, à n’importe quel public. Cela dit, bien que déroutés, mais fascinés, les lecteurs chercheront sans doute à aller lire la nouvelle originale, qui est semble-t-il encore plus hard.
Le beau travail des scénariste et dessinateur, et de la coloriste Kelly Diane Fitzpatrick, révélant de superbes couleurs dans les tons orangés et rouge, devrait leur permettre d’être clairement révélés au lectorat français. D’autant plus que la fin nous laisse un peu exsangue et frustré, prêts pour dévorer une suite.
Un album marquant, qui prouve une fois de plus la capacité de l’éditeur Delirium à proposer des récits et des auteurs aux fortes identités !
Franck GUIGUE
(1) Voir la page consacrée à l’auteur sur :
http://cyberneticzoo.com/steammen/1868-1904-fictional-steam-man-steam-horse-electric-man-electric-horse-american/.
(2) « La Machine à explorer le temps » (1895).
(3) — « Urban Vampires » par Kowalsky et Corbeyran : deux tomes chez Vent d’Ouest (2011-2012).
— « Badlands » par Kowalsky et Corbeyran : deux tomes chez Soleil (2014-2016).
« Steam Man » par Piotr Kowalski et Mark Alan Miller, d’après Joe R. Lansdale
Éditions Délirium (24 €) — ISBN 979-10-90916-35-7