ENFIN,MANDRAKE EN FILM!

Jonathan Rhys Meyers sera Mandrake d’après le comic-strip écrit Lee Falk et dessiné par Phil Davis. Le tournage de Mandrake est prévu au début de l’année prochaine en Chine et aux Etats-Unis. Reste à savoir qui interprétera Narda, princesse du royaume de Cocaigne, la fiancée de Mandrake…

Mandrake, la bande dessinée la plus lue dans le monde, très populaire en Europe, est publiée, cinquante ans après sa naissance, dans deux cents journaux, en huit langues et dans les cinq continents.


Lee Falk rappelle que, en 1975, dès l’âge de 19 ans, en 1924, alors qu’il était encore étudiant à l’université de l’Illinois, il avait imaginé le personnage de Mandrake, et avait même commencé à en dessiner quelques strips. Il s’agissait alors d’une sorte d’autoportrait. Il ne proposa la série qu’une dizaine d’années plus tard au King Features Syndicate, lors d’une visite à New York. À son grand étonnement, rapporte-t-il toujours en 1975, elle fut immédiatement et sans condition acceptée. N’étant pas sûr de ses qualités graphiques, il choisit de laisser le dessin à Phil Davis, dessinateur industriel et publicitaire originaire du Missouri, rencontré tandis qu’il travaillait dans une agence de publicité à Saint-Louis, où il était rédacteur et responsable d’émissions radiophoniques.


La bande quotidienne parut le 11 juin 1934, sous le titre Mandrake the Magicien. Le succès ne se fit pas attendre. Il conduisit le K.F.S. à en adapter une version destinée à la planche dominicale, toujours dessinée par Davis, à partir du 3 février 1935. Ce qu’il réalisa avec talent, jusqu’à sa mort en 1964. Il fut alors remplacé par Fred Fredericks.


Dans les années trente, le cinéma proposait des scénarios d’épouvante, orientés sur le thème de l’hypnose, des savants aux pouvoirs extraordinaires ou aux capacités extra-naturelles. On se souvient du Dracula de Tod Browning en 1931, du Frankenstein de James Whale la même année, ou encore de The Wherewolf.


Mandrake, de mandragore, la fameuse racine symbolisant la fécondité, révélant l’avenir et procurant la richesse, a acquis ses pouvoirs grâce à un lama tibétain, à Xanadu. Falk inventa son personnage à partir d’un poème de l’anglais John Donne. Magicien et illusionniste, Mandrake est, de surcroît, le premier à intervenir en tant que tel dans l’histoire de la bande dessinée. Homme de grande classe et d’une grande élégance, gentleman aventurier toujours revêtu, quels que soient ses activités et les lieux qu’il fréquente, du magnifique costume traditionnel du magicien : smoking, gibus, cape noire doublée de soie rouge à l’espagnole, fines moustaches, cheveux gominés. Il incarne l’homme parfait, beau, intelligent, sensible, charmeur. Son charisme, sa droiture morale s’accordent parfaitement avec les pouvoirs hypnotiques et les facultés de guérison qu’il tire des capacités curatives et de l’efficacité spirituelle et aphrodisiaque de la mandrake root.


Sa profession ? Justicier. Il apparaît sur scène, sans doute, mais il lutte surtout contre le crime. Ses compagnons ? Lothar, un Noir à la force herculéenne, dont l’éternelle peau de léopard et l’accent pingin rappelle ses anciennes fonctions de prince d’une tribu africaine. Il avait abdiqué lors de sa rencontre avec Mandrake et pour rester à son service. Il est tout d’abord son gardien du corps, puis devient un ami fidèle. Il perd peu à peu son dialecte, mais conserve son impressionnante musculature, et bien sûr son humour. Narda, d’origine balkanique, autrefois princesse de Cockaigne, subit les charmes de Mandrake, et demeure la belle, la merveilleuse et l’éternelle fiancée, etc. Ses ennemis ? Luciphor, alias le Cobra, démoniaque et menaçant, usant de ses pouvoirs surnaturels pour faire le mal, bien qu’il ne parvienne jamais à détruire Mandrake. Il est le chef d’une secte de la magie noire. Enfin, Klage, un singe géant à qui l’on a greffé un cerveau humain.


La série débute dans le sens du fantastique. Mandrake utilise ses pouvoirs extraordinaires pour métamorphoser les choses et les personnes. Il peut suspendre les gens dans les airs, transformer les hommes en bêtes, provoquer des murailles de feu. Il procède par l’hypnose, ses facultés extra-sensorielles, sa télépathie, sa capacité au dédoublement. Du magicien, on retrouve les tours de main, les ruses et les astuces, les déguisements et les métamorphoses. Du surhomme, il sait faire disparaître les objets, rendre les autres (ou lui-même) invisibles.


Puis la série évolue vers l’histoire policière. D’un geste rapide, Mandrake détourne les balles d’un revolver de leur direction, il anime les objets, il joue sur les superstitions et sur la lâcheté de ses ennemis, qu’il impressionne autant que ses admirateurs. Car son but est de réduire les trafiquants et les gangsters à néant. Il assure sa vocation aussi bien en ville que dans la jungle – bien que l’on imagine mal un être vêtu de cape et d’épée en de tels lieux –, changeant de pays, voire d’époques. S’il déjoue les producteurs véreux et malveillants d’Hollywood, s’il arrête les agresseurs dans Central Park à New York, il sauve aussi les orphelins de la main des méchants dans des petites villes, et vient en aide aux pauvres dans les grandes.


Plus tard, il s’associera à l’Empereur de la Galaxie dans le but de combattre un ennemi invisible. Puis, toujours en possession de ses pouvoirs hypnotiques, il se transformera en une sorte de James Bond et participera à une association anti-criminelle, l’Inter-Intel.


Le récit ne manque pas de suspense, de dramaturgie, conservant suffisamment d’humour pour ne pas tomber dans le mélodramatique et dans le sentencieux. Les intrigues sont rapides, les dialogues concis, le fond plein d’esprit. « Une raison pour laquelle cette bande dessinée connut une si longue carrière, serait que je lui ai toujours donné toute la fraîcheur de mes préoccupations de tous les jours », observe encore Lee Falk en 1975. Le lecteur est tenu en haleine, désireux de découvrir le système des trucages. Mandrake parvient aussi à envoûter son public. Et ces tours de passe-passe font parfois penser au monde déraisonnable et merveilleux de Lewis Carroll.


Le trait élégant et sobre de Phil Davis conduit toute l’intensité du récit. La succession des vignettes s’élabore avec une grande clarté. Les décors et les attitudes sont précis et réalistes. Quand, en 1942, il est mobilisé, sa femme, dessinatrice de mode de formation, assurera le scénario. Elle restera d’ailleurs son assistante. Après son décès, le 16 décembre 1964, Fred Fredericks signera, jusqu’en juin 1965, avec Falk. Du style de son prédécesseur, il conserve tout l’esprit et l’élégance, bien que plus expéditif, jouant sur les effets spéciaux et drôles de Lee Falk.


Le cinéma, à l’origine de l’idée, sans doute, s’inspirera, à son tour, des mises en scène de Mandrake. En 1939, la Columbia Pictures réalise un feuilleton télévisé en douze épisodes, sous la direction de Sam Nelson et de Nordman Deming, avec Warren Hull (Mandrake), Doris Weston (Narda) et Al Kihime (Lothar). Le projet d’une seconde version est annoncé. Il devait être tourné en Syrie, en Égypte, en Italie et en France, Dirk Bogarde ou Paul Newman devaient en interpréter le rôle principal, accompagnés de Sonny Liston, ancien champion du monde de boxe, dans le rôle de Lothar. Il sera avorté. Pourtant, en 1965, au festival de la bande dessinée de Bordighera, Alain Resnais était préconisé par Lee Falk qu’il considérait comme l’unique réalisateur capable de mener à bien le scénario. Au Salon international de Lucca, Federico Fellini projetait, en accord avec l’auteur, de réaliser le film, interprété cette fois par Marcello Mastroianni. Quelques scènes furent tournées, mais encore sans aboutir.


Heureusement, les comic books remplacent ces échecs successifs. On les trouve chez David McKay Publications, en 1938 (Feature Books), chez King Comic, de 1966 à 1967 (Mandrake the Magicien), chez Marvel, en 1987 (Defenders of the Earth), par exemple.


Le succès est considérable en Europe. La France publiera la bande dessinée, dès 1936 et avant la guerre, dans Robinson ou Hop-Là !, puis dans la Collection Merveilleuse, dans Story, dans Aventures et Mystère, dans Donald, dans Le Journal de Mickey, dans les Héros du Mystère, dans Comic 130. Les albums ne manquent pas non plus : C.E.L.E.G. (1965-1967), Hachette (1973-1974), Glénat (Le Gouffre de l’Atlantide, 1980-1984), Futuropolis (1981-1985), les éditions Soleil Productions. Les éditions des Remparts publient des fascicules dans les années 1980 : Mandrake, Mondes mystérieux, Les Héros du mystère et Spécial Mandrake. On peut aussi le lire dans les pages destinées à la bande dessinée dans le quotidien France-Soir.


Nathalie Michel


 


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