« Legio Nostra : la Légion étrangère d’hier et d’aujourd’hui » par Benoit Blary et Hervé Loiselet

Sujet de tous les fantasmes depuis sa création en 1831, la Légion étrangère est aussi mythique que secrète. Au-delà des clichés qui sentent bon le sable chaud, Hervé Loiselet a mené une impressionnante enquête pour comprendre l’histoire et le quotidien des légionnaires, de l’époque coloniale jusqu’aux conflits contemporains, notamment dans le cadre de l’opération Serval au Mali en 2013. Superbement illustrées par les aquarelles de Benoit Blary, les 120 pages de ce one-shot BD-reportage dépoussièrent intelligemment l’image controversée des onze régiments de cette troupe singulière, vouée au sacrifice et à l’accomplissement exemplaire de sa mission.

La Légion saute sur... Tombouctou ; séquence d'ouverture de l'album

« Engagez-vous, qu’ils disaient ! » Derrière l’ironique image traditionnelle du troufion, devenu (depuis les légions romaines) un engagé plus ou moins volontaire au service de la patrie, se cache de plus nobles réalités ; dans le cas de la Légion étrangère, Hervé Loiselet (« 20 ans de guerre » en 2010 au Lombard) et Benoit Blary (« Virginia » chez Casterman) rappellent utilement les chiffres : totalisant, en 2016, 7 800 hommes répartis en 13 unités (métropole et territoires d’outre-mer), la Légion sélectionne chaque années 1 000 nouvelles recrues parmi les quelques 9 000 candidats qui viennent postuler. En s’engageant pour cinq ans, parfois sous un pseudonyme, le légionnaire d’origine étrangère pourra à terme être naturalisé français. Par la loi du sang versé ou par acceptation des valeurs républicaines, le soldat est ainsi reconnu officiellement dans sa défense de l’idéal national.

Recherches pour le visuel de couverture

À l’évidence, d’une époque à l’autre, ces grandes valeurs auront exacerbé l’intérêt ou la critique envers ce corps d’élite. Initiée par le maréchal Soult (l’un des vainqueurs d’Austerlitz) et Louis-Philippe en 1831, succédant à de nombreux régiments étrangers, la Légion « permettra » la conquête de l’Algérie ou l’indépendance italienne. Engagée dans des conditions difficiles sous le Second Empire contre le Mexique, la Légion vit un mémorable épisode héroïque le 28 avril 1863 lors de la bataille de Camerone (voir le récent album consacré au sujet par Thierry Gloris) : dès lors, fédérés chaque année autour du récit de la résistance des 60 hommes du capitaine Danjou contre leurs 2000 ennemis, les légionnaires entretiennent un rituel qui singularise la Légion. De l’image du guerrier romantique à celle du mercenaire sans foi ni loi, la fiction aura pendant plusieurs décennies délivrée une figuration ambigüe du légionnaire : de « Mickey in the Foreign Legion » (Floyd Gottfredson, 1937) à « La Légion saute sur Kolwezi » (Raoul Coutard, 1980) en passant par « La Main coupée » (Blaise Cendrars, 1946), « Les Morfalous » (Henri Verneuil, 1984) et le doublet « Mon légionnaire »/« Non, je ne regrette rien » chanté par Édith Piaf (1936 et 1956), il est effectivement difficile de se faire une idée simple du sujet… Remise en cause et suscitant la méfiance lors de la décolonisation, la Légion fait aujourd’hui l’objet de débats plus apaisés même si les vieux réflexes sont tenaces : chacun aura lu, ici ou là, la description d’un fait divers mettant en exergue la qualité de légionnaire du principal fauteur de troubles.

Camerone, la bataille symbole (pages 42 et 55)

Mickey (Abbeville Press, 1981) et Belmondo dans la Légion : deux images archétypales

Tel que représenté en couverture sur une suggestion de l’éditeur, le légionnaire se distingue pourtant fièrement avec son képi blanc (délavé et usé par le soleil) vissé sur la tête depuis juillet 1939. Autre image clé : celle du défilé du 14 juillet, où la Légion défile au pas lent et cadencé (88 pas par minute), précédée d’un groupe de 36 pionniers. En qualité de vétérans, ces derniers arborent la barbe, la hache et le tablier de buffle, trois éléments symbolisant leur expérience et leur qualité de bâtisseur, ouvrant comme jadis la route à leur régiment. Méticuleux, le légionnaire apprendra à combattre autant qu’à repasser ses uniformes en suivant des règles méticuleuses. Ne devant faire aucun pli ni à son code de l’honneur ni à son courage dans le feu de l’action, le légionnaire, paré d’une tenue de combat adéquate (casque optronique, gilet pare-balles, fusil famas, lunettes à vision nocturne) se retrouve sur tous les théâtres d’opérations extérieurs ou intérieurs. Après le Zaïre (1978), le Tchad (1979), le Golfe (1991), la Somalie (1992), la Yougoslavie (1993), et depuis l’Afghanistan (2001, 2008, 2012) ou le Mali (2013 – 2014), la Légion contre désormais les forces djihadistes, devant sécuriser de vastes territoires et permettre le recouvrement des intégrités territoriales.

Détails pour la couverture

L'uniforme fait le Légionnaire (page 68)

Divisé en huit chapitres successifs parfaitement complémentaires (« La Victoire », « L’Image », « L’Histoire », « Le Culte », « Le Quotidien », « La Bataille », « L’Hommage » et « Ensemble »), ce copieux album est accompagné de très riches interviews expliquant plus en détails l’importance des traditions, l’organisation des hommages rendus aux soldats morts pour la France (10 tués dont 3 légionnaires durant l’opération Serval), ainsi que le rôle significatif du mensuel Le Képi blanc, lequel atteindra son 800e numéro en juillet prochain. Comme l’écrit in fine le colonel Jean de Monicault, c’est avec brio que les auteurs font ici revivre les grandes valeurs de la Légion : rares sont en définitive les œuvres à rendre aussi accessible le mystère et la grandeur de ce militaire nommé Légionnaire. Une lecture qui satisfera sans doute même les plus farouches partisans à l’esprit « militaria », ce qui n’est pas peu dire…

Le 1er numéro du Képi blanc, imprimé à Oran en avril 1947.

Philippe TOMBLAINE

« Legio Nostra : la Légion étrangère d’hier et d’aujourd’hui » par Benoit Blary et Hervé Loiselet
Éditions Le Lombard (17,95 €) – ISBN : 978-2-803636655

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